Vols

*

L'oiseau,
de tous nos consanguins
le plus ardent à vivre...
*
Saint-John Perse

... mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d’inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l’aube elle-même : cri de guerre sainte à l’arme blanche ...

Wifredo Lam
(1960)
Oiseaux de Saint-John Perse, suite {•••}


Le rossignol



Il n'est pas de ce pays, dit-on, le rouquin d'Afrique mais il chante. Oh ! bien peu de choses, quelques trilles à l'envi, non point des mélodies mais alors,

Il fait crier le frais couvert des buissons, les fourrés de prunelliers et d'aubépines. Vous passez par-là, sur la route un soir venu d'avril – vous tournez la tête, il vous surprend. Mais pour le voir n'y comptez pas, il est discret.

Peut-être vous montrera-t-il le bout d'une aile brune, furtive une rectrice, un cœur de crème.

  Aimez donc Philomèle.

Grand Cahier.103.Refonds.007.Vols.01 {•••}


Merle noir



Ah ! Massignieu de Rives sonore, béjaune mon frère très commun parmi les cerisiers, j'entends l'orage qui tonne et s'éloigne.

Bonheur sur terre au crépuscule de juin, tu me prends le cœur.
*

Et puis tu es monté hardi au-dessus du toit d'ardoises, jusqu'au sapin, je t'ai vu par la lucarne choisir la branche la plus haute.

Et moi je sais que tu chantes simplement pour chanter puisque tout s'est tu.

Sans vergogne, turdus merula et bien d'ici. Tu bâtirais ton nid sur la fourche d'un rosier. Aussi je te cède volontiers les salades et les fraises de mon jardin pour la clarté si franche de ton chant.

Grand Cahier.104.Refonds.007.Vols.02 {•••}


La sterne



La sterne que la mer appelle
s'épaule sur le vent, genèse de l'esprit
que son aile fend symétrique
à son cri de braise

On dit qu’elle aime à nicher près des lagunes, celle qu’on nomme aussi la pierregarin, la Sterna hirundo fréquentant les presqu'îles et les îlots proprets et, colonies nombreuses, les plats rivages de la Loire.

Elle bâtit parfois vers les Grands Lacs, résultat d'un artifice dit-on, des radeaux de graviers.

Admirons le spectacle d'un plongeon. Le clignotement gris argenté dans l'air. Quelques instants de concentration lui suffisent pour repérer sa proie. Ne manquons pas si l'eau est claire et peu profonde, le piqué qui foudroie lançons ou sprats.

La sterne que la mer appelle
s'épaule sur le vent, genèse de l'esprit
que son aile fend symétrique
à son cri de braise

Grand Cahier.019.Refonds.007.Vols.03 {•••}


Les alouettes



Elles n'ont pas de répit dans leur chant les alouettes. Je ne les crois pas satisfaites du fond des champs dorés (Que savez-vous alauda d'arvensis ?) elles ne le seront dans leur pépiement qu'après avoir épuisé cette pâle journée de printemps, qu’après avoir poussé devant, leurs trilles et vocalises – alou, aloe, gauloise qui grisolle – à s'élever à l'infini de l'espace et du temps, elles vont certainement y mourir ; monter dans les hauteurs extrêmes, se laisser emporter par les nuages flottants, perdre leur forme et ne survivre dans le ciel – que par leur chant.

Grand Cahier.488.Refonds.007.Vols.04 {•••}


L'épervier



L'épervier, que lui importe, n'est pas un homme.

Il chasse, il chasse l'oiseau, il se mange. Battent ses ailes, battent rapides ses ailes arrondies.

Assipiter nissus, zagaie dans les planches du vent, gris-bleu sombre délavé de fauve.

Tu es chez toi, je te décris : sourcil blanc étroit ou absent, rouge orangé sur les joues et les flancs. Ta femelle est grande, tes petits sont grands, de liserés roussâtres dessus, barrés de bruns plus larges dessous. Tu aimes les pins, les lieux secs, et la résine pour ton nid.

Étincelle au soleil, alternant, ailes à demi-repliées, les séries de coups dans l'air et, œil scrutateur, les longs vols planés.

Pourquoi craindrais-tu l'homme, tu vas dans ses jardins, furtif, toujours aux aguets, tu t'y avances.

Si l'on te voit, c'est la panique,
Épervier !

Grand Cahier.106.Refonds.007.Vols.05 {•••}


Turzhunell



L'hiver s'élargit dans la grisaille. Cette frilosité palpitante de plumes, blanches comme fragile rubanée blanc grisé de collier noir, de ses griffes marque l'indéchiffrable carré de l'ardoise ;

L'ergot qui gratte traces la raye elle s'ébroue.

L'hiver est calme, et rien n'arrêtera jamais la pluie soyeuse et monotone, ni la lucarne ouverte au dernier cran.

Le jardin, je le dis dépeigné, ce matin triste, est-il triste ? à du mal à composer avec un jeu de folles amourettes et de longues fétuques, le jardin est envahi, le pont craque et glisse, on ne pourra bientôt plus passer.

Grand Cahier.107.Refonds.007.Vols.06 {•••}


L'idée du bouvreuil



Passager du Nord-Est, en gorge de pivoine ou gris manteau madame, on te dit petit-bœuf. Les Bretons te di- sent baron.

Pyrrhula deux fois, le doux caractère. Tu fais révérences jolies et gracieux mouvements, moinillon bien nourri. L'autre jour – méfie toi ! j’entendais tes dious mélancoliques près des fruitiers.

Évite la cage,
De trop de chènevis, calotin devenu noir, tu perdrais les couleurs à défaut de la vie. Ce que l'on aime chez toi, c'est la simplicité et le bon naturel,

Malgré les propos d'un grand sensible :

« On s'arrêtait pour écouter le délicat barbotis, éna- mouré de fraîcheur, d'un bouvreuil se baignant dans la mignonne baignoire minuscule de nymphembourg qu'est la corolle d'une rose blanche. »

Marcel Proust, le temps retrouvé

Grand Cahier.359.Refonds.007.Vols.07 {•••}


Le phénix



Ni principe qui le produit, ni recette savamment concoc- tée, il est sur terre unique et toujours
renouvelé – multiple.

Herbes et fruits ne le nourrissent point. Il en est le verbe et le reflet, son plus parfait miroir, lui qui vit de la douceur des larmes, de l'amome poivré, de l'encens

Comme une horloge réglée pour des siècles, au temps venu, de son bec et de ses ongles il construit

sur un chêne chez nous son nid, ailleurs sur un palmier et son poids n'est rien si ce n’est le lent balancement d'une palme, une datte dorée, l'huile et le sucre des pays du Sud

Il y met, y rajoute une couche de cannelle : de ces brin- dilles de nard appréciées des anciens. De la myrrhe, des morceaux de cinname

Il s'endort dans le feu des parfums

Mais toujours il renaît, à lui-même toujours égal, jeune braise au milieu des cendres grises

Quand le temps sera venu de la tombe et du berceau, à la force de ses ailes, il ira porter l'offrande jusqu’aux portes du soleil

Grand Cahier.346.Refonds.007.Vols.08 {•••}


Mauves (mawe)



Étourdis par le vent
l'accastillage des oiseaux
dessus les toits de rouille

Même si les fleuves l'hiver

Portent pleine charge de neige
et morts-

-bois ( dérivent
et tanguent
et font leur danse.

comme un signe d'avenir

alors ils prennent à contretemps
l'itinéraire
et toutes voiles destinées
de nos étoiles

Grand Cahier.091.Refonds.007.Vols.09 {•••}


Grives



C’est une haie bleue séparant
des ciels de seigle
des arbres noircis par le gel
un pain de neige

L'hiver plein de santé
se nourrissait de froid

Vol,
une troupe de grives divague
soûle de vents
par les chemins perdus

Grand Cahier.092.Refonds.007.Vols.10 {•••}


Un passant



Je n’oublierai pas votre grande âme

Bel oiseau dont les ailes se plient et se déplient battant le jour le ciel plus bleu

Je n’oublierai pas votre voyage ni votre œil perçant qui trouve la proie !

Votre vertige en fondant vers la terre

Cela c’est le même pour nous Bel oiseau de plumes noires ou blanches

Je vous accompagne et salue votre libre et haut pas- sage

Marc Chagall
Nature morte au grand oiseau
(1968)

Grand Cahier.618.Refonds.007.Vols.11 {•••}

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte