.·.


Le temps n’est qu’un
Moment – est une cause
Perdue qui se répète

À l’infini – mais quand
Allez-vous le comprendre
Est l’aléa quantique

Et puce qui vous pique
Chose infime qui saute
Manquant d'être (jamais)

« Tant de temps à chercher
Me voici déconfit »

dit l’homme
enfin
qui meurt
Josef Koudelka
Citadelle d'Amman, temple d'Hercule
(2012)

Grand Cahier.770.Intérieurs, Extérieur Voix.Demeures.22

En nous


 (Brod und Wein)

dieu d’un homme,

pourquoi
ne plus apposer ta marque
sur le front de celui-ci,
ta niche creuser
dans cette vie singulière
qui nous découvre
au fil du temps

tu as cherché
n’as rien trouvé, qui
n’as pas voulu

on dit qu’il est trop tard
la fin est proche
comment vouloir
comment crois-tu
que tout va s’évanouir
une autre façon nous attend
peut-être

apporte toujours
plus libre et forte cohésion
à tout ce qui est humain
écris et remémore en toi
chacune des étapes
au hasard de la route
écris ce qui est tien

dis et retrace ton rêve
Pablo Picasso
Paysage aux deux figures
(1908)

Grand Cahier.769.Intérieurs, Extérieur Voix.Demeures.21

Courbes du temps


j’ai ralenti de vivre car
étant éloigné, loin de vous
j’ai voulu savoir
quel serait le futur

je suis parti, il fallait que je parte pour que le temps se courbe
et qu’au tournant
je vois le monde sans retour

et si j’ai eu ma chance
et connu mon bonheur

– mes amis sans rancune,
et à toi non plus, toi
à qui j’avais tant voulu donner
et que j’ai perdue
– je n’ai rien pu dire

sur la route improbable
Ulysse est égaré

jamais ne reviendra
attendu de personne
disparue dans les brumes
Ithaque se dissipe
Vassily Kandinsky
Courbe dominante
(1936)

Grand Cahier.768.Intérieurs, Extérieur Voix.D. aurait dit.37

Tenir


Ces longues laisses d’algues poursuivies lorsque l’eau de l’océan se retire
où m’ont-elles conduit ?

L’étendue de la plage maintenant, songe
et patiente

(dis-moi) sargasse
qu’attends-tu de cette houle, ces vagues

quel retour au loin
va te submerger, comment peux-tu rester dans cette vase, planté à espérer que l’eau revienne
et que tout se relève

– Piquet là planté –
mais il est trop tard

Face au
reflux,
n’est mal
château

qui
tienne
Henri Rivière (1864-1951)
Estampe N° 5 L'écume après la vague
1892 (Tréboul - Bretagne)

Grand Cahier.767.Cahier bleu-vert.Perditions.15

Les fleurs du moment


Abeilles de fer
aiguilles d’argent
vous enrichissez
vos ruches du miel
des fleurs de sang vert,

nourrices de retour épuisées
par le sang jaune

Libellules
– de fer et de mort –
quadrige d’ailes
au sang noir dévastant
la fleur des eaux

Cervelles de cuivre
et de silice, triangles parfaits
de symétrie, fleurs
d’étincelles
au miroir des temps

vous êtes une même nature
animale-humaine
Odilon Redon
Fleur de sang
(1895)

Grand Cahier.766.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.20

Tanière


L'univers
et ses milliards de temps et d’espaces

contenu dans
son maintenant insaisissable

n'est qu'un petit endroit qui s'agite,
un petit endroit neuronale
dans ta cervelle
où dehors et dedans
s'entremêlent : rouille et cendre

Et ce n'est que rarement
que tu fréquentes ces circuits
trop occupé par l'atelier de ton corps,
par la courbe des chemins
qu'il emprunte

Et des rencontres éphémères,
ces autres corps
qui le distraient,
le nourissent
et parfois l'égarent

Mais dis-toi bien qu'un jour
ce petit réduit si

vaste sera ta
tombe

Fu Baoshi de Xinyu
Rêveur (1942.1945)
La royauté est passée sous nos yeux,
comment situer l’espace infini
Cheng Sui

Grand Cahier.765.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.19

Arrêt sur image


La vie bouge elle aime
le mouvement qu'elle inventa une fois pour toutes, et à jamais

et lorsque tout se fige

pour moi sur ce banc assis
au bord de cette blancheur froide et matinale
où rien ne diffère

qu'y a-t-il à voir en dehors de moi-même
de mon temps de vivre

ai-je peur
de ce silence, de cet exécrable espace
de désolement

quand les images ne sont plus
comme au cinéma
l'une après l'autre substituées – si grand est leur nombre à chaque instant
Paul Cezanne
Homme assis
(1905/1906)

Grand Cahier.764.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.18


Le désir


est un phénix au
nom rouge ou palmier

ou doigt de lumière

paume d’une main
fertile
  alliance
victorieuse donnant
miel et vin

chimères
et poussière
du pain s’entourant
d’une douceur
de lait

le désir
est frondaison ou-
verte au soleil
ou fermée

sur sa nuit
d'une profondeur
immémoriale
Katsushika Hokusai
Phénix fixant les huit directions
(1818)

Grand Cahier.763.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.17

Le buisson


C'était une route
impossible
incertaine sans marque et sans
appui je le savais

il eut été
préférable de suivre
la courbe je l’aimais, aux plis
nombreux

- qui les pousse à l’infini mais
blessé j'ai pris

car il n’est d’autre vérité que le hasard
(l’itinéraire n’est pas tracé) il n’y a que des cairns et c’est à dire peut-être ici ou là différemment

et d’un pas j'ai franchi a-
percevant une clarté
le buisson de cette impasse
Jacob Isaacksz van Ruisdael
Le Buisson
(1649/1650)

Grand Cahier.762.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.16


Le plus petit morceau


qui soit

incommensurable
unique et innombrable
unique et chargé de la toute
puissance de son être dans une lumière
qu'il ne peut voir

s'il était seul

quel espace occuperait-il
occuperait-il tout l'espace

mais de quel

espace s'agit-il, celui
de sa lumière ?

et comment espace et lumière
seraient-ils sans les autres

et qu'est-ce donc
qui s'alterne puisqu'il est seul ?
Hans Hartung
T1982-U1
(1982)

Grand Cahier.761.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.15

Parturition


Ne sois pas dans l'embarras
devant cette débauche de viscères

nu,
couvert d'urines,
(edere) il vient d'être édité
du sexe de sa mère
qui le projette

mais qu'est-ce à dire : mettre au jour ?

Symptôme isolé maintenant
qui se dresse encore
fébrile sur ses pattes
et souillé

petit animal jeté là dans la vie
pour mourir
tu ne sais rien du jour

du réel
étonné à jamais flottant
illocalisé
Stanley William Hayter
Parturition
(1939)

Grand Cahier.760.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.14

Cheval


Et du cheval conserve sa fraternité
non la bêtise

observe les autres
avec son oeil qui tourne de côté

mais conserve pur (c'est-à-dire, fait briller de ses crins) et le jour et la nuit

ensemble et sans mélange, alterne

dompte sa fougue,
qu'il ne fuit pas !

Et que la vie
devienne
Franz Marc
Der Turm der blauen Pferde
La tour des chevaux bleus
(1913)

Grand Cahier.759.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.13

Taureau


Souviens-toi
du taureau

toutes fenêtres bouchées
tête baissée
cornes

à l'encontre de l'intrus
ou de quiconque cherche
à l'empêcher

– d'être libre
enfin

au-delà
de la barrière

souviens-toi de
son souffle créateur
Pablo Picasso
Nature morte avec tête de taureau, livre et palette
(26.11.1938)

Grand Cahier.758.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.12

Choix de vie


Sur la route bien tracée
que je n'ai pas voulu suivre
(j'aurais dû courber l'échine)
il n'est plus que le désert

– mécaniques inhumaines
simulacres et plastiques
envahissent tout l'espace

J'ai préféré traverser
le bois de fleurs et de ronces

J'ai préféré la semence
la floraison de folie

sa naissance irréparable
elle, qui ne peut se voir
et qui grandit et qui pousse

(emportée) comme un torrent
à la force irrépressible,
fétu dont le nom se perd
déposé dans les gravats
Franz Marc
Petite composition III
(1913-1914)

Grand Cahier.757.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.11

Chimères


En ce temps-là brillaient
très haut et fort,
et le soleil et la beauté

Tu vivais dans l'ignorance

et te fascinait une sorcellerie
de cornes
de becs d'oiseaux

un enchevêtrement de tubes organiques
des corps d'animaux - chimères
qui te ressemblaient

(Comment s'assemblerait ta vie ?)

et formaient une structure
commune, héraldique

Purs symboles
dont je pressentais les noms
et les filiations

au sein de cette ferme au coeur
de la nature
Gustave Moreau
La Chimère
(1867)

Grand Cahier.756.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.09

Incendiaire


La terre est verte
le ciel est bleu

J'avance à grands pas sur mon chemin de terre

Qu'y a-t-il au-dessous
du temps qui creuse
notre destin

et qui épuise nos étoiles

Le monde dort encore
je me suis réveillé
trop tôt peut-être

Le champ brûle
et je demeure en un lieu
incertain

tous les champs brûlent
nos cœurs saignent

Qui a allumé l'incendie
qui va l'éteindre

Il faut avancer toujours plus loin
c'est inéluctable

La terre est grise
le ciel est noir

maintenant
Giuseppe Arcimboldo
Feuer / Feu
(1566)

Grand Cahier.755.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.08

Cosmos II


Tu te pares embellissant ta nature
mais ton royaume en avait-il besoin

Toute vie qui est là et qui s'affirme
faite de symétries et d'équilibre

n'est-elle pas ordonnance parfaite

Et le temps, le temps où tu te maintiens
est une force indomptable et qui use

C'est un chemin qui te courbe et t'oblige

Mais l'écart
mais le saut de côté
mais le creux du buisson
le passage

qui te remplit d'espoir et t'émerveille

Cette vie animale
cette variété qui fascine

à peine sorti du jardin
à peine sorti du lit des douleurs

auprès de la cloison gris-bleu des morts
c'est cela ta parure
Paul Cezanne
Le chemin du Mas Jolie à Château noir
(1900-1902)

Grand Cahier.754 .Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.07

Cosmos I


Sur le miroir de Singh, pavé d'images
des êtres composites se recroisent
Chacun à son échelle et son niveau
bien assorti s'accouple, dissemblable

Main tendu vers le reflet d'un tissu
alliant le kitch et les métaux précieux
Objets et corps mêlés du quotidien,
laideur et beauté s'encombrent, et s'attirent

Cette accumulation de mauvais goûts
comme un tableau des séries policières,
t'incite à rechercher dans ce fouillis
tout un ornement d'ordres, et de mesures
Raghubir Singh
Miroirs d'une boutique de rue d'Haora, Bengale
(1991)

Grand Cahier.753.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.06

Le vieil homme


on dit que le temps suit sa ligne
imperturbable

mais c'est faux

on dit que (le monde) ou la vie
l'air – l'eau – la terre et les choses
suivent leur pente, la seule
possible
et qu'elles sont dans l'ignorance

mais c'est faux

le temps se dissipe et s'évapore
ne laissant que des souvenirs dans la tête d'un vieil homme qui, troublé, résiste

qui lui-même retrace
les chemins et les aîtres tant de fois
parcourus,
poursuivis et puis

peu à peu voit tout
qui s'enfonce tout qui s'efface
Jean-Honoré Fragonard
Un Philosophe lisant
(1768-1770)

Grand Cahier.752.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.05

Pirouette


Alors je les voyais,
toutes les choses freinées là
dans l'espace du monde
– un monde familier
et chargé d'inconnus –
et je les poursuivais
et je n'avais pour guide
que l'axiome du vivre

Mais elles, qui se montraient
et se cachaient tout autant,
autour de quoi pouvaient-elles
continûment tourner
Quel que soit leur état
paisibles furieuses / ou contraintes
je les regardais
parfois je les attrapais
et les serrais très fort
pour exprimer leur nom, peut-être
jusqu'à les tuer
František Kupka
Autour d'un point
(1920-1930)

Grand Cahier.751.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.04

Limite


L'élan de la parole
déchire
les temps et te renvoie vers

une ferme
depuis cette fermette
séparées par un chemin

coudé
menant à l'inconnu
où circule des machines –

limite poreuse d'un
grammée buissonnant
de feuilles ne

pesant rien
que tu franchis alors
avec bonheur
Chaïm Soutine
Paysage avec personnages
(1918)

Grand Cahier.750.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.03

Rêves


Toutes les nuits, s'empreignent – dans la cire et puis s'animent –

des lettres insensées
bruits de vie, simagrées
enchaînements déchaînements de calembours
ou simulacres ou fantômes libidineux

qui font des poses prenant corps
précipité de la mémoire
concrétion, condensation au fond du puits de ton coeur pathétique,

de joie ou d'angoisse – cris
bondissant sous les voûtes du portique

ni dedans ni dehors
au plus près du temps
Florence Dussuyer
Marie-Lou,
Exposition : Longtemps, je me suis couché de bonne heure
(2015)

Grand Cahier.749.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.02

Demeures


Demain j'irai vers ma demeure
dernière
Elles sont toutes de livres ou presque, elles sont mémoires, à l'exception de la première

qui n'a pas de souvenirs
  (les mots du souvenir)
rien que des rêves, et des cris
ou de simples images sans mot ni paroles
livre de pages non encore écrites

emplies d'une vie animale, d'une vie liquide végétale aérienne et fleurie – sèves sangs sueurs spermes

corps se touchant qui s'engendrent

Mais la dernière
  page ma dernière
    demeure elle, sera blanche
Pablo Picasso
Bacchanales d'après le Triomphe de Pan de Poussin
(1944)

Grand Cahier.748.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.01

Joie


Toute heure
est maintenant
suprême

et fait de nous
bien plus

que cette agrégation
d'atomes,

ce que nous sommes
en vérité –
la somme unie

de notre corps
que même la voix ne
peut dire

Elle qui bâtit
chaque jour
son tissu de coups d'aile
Stela Barreto
Criações poéticas XXV
(2018)

Grand Cahier.747.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.36

Au temps, aimer


Les mots que je pourrais dire
voilent, en vérité et ne
retiennent

que l'objet du désir
de ta lumière

Qu'est-ce
qui tourne autour de toi et
qui flambe ?

Mais que puis-je
si ta présence est aussi forte

rien n'arrive et rien ne ressort
de ce point, semble-t-il

de ce corps

qui m'attire et me rejette
qui me fascine (quel dehors)

À quoi tient ta force d'être ici ?

toi, rien n'est vide tout est plein
moi, tout est vide et rien n'est plein

un tour encore et l'on s'en va
Christian Bonnefoi
Collage de papiers teintés
(2000)

Grand Cahier.746.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.35

Clairière


C'est une lente lumière
qui peu à peu

sort de l'oubli
et illumine ton passé

rajeunissant les morts
dénudant toutes choses
réveillant le chaos

Elle est nue
mais son propre visage s'efface
et ton regard se voile
Paul Cézanne
Clairière
(1895)

Grand Cahier.745.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.34

Trois yeux


Le monde est dans ma tête
ma tête est dans le monde
nous avons trois yeux dans la tête
l'un qui ravit l'autre qui laisse

Aussi pour plaire, on évite
on alterne
(à chacun sa manière et sa moitié du geste)
on retarde l'échange

et si la rencontre se fait par
maints détours
l'esquive des regards
est fructueuse – il y parait alors
jaillissant hors de son lieu,
la é de l'éloge
et le don de quelques fruits

Mais le troisième qui fixe
un point de mort

qui ne veut lâcher prise
qui ne voit dans sa visée
qu'un reflet (au miroir de lui-même)
visée trop sûre
visée trop forte

n'aboutit qu'
au démon au fantôme de pierre
Paul Klee
Garten-Plan
(1922)

Grand Cahier.744.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.33

Étoile, peut-être


une étoile tombe, dis-tu
dans la nuit d'août

puis tu revendiques
l'impersonnel

mais le ciel d'août est-il encore
peuplé d'étoiles

sec et dégagé d'une torpeur torride
plus rien qui s'annonce de bon
plus de traces
ou trace d'une trace
     plus de pistes
tout est blanc
tout est phosphore
tout est missiles

tout est désannonce dans l'empire / ordres irrationnels / insatiables invectives

et toi, B. qui arrêta d'écrire, pourquoi réécris-tu, avançant, pas à pas – y mettant de la tête –

et sans attendre la vue
ou la venue de l'
oiseau sauvage dé -
voulant, tu avances créant

les conditions de l'apparaître
Est-il trop tard ? Est-ce la fin...
si courtes elles
sont leurs trajectoires
Felix Vallotton
Coucher de soleil
(1913)

Grand Cahier.743.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.32

Poésie


L'effraie soudain,
là aussi

frayant,
sursoit à l'appel
diffère au dehors
puis

s'implique dans le jour
et d'une nuit peut être
rejette sa dépouille
se moque du sarcasme
rattrape son retard
dit qu'il est (encor) temps

triangule son Noether
et d'un pôle à l'autre
meurt et renait :

différant
Philippe Degraeve
Portrait de l'Oiseau-Qui-N'Existe-Pas,
sur un poème de Claude Aveline
(1950, 2005)

Grand Cahier.742.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.31

Traversée


Rebord de ma fenêtre embouteillée
de tant d'accidents verts et vivants encore

de tant d'événements passés
qui se tiennent là / immobiles et prêts à bondir

sur la proie que je suis
Yeux bleus rayons
fascinants qui régnaient /

je vous demande merci

Ah, si je fus pour un temps – imperator
inutile et oisif

jamais je n'ai voulu
arracher son butin au monde,
voyageur

j'ai traversé les âges, impénitent et sans but

André Lhote
La fenêtre à meneaux à Mermande
(1940)

Grand Cahier.741.Dispersion.001.Baumes et regrets.16

Amie


ce qui entre ou qui sort
de ton royaume
est la part du rêve

est l'ivresse où mes yeux
s'accordent
aux tiens, est le don

d'une force nouvelle
tourné vers des futurs

nous nous sommes racontés
(dans) nos rêves nous

qui avons résidé longtemps
et pourchassé, ensemble

Dora Maar (1907-1997)
Série n°115
Seconde moitié du XXème siècle

Grand Cahier.740.Dispersion.001.Baumes et regrets.15

Détachement


Sans que j'y prête attention
du présent excède l'apparaître

comme un nuage dans le rien du bleu

non, le bleu qui se retire
caché par le nuage / mais le nuage
qui se détache dans le rien

du bleu
dans l'air vif ( ) du matin
sans que l'on y prête attention

ou de l'absence alors... avec lenteur,
dans la levée progressive et tardive du soir

comme un tremblement de nébuleuse
comme Andromède

au clignement incertain
sur les gouffres du canyon
Joan Miró
Photo : Ceci est la couleur de mes rêves
(1925)

Grand Cahier.739.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.30

Choix


ce qui est ni vivant ni mort, prend trop d'ampleur
aujourd'hui

et qu'est-ce donc ?

ce virtuel, cet artifice, et l'évitement du dehors son pil- lage incessant, machinal

comment y remédier ?
où trouver son devoir d'être – si ce n'est dans le graphe du vivre

avec pour chacun son point de témoignage, sa coupure éthique, en propre, son éclat nocturne et incertain, blanc sur noir, tant de noir et d'oublis

mais, pie voleuse / échapper ainsi à l'igno-
rante cruauté
Jean-Paul Mousseau
Sur le plan des deux axes
(1951)

Grand Cahier.738.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.29

Arrêt sur image


tôt en ce matin de fraîcheur méritée, je suis retourné devant le grand cercle

aux carillons suspendus dans le vent. Micas

rouges et noirs, gris et blancs tracés de lettres illisibles, balancés, oscillant pour personne

– les mots l'emportent-ils
sur les images qui s'estompent,
et disparaissent

quel récit se cache condensé en cet instant fatidique au coeur d'icelles –

image conséquente / que nous dit ta « prosopopée » qui brille ou s'assombrit, schéma de ton âme
vérité ou théâtre
Sonia Delaunay
Autoportrait
(1916)

Grand Cahier.737.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.28

Solitude


Je ne suis pas ce figuier-lyre
mais je le suis
dans sa lumière

Beau chien blanc
magnifique animal assoiffé
qui lape la rivière devant soi

Poisson qui sort de son monde gobe
une mouche, et retourne

un lézard apparaît
sur la pierre
au soleil

Tous les trois
sont en rapport, ils sont liés, agglutinés
les uns aux autres

Mais aucun des trois n'est seul
devant les autres

Comment voir la signature / des choses

sans la fausser
sans y mettre son cancel

Comment les laisser être
puisque c'est nous (qui les voyons
dans leur lumière)
et seulement

Joan Miró
La naissance du monde
(1925)

Grand Cahier.736.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.27

Plain-chant


Je ne suis pas ce figuier-lyre
qui veille
sous la lumière

Je ne suis pas cet animal qui dort
au fond de sa tanière

et qui ne sort de ses tuyaux
que pour survivre (et que pour tuer)
retournant y dormir une fois rassasié,

mais que faire /
d'autre
lorsqu'on est apaisé,
que le jour nous assomme

Sort-il véritablement quand je dis qu'il sort. Qui ren- contre-t-il, qui pourrait-il rencontrer
puisqu'il n'est jamais seul,
toujours pris dans son réseau de nerfs

Comment pourrait-il voir
ce qui, venu d'ailleurs précipite
en un point

et prend son temps pour exister

Obscure, aveuglante énergie de la source
et qui trouve son lieu
appuyée à la rambarde / et sa tonalité

Cela résonne alors à chaque étage et parcourt la cage d'escalier qui l'entoure

Comment pourrait-il jouer le jeu
en sachant qu'il va perdre
La main guidonienne
UPenn, Ms. Codex 1248, f. 122r

Grand Cahier.735.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.26

Imaginateurs


Nous sommes tous ancrés dans ce monde
ancrés
à proximité les uns des autres

sans vouloir nous détacher
Nous détonons tous, imaginateurs (apparemment libres mais ancrés)
Qui donc choisit le monde, qui
choisit son monde ?

mais le monde qui est là et qui en est la somme n'est
pas ancré Autrement que
sur le fond,
   déchiré
du néant

bernacles d'oie agrippées à la roche / crabes orangés qui menacent / douloureux poissons qui claquent / et qui se tordent / pris par le métal ou par la poche d'eau

les filets sont apaisés
et pour un temps la barque est pleine
(la petite barque chargée qui oscille
de tout son poids de pêches)

et toute cette exubérance elle
va partir à la décharge et Sans fin,
le cycle recommence

ancrage et des-ancrage de pierre
désencrage des lettres
fin de la trace
Claude Lorrain
Port avec l’embarquement de Santa Úrsula
(1641)

Grand Cahier.734.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.25

Sacrifice


Mais quel ennui que d'être à ce point / chercheur d'ombres
et d'artifices / bousculé par le vent

mais quel oubli du corps ! du corps
vivant
en son milieu
parmi les êtres et les autres

le corps
nu, vivant sexué

Il faudrait irriguer de nouveau, rafraîchir à l'intime du regard pour que soit féconde enfin
toute une science –

Rentrer, au seul jardim (enclos végétal et vert)
et avec calme et raison,

enfanté de lumières, vivre alors
de l'autonomie des mots
Jesper Christiansen (Danemark)
Luften over Høve Stræde
(2020)

Grand Cahier.733.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.24

Comédie


La vie est élastique, elle
bouge
d'ici à là, elle
va, pose son pied va,
mais vers


Je suis nous sommes
ou nous allons l'être suit la pensée, donc il est à la traine, il traine comme elle
trace des lettres. Il est sa traine

C'est une île, une fièvre, c'est un lièvre qui bondit sur le pré qui s'échauffe pour rien sous le soleil brûlant,

qui broute trèfles
et serpolets
qui régurgite des rêves
oubliés aussitôt
ou crotte au bord du chemin, comme elle
s'inquiète

L'être et les êtres suivent
l'être suit
les êtres suivent
les lettres à la trace

ils ou elles sont la suitée d'une pensée féconde
Si les pensées tournent en rond
l'être tire

sur la chenille
Due Zanni d'après la gravure de
Jacques Callot. Les deux Pantalons
(1616)

Grand Cahier.732.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.23

Mais


ce qui gît là
ne pense et n'a rien
à voir (avec moi
qui pense) et le regarde

nulle séparation
nul évanouissement n'existe
que l'intime évidence
de la pure
sensation – que l'
étincelle d'un jour qui
feule et nous
griffe

mais la pensée
est
   (très construite de mots)
non l'instant
qui la précède

non
l'éveil
ou la vigilance
de l'animal – en vie
soucieux de sa préservation

          mais l'écart
devant la mort qui vient, et
vient toujours
Paul Cezanne
Nature morte au crâne
(1895-1900)


Grand Cahier.731.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D. aurait dit.22

Étendue


Ton premier mouvement,

la première
distance parcourue – est celle
de ton corps

est l'explosive effervescence d'une bouche
à l'assaut du néant

et bientôt, elle est
cette mesure
de l'indéfinissable étendue qui te taraude l'écart infran- chissable qui sépare

la saisie de tes mains
de la portée de tes yeux
Rufino Tamayo
La gran galaxia
(1978)

Grand Cahier.730.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.21

... Miroir de Fournival ...


Oui, mieux fus-je pris
dans les rets de mon voir

comme l'est tigresse au miroir

qui dès lors ne sera
écorchée de ses faons

bien qu'ils soient emblés

si elle encontre un miroir
plus ne lui convient
qu'on lui rende ses yeux

tant elle se délite
et lui plait à regarder
la grande beauté

de sa bonne silhouette,

elle oublie de chasser ceux
qui ont emblé ses faons

et s'arrête devant celui-là
comme prise
Oïl, miex fu je pris
par mon veoir

ke tigres n'est al mireoir,

ke ja tant ne sera
corchie de ses faons,

s'on li emble,

e s'ele encontre un mireoir
qu'il ne li covingne
ses iels aerdre.

Et se delite tanta
regarder
la grant beauté

de sa bone taille,

k'ele oblie a cachier chiax
ki li ont emblé ses faons,

et s'areste illuec
comme prise.
Richard de Fournival
Bestiaire d'amour
(~1250)

Grand Cahier.729.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.20

Apollinaire


ni la paix ni la haine
en ton nom –
seules
sont dédoublées tes ailes

où est le serpent qui siffle dans ton ciel / quel est ton abri dans cette guerre ?

tu disais « que la guerre est jolie

mais l'avant
de la guerre où l'on pense à l'amour
ses chants ses longs loisirs qui donne du courage
cette bague polie ah mon Lou ce pays

mais l'après, ces trous à hommes partout, partout !
on en a la nausée / des boyaux des obus / des débris de projectiles / des cimetières »
Eugène Montfort
Portrait de Guillaume Apollinaire
travesti en Louise Lalanne
(1909)

Grand Cahier.728.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.19

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte