Dans le fourré – III
Le récit de l'ombre


Le Voleur avait atteint son but.
Alors il s'assit à l'endroit de son forfait et voulut consoler ma femme par tous les moyens. J'étais bien sûr bâillonné, dans l'incapacité de lui dire quoi que ce soit, attaché au pied de ce sapin. Malgré tout, de mes yeux, je voulus signifier à ma femme :
« Ne l'écoute pas, tout est faux. Tout ce qu'il dit ! » Il fallait à tout prix qu'elle comprenne cela, mais elle restait assise sans force sur les feuilles mortes à regarder fixement ses genoux.
L'écoutait-elle, ce voleur ? C'est l'impression qu'elle me fit. C'est ce que je crus. Je me contorsionné dans tous les sens, brûlé de jalousie.
Lui, de son côté faisait le choix de ses mots avec habileté :
« Ton mari ne pourra plus s'entendre avec toi, maintenant que ton corps est souillé, ne vaudrait-il pas mieux que tu le quittes et m'épouses ? C'est l'amour que tu m'as inspiré qui m'a fait me livrer à cette audace. »
Oui, ce sont de tels arguments dont il osa se servir !
Elle ? Elle écoutait ses paroles, comme en extase. Elle releva la tête. Jamais je ne l'avais vu aussi belle. Et que croyais-vous qu'elle répondit ? … ma femme si belle, au brigand, devant son mari ligoté !
J'erre dans les limbes, et je continue d’être enflammé de colère par ce que j’entendis :
« Emmène-moi où tu voudras. »

(Longtemps l’ombre garda le silence…)
Mais la faute de ma femme est plus grande encore sinon pourquoi souffrirais-je ainsi dans cette nuit !

Comme elle s'apprêtait à quitter le fourré, conduite par la main de cet homme, elle devint toute pâle et pointant son doigt vers moi. Elle dit :
« Tue-le ! S'il reste vivant je ne pourrai pas vivre avec toi ! »
A plusieurs reprises, elle cria comme une folle :
« Tue-le ! Tue-le ! »
Ces mots…, ces mots me font tomber au fond d'une nuit infinie. Comment de tels mots purent-ils jamais sortir d'une bouche humaine ! Maudits soient ces mots qui frappèrent mon oreille ! Maudits !
(De l'ombre fusa brusquement un rire moqueur.)
En entendant ces mots « Tue cet homme ! » le voleur lui-même pâlit. En répétant cela, ma femme s'accrochait à son bras, et le voleur, regardant ma femme, ne répondait ni oui, ni non. Et l'instant d'après, il la jeta d'un coup de pied sur les feuilles mortes de bambou.
(Un rire moqueur jaillit de nouveau de l'ombre.)
Le voleur croisant les bras lentement se tourna vers moi :

« Que veux-tu que j'en fasse ?
Je la tue ou je lui laisse la vie sauve ?
Fais-moi un signe de la tête.
Veux-tu que je la tue ? »

Pour ces paroles, j'aurais voulu pardonner au voleur.
(L'ombre s’enfonça dans ses pensées un long moment.)

Alors que j'hésitais, ma femme poussa un cri et s'enfuit vers le fond du fourré. Le voleur se précipita à sa suite sans pouvoir jamais effleurer même sa manche.
Cette scène je la vis dans un rêve.

Après que ma femme se fut enfuie, le voleur revint prendre mon sabre, mon arc et mes flèches et coupa d'un coup la corde qui me ligotait.
Il murmura cette phrase, « Cette fois c'est mon tour », avant de s'éclipser hors du fourré.

Tout redevint calme (L'ombre pour la troisième fois arrêta de parler.)

Je me dis : quelqu'un pleure ? Je prêtai l'oreille en déliant la corde. Non, ce n'était que moi qui sanglotais.

*

Au pied du sapin, je soulevai péniblement mon corps épuisé, je vis le poignard que ma femme avait laissé tomber. Je le saisis et l'enfonçais d'un coup dans ma poitrine.

Je ne ressentis pas la moindre douleur. Un grand froid me gagna, le silence alentour devint plus profond. Qu'il était étrange ce silence ! Dans le ciel au-dessus, la montagne alentour, pas un oiseau qui chantait ! Seul au travers des bambous, des sapins, un rayon de soleil errait du soleil déclinant. Tout devint plus pâle, je ne vis plus ni bambous, ni sapins. Étendu sur la terre, enveloppé d'un profond silence. Juste à cet instant, quelqu'un, à pas furtifs, s'approcha de moi. Je voulus tourner la tête. Une obscurité diffuse m'enveloppa. Quelqu'un. Ce quelqu'un d'une main invisible retira doucement le poignard de ma poitrine. Ce fut la fin. Je sombrai dans la nuit pour ne plus revenir.

Vladimir Veličković
Paysage (2007)

Grand Cahier.479-481.Akutagawa Ryûnosuke.002.Dans le fourré.03 (藪の中, Yabu no naka, 1922)

Articles les plus consultés


à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte