Du journal d'un carquois en galuchat


Cette chaîne de montagnes, au nord de la plus grande île du Japon s’appelle Bonju. Son élévation ne dépasse pas trois quatre cents mètres, aussi n’apparaît-elle pas
sur les cartes ordinaires.

On dit qu’en des temps où cette région était couverte par les eaux du Pacifique, Yoshitsune et son escorte dans leur fuite éperdue y passèrent ; et que leur bateau se fracassa, au nord d’Ezo, sur les rochers.

N’en reste plus aujourd’hui que des traces imperceptibles, sauf en son milieu, à mi-flanc de la montagne, un précipice de terre rouge d’environ cent mètres carrés.

Cette chaîne s’appelle aussi le Mont du Cheval Chauve.

On dit qu’en regardant la ligne escarpée de ses flancs depuis le village qui se trouve en contrebas, on aperçoit la silhouette d’un cheval. Avec plus de justesse elle évoquerait le profil déformé d’un vieillard !

Mont du Cheval Chauve… célèbre surtout dans la région pour la beauté de son autre versant

Car le village n’est qu’un pauvre hameau d’une dizaine de maisonnées. A sa sortie, en suivant la rivière, après avoir marché huit kilomètres on parvient à une cascade qui jaillit là d’une belle hauteur, estimée à peu près à vingt-cinq ou trente mètres.
Dès la fin de l’été, et durant tout l’automne, les feuilles des arbres se teignent de jaune et de rouge. Un rouge vif. C’est la saison où les lieux s’animent par la présence de citadins venus en excursion des villes environnantes.

On trouvera même au pied de cette cascade, un kiosque et quelques sièges.

*
L’été se terminait – il y eut
Cette année-là, un mort à la cascade.

La chute ne fut pas volontaire, non, plutôt un accident. La victime…

un étudiant de la ville, au teint pâle, était venu ramasser des plantes, des espèces rares de fougères qui poussent en abondance à cet endroit, plantes qui attiraient fréquemment les botanistes.

– Vers l’ouest étroitement s’ouvrent trois murailles verticales. L’eau d’un seul côté, l’eau s’écoule à pic en mordant les rochers. Les parois sont toujours mouillées d’éclaboussures. Les fougères y poussent et vibrent à tous les grondements de l’eau. –

L’étudiant avait grimpé le long de la façade.
Un début d’après-midi à la naissance de l’automne avec un peu de soleil, illuminait encore les hauteurs.

À mi-chemin, la pierraille sur laquelle son pied s’appuyait se détacha mollement. On vit l’étudiant se décoller du grand mur et chuter
il s’accrocha un instant à la branche d’un vieil arbre,
la branche
céda. on l’entendit s’écraser au fond
du gouffre dans un bruit
formidable.

Quatre ou cinq personnes qui passaient par là assistèrent à la scène mais ce fut la jeune fille de quinze ans qui tenait la buvette au pied de la cascade qui était la mieux placée pour tout voir.

*
… Il s’abîma profondément dans le gouffre puis on vit son torse rejaillir d’un seul coup à la surface. Il avait les yeux clos, la bouche à peine ouverte. Sa chemise était déchirée mais la sacoche du botaniste était toujours sur ses épaules. Il fut happé brusquement par les fonds.

太宰治

Yann Bagot
« Siehlbaechle, cartographie d’une cascade » 2018


Dazai Osamu (1948)

Grand Cahier.550-551.Osamu Dazai.001.Du journal d'un carquois en galuchat.00

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte