Verger des eaux



Fraîches fontaines, sources claires,
Traversant l'ardeur de l'été,
L'enrouement de vos gerbes vives,
La voix de vos graviers tournés,
Douce sur le bord de vos rives
M'endort… et sous cette brise légère,
Je rêve d'une ancienne amie
Qui me disait : "... du sommeil, l'eau
Et la terre éveille, qui les gardait l'une
Doucement de murmurer, l’autre
En maintes fleurs de se parer,
Belle de couleurs nonpareilles ..."

(En italique : Louise Labé, Sonnet XV)


Shoichi HASEGAWA L'eau vive




Est-il aux alentours...


Est-il, aux alentours d'un transparent gazon des prés, plus parfait miroir, plus argenté qu'une eau fraîche, une source inconnue sans rien ni chants d'oiseaux qui troublent, ni feuilles tombées des arbres qui l'ombragent,
Est-il un lieu plus propice au repos…

N'éprouvez-vous pas devant tout ce silence une inquiétude ?
Souvenez-vous d'elle,
Elle qui s'est retirée, le front rougi - quelle honte, quelle honte - solitaire vers quelques fonderies.
De son corps desséché, les os et les rochers, bois obscurs qui résonnaient, rendez sa voix qui ne peut que redire, qui jamais ne se peut détacher.

Shoichi HASEGAWA Verger 1973




Kauma


Vous vous épanouissez dans la lumière de la jeunesse, violettes ce matin.

Lierre de frais ramage, cœur vrillé d’ombres, le lierre des heures se déroule. Je tiens tout entier dans le silence des heures.

Large comme un contre-exemple, la terrasse fardée de soleil est le prétexte à ouvrir quatre prunelles de vin noir au jour.

Que la parole y soit féconde, l’exclamation d’une voix d’homme.

Verger d’avril. On a posé l’échelle contre le cerisier. Les cerises sont rouges. Elles tacheront les mains. Vers le fond du ciel, un été brûlant s’annonce.


Shoichi HASEGAWA Rapsodie (1980)




Éléments


Je ne veux rien dire
si ce n'est la terre au goût de menthe qui mêle ce matin le ciel et l'eau

D'un ciel
au large flanc d'aigue-marine parcourue d'hiron-
delles, de ce ciel qui se fond au lac lorsqu'une barque y danse sous la lente avancée des eaux

La terre
comme une opale,
Non qu'elle en exprime seulement l'hydrophane, mais pour la forme aussi que l'on donne à la taille, mais pour le feu dessus

De l'or léger qui tombe, la terre
De celle-là qui nous dit, qui nous renvoie à nos racines de lumière

Shoichi HASEGAWA Jardin secret




À la dame de turquoise


Selon le vœu et la formule, mettez près de la source des chiffons aux branches.

Que l’eau claire emporte ces fleurs offertes, ces feuilles qui s’enroulent en guirlande au fil du courant.

Passez le petit pont de bois, penchez-vous, et par le milieu de la rambarde faites briller vos pièces d’or.

Que frise le vent sous le vêtement de vair.

Ou plutôt non, préférez quelques menues monnaies sans valeur comme autant de lettres indéchiffrables.

Pensez fortement une chose, une seule avec force, elle aura peut-être pour vous, dans la suitée des jours, un sens

Car de l'eau nacrée de cette bouche sortira pour le projeter un amidon d'éclairs.


Shoichi HASEGAWA Au cours de la vie




Anagogique


D'où reçut-elle un sens ? Elle qui n'est plus que reflet, composition de quelques nonpareilles, au regard d'un réel disparu, d'un trop bel éphémère.

"Montagnes nouvelles référées là-bas aux présentes mais, ici, un fond bleu légèrement plus sombre, une grande voile tendue,
L'eau du lac uni à l'air chargé de brumes, de gris de rose mêlé, forme la texture même de l'image,
Qui vibre.
Seul un angle d'or, ainsi que le paquebot blanc plein de gaîtés TRAVERSÉE DU LÉMAN sur la proue duquel il tombe, semble un tout compact aux lignes nettement tracées."

Assis sur le quai je vous regarde partir. J'y resterai jusqu'à ce que la nuit vienne clarifier le ciel et la montagne, jusqu'à ce que je puisse voir les étoiles et les feux de vos maisons.







Infime


N'avons-nous pas jeté trop de fois le filet pour espérer sortir des mailles un poisson vif ?

A la recherche neuve d'une image, n'avons-nous pas tourné le prisme, et trop de fois ? Continus, délabrés, (couru notre bocage) les bords de nos routes ombragés, les murs qu'envahissent les ronces, nous les longerons encore sans y rencontrer rien que nous ne connaissions déjà.

Il arrive pourtant, qu’à telle taille un jour, s’anime le miroir. Que l’œil s’y prenne c’est peu de choses. Mais son idée, et si vague, et la démarche.






Déambulation


Contournons quelques bosquets – il y a de la caillasse, l'ai-je dit ? de la boue et de fines ornières. Quel passage qui suinte d'un brouillard d'hiver ! ainsi que la marque d'un doigt glissé contre une vitre – bien d'autres fouillis variés de tiges. Ce que c'est que la vie ! D'ailleurs, voyez, parmi les longs roseaux, ces coquilles, ces pétales qu'une fauvette y déposa comme une chute de ciel bleu léger et, plus loin, voyez l'épaisse nappe de lentille où se plante une forte fleur grenat de julienne. C'est unique à dire un marais comme ça, cingriesque.


Chaim ROSENTHAL Nature XI Aquarelle





Arsenal nord


Cet œil comme un soleil solide. Elle est simple ici et forte et de toute éternité parmi les joncs de la lumière, la barque échouée, le pli de ses voiles bleues.

C'est une mort à n'en plus finir, pierre ouvrée de l'eau que le temps délabre.

D'une rive à l'autre la place est une foule énervée de chaleur. La brève traversée ! un instant, cueillir un bouquet d'ombres, le jeter aux genoux de l'église et poursuivre par le fin réseau des ruelles.





La tarasque nous bouscule


Sa liberté est celle des eaux soudaines, crues subites, sources brusques jaillies bondissantes, torrent né en force au dégel des cimes.
Ordre des cimes.

Sa liberté est gerbe, foudre qui descelle.

Son corps est aux couleurs de l'arc-en-ciel. Qu'elle s’en aille d’un coup d’aile rejoindre les nuages, elle, la bête faramine qui sème le trouble en tous lieux.

Tarasque, furie, bec de canard, laisse-toi séduire, écoute la voix qui te console, la douce voix des lavandières.

« Lagadeou, lagadigadeou, la Tarascou
Lagadeou, lagadigadeou, lou Casteou »

Saint-Véran terrassant la Coulobre




Au gré des déplacements


D'abord on a senti une odeur plate, une odeur de fleuve qui venait par le milieu d'une terre d'argile craquelée.
Ensuite on a roulé en soulevant de fines poudres de velours.
Le ciel, avant d'atteindre à la fraîcheur de l'eau fauve, se mit à crier une note très aiguë d'oiseau.
Enfin, on descendit vers la berge et ce fut la Loire, le beau nom féminin de Loire, clair et ouvert.

Va-t-on s'arrêter ? On s'arrête, mais non c'est
L'horizon des bancs de sable et des remous qui vous arrête.

L'eau parfois y pèse un certain temps puis se retire. Étonnées, les herbes sauvages se relèvent, s'ouvrent de larges espaces

Comme délaissés par le pinceau de Ni Zan

Ni Zan (倪瓚, 1301–1374)




Côté nord



Près des bords ombragés du lac, Ophélie depuis toujours, flotte parmi les joncs. Ses lèvres depuis toujours se sont fermées, blanches folies ; elles ne chanteront plus ni ballades, ni chansons.

L'eau est glaciale où sa robe s'évase. Elle a rejeté son front vers l'arrière ; son regard s’est porté quelque part entre les herbes. Le monde est incertain comme un ciel défait de grisaille et de vents.

Les fleurs d'orties – pâquerettes, boutons d'or – sur son corsage les fleurs sont des vœux qu'en toute innocence elle fit.
(Ce serpent de rêves, à quoi bon…) les pâles iris et pervenches dans l'onde, ces fleurs qui se dispersent, le doigt de cire et le moine des morts.

Elle avance lentement vers des rivages inconnus. Quel secret dialogue poursuit-elle ? Que balbutient ses lèvres ?

Odilon Redon, Ophelia (1903)




Tout une fois



Au creux du jour, il repose, immobile, insoucieux, nuque appuyée contre le bois d'une solive. Il dort.

L'horizon s'est éloigné, il n'y a plus que l'air et l'eau, une ligne ouverte et monotone. Il se tient seul, remuant les lèvres sans rien dire –
Et le temps passe indifférent qui sasse et qui ressasse –
Une barque se balance sur le miroir du vent. Parmi les feuilles froissées d’automne, une feuille retombe.

Replié sur lui-même à lui-même semblable, il ne veut pas ouvrir les yeux, il ne veut pas se retourner.

Parfait amant, perdu dans l'ombre, il ne fait que dormir. Jamais ne se réveille, si fort que soit le bruit du monde.


Cy Twombly - 2000 - Couronnement de Sesostris

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte