Trois fils

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Mélopée des villes...



Mélopée des villes, des chanteurs de rues

Des automobiles et des trains surgis ici, en mon âme, et là-bas aussi bien — Quelle différence cela fait-il l'en-dedans et l'au-dehors — l'essentielle inexistence en moi et hors de moi des choses

L'univers ne tient-il pas tout entier dans l'étroite lucarne de tes yeux, dans le coquillage océanique de tes oreilles

(pulpe et graine sous la dent, fraîche salive des nuits, fumée du vent qui froue dans les fossés)
Sens-tu

Le rythme d'encre au bout de tes doigts

Le rythme accordé de l'être avec le monde, sans avan- ce ni retrait, s'en allant d'un même pas

Le son d'un triangle parfait

Pedro Alves - Lisbonne 2018
(Largo do Duque de Cadaval - Rossio)

Grand Cahier.628.Alentour de Soares.041.Trois fils.01 {•••}


Sublime comptable...



Sublime comptable de la ville de Lisbonne
Écrivant les mots de son salut
Claironnant l'aurore qui l'engendre,

Comme au désert
le moine éloigné dans sa solitude,
l'ermite percevant dans les pierres et les grottes la sub- stance d'un Christ

Ces chiffres, ces marques du registre, dont les lignes sont tracées à la règle
Sont bruits du monde eux aussi, monde qui recèle tout un peuple d'exilés qui en font la valeur
– le moine, l'ermite, le navigateur ou le poète –

toutes les portes qui mènent aux Indes et à l'orient de toutes les musiques

Et ces marques banales du néant valent bien les mots rimés qui s'additionnent, et qui s'alignent dans le tissu de ma vie

Henri Michaux - Bilbao Salle306
(La vie des signes - 1963)

Grand Cahier.629.Alentour de Soares.041.Trois fils.02 {•••}


Parallèles



Depuis longtemps, ces phrases que j’ai pu dire sont sans mémoire – depuis longtemps ces phrases (réécrites sans cesse) n’ont plus de liens avec moi-même

Pareilles
à des gens à qui je parle, ou qui me parle, mais que j’écoute à peine

Fasciné par leur physionomie, la fréquence et le rythme de leur mots – qu’ils s’en viennent ou qu’ils s’en aillent

j’ai le souvenir sensible d’une inflexion de voix, d’un geste de la main ; je note
avec une précision photographique
une mimique musculaire, l’émotion affichée sur leur vi- sage, une expression faciale qui les éclaire

Mais ce qu’elles ont pu me dire, de l’essentiel,
je n’ai rien pu gardé
– et que leur ai-je dit déjà de mon côté,
voulais-je m’adresser vraiment à elles
– était-ce bien à moi qu’elles étaient s’adresser ?

Ces phrases
elles me sont devenues étrangères
et ont suivi leur voie.

Nous vivons,
séparés par l’oubli désormais. Nos chemins
de vie sont parallèles

Henri-Michaux
Meidosem (1948)

Grand Cahier.634.Alentour de Soares.041.Trois fils.03 {•••}

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte