Les vies diverses du talus


Prenez la route noire en sortant du village, vous verrez, vous entendrez peut-être, au jardin haut perché, la femme en sarrau bleu. A ses lèvres s'accroche une verrerie d'oi- seaux fins, d'oiseaux multicolores, des oiseaux d'opérettes. Jeune, elle sourit au bel été mais il lui faut courber l'échine. L'air est sec et le travail pénible. Sarclage des chiendents, binage vont former pour aujourd'hui son lot de pauvreté. Si parfois elle relève la tête, c'est pour voir son enfant, sa vie si chère, assis dans l'escalier ou dans le creux des herbes longues. Il joue, il découvre, il ne sent pas les heures qui passent. Il y a tant à découvrir, tant à déloger des fissures du muret.

Theodoros Stamos
Stèle du monde (1948)

Grand Cahier.213.Refonds.002.Hortense.02

13ème sonnet


Voller Apfel, Birne und Banane,
Stachelbeere ... Alles dieses spricht
Tod und Leben in den Mund ... Ich ahne ...
Lest es einem Kind vom Angesicht,

wenn es sie erschmeckt. Dies kommt von weit.
Wird euch langsam namenlos im Munde ?
Wo sonst Worte waren fließen Funde,
aus dem Fruchtfleisch überrascht befreit.

Wagt zu sagen, was ihr Apfel nennt.
Diese Süße, die sich erst verdichtet,
um, im Schmecken leise aufgerichtet,

klar zu werden, wach und transparent,
doppeldeutig, sonnig, erdig, hiesig — :
O Erfahrung, Fühlung, Freude — riesig !


Pomme entière, banane et poire,
Groseille… Tout cela dit mort
Et vie dans ta bouche… On dirait…
Lisez-le dans les yeux d’un enfant

Qui les goûte. Venu de loin cela va-t-il
Ineffable lentement fondre en bouche ?
Là où étaient des mots s’écoulent des vestiges
Libérés par surprise de la pulpe des fruits.

Osez dire ce que vous appelez pomme.
Ce sucré, qui d’abord se condense pour,
Au sein du goût se dresser doucement,

Y devenir clair, vif et transparent,
Ambiguë, ensoleillé, terrestre, d’ici – :
Ô savoir, toucher, plaisir –, Immensité !

Rainer Maria Rilke - Sonnets à Orphée - 1.13
Traduction - Christian Guernes

Refonds.002.Hortense.00


*


Tout questionnement de l'homme
engageant son être ultime
comme sa situation dans le monde
s'enracine dans ses premières expériences

(Maurice Blanchot)

Déroulé


Chemin, l’écheveau du chemin se dévide vers la gauche, inaperçu parmi la poudre des rochers, des écailles anguleuses hérissées de touffes de pins sauvages, une forme peut-être et vague un rêve de dragon dans la brume

De biais l'emprunte un homme que suit le plus petit des hommes son portefaix

Au détour d'une paroi de papier (elle s’évanouit de blancheur, la tête fière) la quille d'un village surgit dans le clairsemé des baumes, le désordre des nuées

Est-ce un casque, des bois râcheux de guerrier qui s'avancent, des toits peints de sang courbés comme des sabres ?

Terrés de frayeurs dans leur nid de chaumes et de branches, les hommes disparaissent, ne se voient plus ; rien ne se voit plus que la peur

Les buissons crissent d'aragnes. Le pinceau a tracé dans le ciel déchiqueté d'orages, tout un jeu de plans effondrés involontaires, de plis dans l'air, d'œils‑de‑kami, de froissements

Sous les arbres noircis qui l'ombragent, le chemin, c'est aussi parfois la fraîcheur du ruisseau, le lait d'un serpent dans les anfractuosités de la terre, un enfant, un vieillard aux longues manches traversant le pont de pierres

C’est une rampe qui s'incline, un rideau qui coulisse et qui s'ouvre, une autre vue, des branches qui percent à même la roche fleurie. Le damier des joncs envahissant l'espace des eaux plates

Jusqu'aux mâts détourés, jusqu’à ces quelques pavillons frais badigeonnés ; les hommes s'affairent, marchandent sous l'auvent ; une barque se perd dans les vapeurs du lac


Grand Cahier.123.Refonds.001.Solitudes.11

Les portefaix se lassent
et leurs bras abandonnent les fardeaux
balots de jour ficelés dans de mauvaises toiles à matelas
Les quais s'étirent
et ce sont de longues dalles de hantise
pavés-fantômes
dont chaque aspérité est le souvenir d'un os

Michel Leiris
Savannah, Haut mal (1943)

Intensités

Die Sonnenblumen

Ihr goldenen Sonnenblumen,
Innig zum Sterben geneigt,
Ihr demutsvollen Schwestern
In solcher Stille
Endet Helians Jahr
Gebirgiger Kühle.

...

Les tournesols

Ô tournesols dorés,
Avec ferveur, prêt à mourir,
Ô très humble sœur
Dans un tel silence
Prend fin l'année d'Hélian
D'un froid de cimes.

...






1.
Je me souviens que nous allions, l’un à côté de l’autre nous cacher vers les hauts, dans la touffeur des combles. Brûlante venait la soif, comme les griffes du Tigre sur une peau tendue, comme une poussière d’Égypte dans les rayons du sel. L'ascenseur tirait à l'infini les corps patients ; je me souviens que nous mourrions, que la faim nous prenait aux claires-voies du désir. Chairs tuméfiées sur les parpaings du temps.


Matta – S'unir par les plaisirs (1982)






2.
On plie le corps contre un bois de charpente. On blesse le cœur qui cogne trop vite. La peau va s'érafler. Une écharde, un peu de sang va pénétrer dans la poussière. La bouche se ferme et s’ouvre, on halète. C'est à se mordre la langue.
La guerre va s'aggraver malgré les larmes

Et les faims, et les soifs, elles vont grossir, elles vont enfler encore. Les ballons couleur de soleil vont éclater, ils vont crever. Qu'il rie, qu'il acclame, qu'il mette à sac tous les édits !
La barre du jardin a versé où l'ortie foisonne.

Matta – The Unthinkable (1957)






3.
Aspiré par le dehors,

je descends la roche des Rames que la bruyère recouvre, traverse la rivière et, saisi par l'inutile énervement du jeu, les bras battants, me précipite sous les hêtres d'un versant troué. Combien de secondes va-t-il falloir attendre avant le ploc dans le gouffre sans fond ? Je tire au pistolet de poing, incohérentes et mortelles trois balles qui sifflent dans l'air. L'une d'entre elles abat dans un éclat de lumière un triste pluvier. Bourre de plumes que l'eau de la cascade emporte.

Matta – fragment de Watchman, What of the Night ? (1968)






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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte