Les effets de l'aube

*


Il n'y a rien dans l'air...



Il n’y a rien dans l’air
qui bouge ce matin. Rien n’a bougé de cette nuit, c’est comme hier
Chaque chose est à sa place
dans l’ignorance des autres. Toutes les choses sont res- tées au même endroit

Elles sont là reposées, tranquilles
 au point du jour

J’agrée de tout mon être à cette indifférence, cette muette patience. Pourrait-il exister une autre vérité ?

Je m’éveille j’
 attends, le plus longtemps possible

Albert Gleizes
Paysage cubiste (arbre et fleuve)
(1914)

Grand Cahier.583.Révolvie.030.Les effets de l'aube.01 {•••}


Prime



La couronne du gaz fait se cailler le lait
Cette nuit, la coupe du pain
A eu le temps de durcir
Le matin a réveillé le vent
Frouant, et ton cœur trompé qui bat
Une branche noircie frappe
Aux carreaux de la fenêtre
L'automne attroupe les feuilles rousses
Quand la terre se refuse
Le ciel jauni flotte sur les toits
Ta chemise est froide
Tu souffles les vapeurs de ton bol
L'œil précise et l'esprit songe
Aux soucis d'une journée qui sera belle

Grand Cahier.085.Révolvie.030.Les effets de l'aube.02 {•••}


Mai



j‘aime quand s’éveille la ville
m’en aller chercher le premier
le long des rues tranquilles

un moment les effets de l’aube
c’est une fenêtre qui s’ouvre
juste au-dessous du ciel

c’est un matin acide et frais
qui se ranime sur les toits

jeu d’ombre et de lumière
la nuit s’éloigne

» joli museau de Zibeline «
de tes bras blancs

écarte les volets
joyeusement

draps blancs défaits
le jour respire

Grand Cahier.035.Révolvie.030.Les effets de l'aube.03 {•••}


La colline



La colline est, visage défait batailleuse
Les premiers regards vont à la fenêtre ouverte

Ce sont des herbes pour tourment
De fraîches larmes qui reviennent
Une alouette surgit, monte

– Ô palpite sertie dans la clarté de l'air !

Tous les camps de nuit se retranchent
Sous terre, en bas dans la broussaille,
Sous terre en désordre s’enfouissent

Ce matin c'est le sacre du jour Le toit bleu
L'abri de qui attend amasse l'or du ciel

Grand Cahier.043.Révolvie.030.Les effets de l'aube.04 {•••}


Que votre rire...



Que votre rire est adorable
lorsque la vitre vous reflète

avec la pomme du soleil
et des morceaux choisis de cour

on y joue Les enfants s'effraient
des fusées jaunes d'artifice

qu'ils allument Fuyez, et vous,
venez ! Déliez pour moi seul

les fleurs de ce bouquet

Grand Cahier.229.Révolvie.030.Les effets de l'aube.05 {•••}


Inventons tout d'abord...



Inventons tout d'abord
une chambre d'amour,
petite, parfumée
de menthe et de mélisse

, et

Brillante dans l'été
comme un long cristal de chaleur
Blottissons-nous

et fermons les volets,
les volets verts fraîchement peints
d'une vieille cité

J'y réserverai, dis,
comme un coin de soupente,
un simple lit dans l'ombre
et bordé de draps blancs

Ma dévêtue,
de ces doux linges palpables qui tombent, qui t'entourent
de leur poids inutile,

tu t'échappes avec de beaux gestes de baigneuse

Réelle abeille ma farouche,
le miel blond de mes nuits,
mon rucher de désirs

Grand Cahier.290.Révolvie.030.Les effets de l'aube.06 {•••}


Le lever



La chambre a fraîchi
plus fraîche que le jour qui blanchit par la fenêtre
Le ciel nocturne se déchire

agrémenté sur l’un de ses bords, d’un parsemé d’étoiles, d’une ligne de rose qui s'étire

Je me penche au dénoué de ton âme ta joue a les couleurs de l'aube caressante, tu ouvres une paupière…

Ce qui d’un coup s’envole fait battre mon cœur

– Toujours
est un moment de sommeil qui s’accoude
lorsque se découvre l’aile d’un si beau corps
où l'or et l'ombre jouent

Grand Cahier.094.Révolvie.030.Les effets de l'aube.07 {•••}


Contrariété



Marie,
tes bas de laine

et le bleu chemisier léger que tu portes aujourd'hui, bas blancs chaussures blanches
et nœuds dans les cheveux, sais-tu
qu'ils sont un drame

Car il fait beau
et tu voudrais sur la terrasse en haut de quinze étages,
poser
petite table de jardin le parasol des sirops verts, et s'il fait chaud loin des regards

Dans les rondeurs du ciel dormir
tout un bronzage.

Grand Cahier.304.Révolvie.030.Les effets de l'aube.08 {•••}


Différence



Chapeautez-vous de vos galures
Recouvrez vos robes d’été
Longs – enfilez vos bas de soie

Laissez passer l’égalité dépassez-
moi – Sur place clouez-moi :

le sacrifice en vaut la peine
la Vie est là

qui nous chante un air d’autres merveilles
qui nous chante une gavotte, un air !

Énervez-moi,
que je m’agace
et désespère

Grand Cahier.567.Révolvie.030.Les effets de l'aube.09 {•••}


Jeune fille, où donc...



Jeune fille, où donc as-tu mis ta bague ?
– Perdue, je l'ai perdue je ne sais où

Près d’un ruisseau
Parmi les herbes longues

Le vent soufflait dans tous les sens
Vois-tu le soleil se briser ?

Et tant d’éclats
Tant d’éclats dispersés

Sur la crête des vagues
N’y a-t-il pas mil façons d’être libre

Verts tessons que l’on jette
chantants chrysobéryls…

C‘est une eau qui serpente
une eau qui les emporte

Grand Cahier.282.Révolvie.030.Les effets de l'aube.10 {•••}


L'amie



Il n'a pas attendu
que son amie revienne
attendre il n'a pas su
jamais ne sera sienne

Il a pleuré longtemps
sous l'oranger la belle
orange roule Est-elle
un signe au bord du temps ?

Dans les îles s'endort
tout un soleil
d'or blond

Grand Cahier.299.Révolvie.030.Les effets de l'aube.11 {•••}


Une rose



Une rose commune
Quotidienne une rose Désirée de nouveau Parfaite et sans appui Elle est simple de cœur Et n’a pas le souci Des pensées importunes

Donnez-nous de ce vin Ce qu'il en faut sans plus Un grand corps reposé Dites-nous haut et clair Deux ou trois des paroles Qui sont ivres de miel Comme guêpes des ruches

La terre est idéale Les ombres apaisantes La terre est exemplaire Accueillons le sommeil

Toujours à l'improviste
Partons la rattraper La belle chose rêvée

Grand Cahier.016.Révolvie.030.Les effets de l'aube.12 {•••}


Tu es, printemps d’or…



Tu es, printemps d'or
Vêtu d'éclats, de glace et d'eau,
Mon souvenir.
Tu es printemps, grandi de belle humeur
Au vert village de Normandie

Comment pourrais-je t’oublier ?

Le jour s'étonne en suivant le ruisseau.
C'est un endroit désert. Les champs
Sont barbés d'orge,
Ils sont monde et perle, ils sont beaux.
Le givre est dans la pierre

J'entends le clocher carré qui tinte

Sous le ciel dégagé, là-haut,
Une frayeur tourne sans cesse –
Le temps a blanchi, vivifié, lumineux
Un merle éperdument va siffler
Des bois rougis

Grand Cahier.040.Révolvie.030.Les effets de l'aube.13 {•••}


Courses



En suivant le caniveau les champs jolis le jaune de chaume et de moutarde
Et le bleu lumineux, rond globe de vents que féconde une chaleur aqueuse (vent
Mathématique aussi de la vitesse)
Le corps se barde en acier chromé de roues, de pi- gnons, de guidons célestes
Dieu comme on l'aime la montagne lointaine. Notre ar- due dentellière à la robe plissée brut
Désir n'y manque, la jambe
Tourne mais l'estomac tiraille. Le front ressue
À quand l'arrêt ?
Repos

Grand Cahier.312.Révolvie.030.Les effets de l'aube.14 {•••}


L'oeil



L'œil
est à la cime du ciel
un poids d'eau florissant

L’étable fume,
les bêtes reniflent dans la chaleur des pailles –

corps luisants blottis sous l'abri

Drue,
l'herbe pousse comme l'ennui,
comme un long tambour sur les toits,
comme une horloge qui bat,
où dormir

Grand Cahier.039.Révolvie.030.Les effets de l'aube.15 {•••}


Combles



Les gouttes glissent ... au long — des lignes désertées — les notes se font l’une — après l’autre la courte — échelle à portée de — l’oreille les mots, à — tue-tête s’alignent ... et — s’interpellent ... et peu — à peu le fil

Trouve sa mesure et se courbe – arrive au toucher de la terre — comme un long vivier qui s’égrène

Les années s’accumulent ... Le poème nous sauve Gouttent les mots noircis Sur le blanc de la page Résonnent en arpège Les notes des chansons Les gouttes tombent sur la plage Quand s'éloigne la mer Éclatent en soleil En couronne de lait ...

D’un œil bleuté s’ouvre l'iris au sable vert

Grand Cahier.024.Révolvie.030.Les effets de l'aube.16 {•••}


Pluie,



l'eau vivace qui tombe
Abîme le ciel sur la terre
De surfactives perfections

Noixelfér ettec ed euob al
Siuonapé sutol euqahc
Eétnemruot erreip euqahc rus

La vie croise la vie

Snoitcefrep sevitcafrus ed
Erret al rus leic el emîba
Ebmot iuq ecaviv uae'l ,eiulp al

Sur chaque pierre tourmentée
Chaque lotus épanouis
La boue de cette réflexion

Kohei Nawa
Le rideau de pluie
Force (2015)

Grand Cahier.413.Révolvie.030.Les effets de l'aube.17 {•••}

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte