[A ESCRITA E A COSTURA]


[a escrita nunca deixou
de ser costura: posto
que linha; posto
que agulha; posto
que laços 
e posto que nós; 
posto que franjas 
e posto que fímbrias.
alinhavos de bainhas 
e bordaduras, 
tecitura e tessitura, 
e as lâminas ávidas 
da tesoura, posto
que corte, posto
que cesura, posto
que síncope 
de uma música 
sempre estranha.]




Paulinho Assunção (son blog)
Belo Horizonte - Minas Gerais - República Federativa do Brasil

***
[L’ÉCRITURE ET LA COUTURE]


[l'écriture jamais n'a cessé
d'être couturière : puis- 
que le fil ; puis- 
que l'aiguille ; puis- 
que dés et liens 
et puisque nous ; 
puisque les franges 
puisque l'ourlet. 
l'ébauche de l'enveloppe 
et des bordures, 
texture et tessiture, 
et les lames enthousiastes 
des ciseaux, puis- 
que la coupe, puis- 
que la césure, puis- 
que la syncope 
d'une musique 
toujours étrange.]

***
[LA SCRITTURA E LA SARTORIA]


[la scrittura non ha mai smesso
d’essere sartoria: dato
che è linea; dato
che è ago; dato
che è lacci
e dato che è nodi;
dato che è frangia
e dato che è bordura.
imbastitura d’orli
e guarnizioni,
orditura e intreccio,
e poi le lame avide
delle forbici, dato
che è taglio, dato
che è cesura, dato
che è sincope
di una musica 
sempre insolita.]

Traduzione italiana di
Manuela Colombo (il suo blog)

. . Sur les traces

d'une personne improbable

*

La rive d’en face ne sera jamais la rive d’ici, là est le dommage

Dans ces impressions décousues, je ne dis rien (Car les dieux sont retirés depuis longtemps) et il n’y a plus rien à dire

n’existe plus aucun dieu susceptible de rassembler les sens de nos nerfs cérébraux

Nous ne lutterons pas contre l’inexorable mais nous nous pencherons plein de scrupules et minutieux d’éruditions sur le livre des sensations de notre vie

Ni seul dans notre chambre – silencieux, ni au milieu de la foule – bavardant, mais sur le seuil à l’écoute et chantant
À mi-voix




Carta a Mário de Sá-Carneiro - 14.03.1915

Estou num daqueles dias em que nunca tive futuro. Há só um presente imóvel com um muro de angústia em torno. A margem de lá do rio nunca, enquanto é a de lá, é a de cá, e é esta a razão intima de todo o meu sofrimento. Há barcos para muitos portos, mas nenhum para a vida não doer, nem há desembarque onde se esqueça. Tudo isto aconteceu há muito tempo, mas a minha mágoa é mais antiga.
Lettre à Mário de Sá-Carneiro - 14.03.1915

Je suis dans un de ces jours où je n'ai jamais eu de futur. Il n'y a qu'un présent immobile avec autour un mur d'angoisse. Cette rive là-bas du fleuve, puisqu'elle est de là-bas, elle n'est jamais d'ici, et c'est la raison intime de mon tourment. Il y a des ports pour bien des bateaux, mais aucun n'existe pour une vie sans souffrance, ni de débarcadère où l'on puisse oublier. Tout ceci est arrivé il y a longtemps, mais ma tristesse est plus ancienne.




Livro do desassossego 12-1

Invejo – mas não sei se invejo – aqueles de quem se pode escrever uma biografia, ou que podem escrever a própria. Nestas impressões sem nexo, nem desejo de nexo, narro indiferentemente a minha autobiografia sem factos, a minha história sem vida. São as minhas Confissões, e, se nelas nada digo, é que nada tenho que dizer.
Le livre de l'intranquillité 12-1

J'envie – sans bien savoir si je les envie – ceux dont on peut écrire la biographie, où qui peuvent l'écrire eux-même. Dans ces impressions sans liens entre elles, ni désir de liens, je raconte avec indifférence mon autobiographie sans événement, mon histoire sans vie. Ce sont mes Confessions, et si je n'y dit rien, c'est que je n'ai rien à dire.





Livro do desassossego 1-3


O coração, se pudesse pensar, pararia.


A quem, como eu, assim, vivendo não sabe ter vida, que resta senão, como aos meus poucos pares, a renúncia por modo e a contemplação por destino?


Não sabendo o que é a vida religiosa, nem podendo sabê-lo, porque se não tem fé com a razão; não podendo ter fé na abstração do homem, nem sabendo mesmo que fazer dela perante nós, ficava-nos, como motivo de ter alma, a contemplação estética da vida.

 
E, assim, alheios à solenidade de todos os mundos, indiferentes ao divino e desprezadores do humano, entregamo-nos futilmente à sensação sem propósito, cultivada num epicurismo subtilizado, como convém aos nossos nervos cerebrais.

Retendo, da ciência, somente aquele seu preceito central, de que tudo é sujeito às leis fatais, contra as quais se não reage independentemente, porque reagir é elas terem feito que reagíssemos; e verificando como esse preceito se ajusta ao outro, mais antigo, da divina fatalidade das coisas, abdicamos do esforço como os débeis do entretimento dos atletas, Zaïroisee curvamo-nos sobre o livro das sensações com um grande escrúpulo de erudição sentida.
Le livre de l'intranquillité 1-3


S'il pouvait penser, le cœur s'arrêterait.


A ceux, mes rares semblables, vivant comme moi sans savoir vivre, que reste-t-il sinon, le renoncement pour mode de vie et la contemplation pour destin ?


Ne sachant ce qu'est la vie religieuse, et ne pouvant le savoir, car la foi n'est pas l'affaire de la raison; ne pouvant avoir foi dans cette abstraction de l'homme, ni même savoir ce que nous pourrions en faire, il ne nous restait, comme motif pour avoir une âme, que la contemplation esthétique de la vie.


Et, ainsi, étrangers à la solennité de tous les mondes, indifférents au divin et dédaigneux de l'humain, nous nous livrons futilement à la sensation sans objet, cultivant un épicurisme très subtil, comme il convient à nos nerfs cérébraux.

Ne retenant de la science que son précepte central, qui veut que tout soit soumis à des lois imparables, contre lesquelles on ne peut réagir de façon indépendante, car vient d'elles le réagir qui fait que nous réagissons, et constatant que ce précepte s'ajuste à cet autre, plus ancien, de la divine fatalité des choses, nous renonçons à tout effort comme les chétifs, à l'entrainement des athlètes, et nous nous penchons sur le livre des sensations avec un grand scrupule d'érudition ressentie 




Livro do desassossego 2

Tenho que escolher o que detesto — ou o sonho, que a minha inteligência odeia, ou a ação, que a minha sensibilidade repugna; ou a ação, para que não nasci, ou o sonho, para que ninguém nasceu.

Resulta que, como detesto ambos, não escolho nenhum; mas, como hei-de, em certa ocasião, ou sonhar ou agir, misturo uma coisa com outra.
Le livre de l'intranquillité 2

Je dois choisir - ce que je déteste - entre le rêve, que mon intelligence exècre, et l'action, que ma sensibilité réprouve; ou l'action pour laquelle je ne suis pas né, ou le rêve pour lequel personne n'est jamais né.

Il en résulte que, détestant les deux, je n'en choisis aucun ; mais comme il faut bien choisir, en certaines occasions, de rêver ou d'agir, je mélange une chose avec l'autre.

Voies rompues


Quand le soleil eut brisé la vitre...
Comme un souvenir ancien, comme une idée du premier jour, lente une eau grise et froide, une eau de neige envahit le chemin

– La mer a monté jusque-là, route mouillée

Les mâts balancés, la voile ronde, flaques et talus font un paysage. Le ciel est de glace, batelier muet. Il fait un froid certain. La boue colle au talon, il faut un effort à chaque pas

Le soleil en ressac éclabousse la route

De jeunes ormeaux sans tête sans bras s'alignent, s'en vont droits se perdre jusqu’à cette cassure. La terre est morte à l'horizon, la terre

Aux abords d'un chemin venteux, s’effondre ; s'ouvre la plaine, l'étendue de la ville avec son poids de pierres

On entend, cela vient se briser, le bruit des ateliers, d'un garage aux portes rouges – le travail du fer, bruits des jardins ouvriers, pépiements, draps qui claquent. Rien

La route basse et droite continue vers le centre probable. C'est un après-midi calme qui se perd et la ville imperceptiblement s'étire


Grand Cahier.001.Cahier bleu-vert.001.Ébauches.01

Entre vaud et valais


De soigneuses plantations de petites oranges vertes et de fermes abricots, tout leur être à n'être pas encore,  vives enserrés dans la chaleur

J'ai soif et ne peux boire
qu'une eau de chaude réglisse au fil des routes poussiéreuses, je marche vers la plus extrême des fatigues

Franc-bord, alpes bernoises, suivant le cours d'une calme rivière, j'avise une grotte – je paye mon écot, à l'entrée poinçonne le ticket, j'admire

Une fontaine figée, j'évite une méduse de craie, j'enjambe instable une rambarde
Touche l'eau
Plat poisson nu sans yeux sous les spots

Paul Klee - Magie des poissons (1925)

Grand Cahier.297.Refonds.008.Syllabes.07

Syllabes


Voici le point important : PARTI PRIS DES CHOSES égale COMPTE TENU DES MOTS.
Certains textes auront plus de PPC à l'alliage, d'autres plus de CTM... Peu importe. Il faut qu'il y ait en tout cas de l'un et de l'autre.Sinon, rien de fait.


... Donner à jouir à l'esprit humain.
Non pas seulement donné à voir, donné à jouir au sens de la vue (de la vue de l'esprit), non ! donné à jouir à ce sens qui se place dans l'arrière-gorge : à égale distance de la bouche (de la langue) et des oreilles. Et qui est le sens de la formulation, du Verbe.
Ce qui sort de là a plus d'autorité que tout au monde : de là sortent la Loi et les Prophètes. Ce sens qui jouit plus encore quand on lit que quand on écoute (mais aussi quand on écoute), quand on récite (ou déclame), quand-on-pense-et-qu'on-l'écrit.
Le regard-de-telle-sorte-qu'on-le-parle


Francis Ponge - Sidi-Madani
My creativ method (1947-1948)


Jean Fautrier (1944)

Verger des eaux



Fraîches fontaines, sources claires,
Traversant l'ardeur de l'été,
L'enrouement de vos gerbes vives,
La voix de vos graviers tournés,
Douce sur le bord de vos rives
M'endort… et sous cette brise légère,
Je rêve d'une ancienne amie
Qui me disait : "... du sommeil, l'eau
Et la terre éveille, qui les gardait l'une
Doucement de murmurer, l’autre
En maintes fleurs de se parer,
Belle de couleurs nonpareilles ..."

(En italique : Louise Labé, Sonnet XV)


Shoichi HASEGAWA L'eau vive




Est-il aux alentours...


Est-il, aux alentours d'un transparent gazon des prés, plus parfait miroir, plus argenté qu'une eau fraîche, une source inconnue sans rien ni chants d'oiseaux qui troublent, ni feuilles tombées des arbres qui l'ombragent,
Est-il un lieu plus propice au repos…

N'éprouvez-vous pas devant tout ce silence une inquiétude ?
Souvenez-vous d'elle,
Elle qui s'est retirée, le front rougi - quelle honte, quelle honte - solitaire vers quelques fonderies.
De son corps desséché, les os et les rochers, bois obscurs qui résonnaient, rendez sa voix qui ne peut que redire, qui jamais ne se peut détacher.

Shoichi HASEGAWA Verger 1973




Kauma


Vous vous épanouissez dans la lumière de la jeunesse, violettes ce matin.

Lierre de frais ramage, cœur vrillé d’ombres, le lierre des heures se déroule. Je tiens tout entier dans le silence des heures.

Large comme un contre-exemple, la terrasse fardée de soleil est le prétexte à ouvrir quatre prunelles de vin noir au jour.

Que la parole y soit féconde, l’exclamation d’une voix d’homme.

Verger d’avril. On a posé l’échelle contre le cerisier. Les cerises sont rouges. Elles tacheront les mains. Vers le fond du ciel, un été brûlant s’annonce.


Shoichi HASEGAWA Rapsodie (1980)




Éléments


Je ne veux rien dire
si ce n'est la terre au goût de menthe qui mêle ce matin le ciel et l'eau

D'un ciel
au large flanc d'aigue-marine parcourue d'hiron-
delles, de ce ciel qui se fond au lac lorsqu'une barque y danse sous la lente avancée des eaux

La terre
comme une opale,
Non qu'elle en exprime seulement l'hydrophane, mais pour la forme aussi que l'on donne à la taille, mais pour le feu dessus

De l'or léger qui tombe, la terre
De celle-là qui nous dit, qui nous renvoie à nos racines de lumière

Shoichi HASEGAWA Jardin secret




À la dame de turquoise


Selon le vœu et la formule, mettez près de la source des chiffons aux branches.

Que l’eau claire emporte ces fleurs offertes, ces feuilles qui s’enroulent en guirlande au fil du courant.

Passez le petit pont de bois, penchez-vous, et par le milieu de la rambarde faites briller vos pièces d’or.

Que frise le vent sous le vêtement de vair.

Ou plutôt non, préférez quelques menues monnaies sans valeur comme autant de lettres indéchiffrables.

Pensez fortement une chose, une seule avec force, elle aura peut-être pour vous, dans la suitée des jours, un sens

Car de l'eau nacrée de cette bouche sortira pour le projeter un amidon d'éclairs.


Shoichi HASEGAWA Au cours de la vie




Anagogique


D'où reçut-elle un sens ? Elle qui n'est plus que reflet, composition de quelques nonpareilles, au regard d'un réel disparu, d'un trop bel éphémère.

"Montagnes nouvelles référées là-bas aux présentes mais, ici, un fond bleu légèrement plus sombre, une grande voile tendue,
L'eau du lac uni à l'air chargé de brumes, de gris de rose mêlé, forme la texture même de l'image,
Qui vibre.
Seul un angle d'or, ainsi que le paquebot blanc plein de gaîtés TRAVERSÉE DU LÉMAN sur la proue duquel il tombe, semble un tout compact aux lignes nettement tracées."

Assis sur le quai je vous regarde partir. J'y resterai jusqu'à ce que la nuit vienne clarifier le ciel et la montagne, jusqu'à ce que je puisse voir les étoiles et les feux de vos maisons.







Infime


N'avons-nous pas jeté trop de fois le filet pour espérer sortir des mailles un poisson vif ?

A la recherche neuve d'une image, n'avons-nous pas tourné le prisme, et trop de fois ? Continus, délabrés, (couru notre bocage) les bords de nos routes ombragés, les murs qu'envahissent les ronces, nous les longerons encore sans y rencontrer rien que nous ne connaissions déjà.

Il arrive pourtant, qu’à telle taille un jour, s’anime le miroir. Que l’œil s’y prenne c’est peu de choses. Mais son idée, et si vague, et la démarche.






Déambulation


Contournons quelques bosquets – il y a de la caillasse, l'ai-je dit ? de la boue et de fines ornières. Quel passage qui suinte d'un brouillard d'hiver ! ainsi que la marque d'un doigt glissé contre une vitre – bien d'autres fouillis variés de tiges. Ce que c'est que la vie ! D'ailleurs, voyez, parmi les longs roseaux, ces coquilles, ces pétales qu'une fauvette y déposa comme une chute de ciel bleu léger et, plus loin, voyez l'épaisse nappe de lentille où se plante une forte fleur grenat de julienne. C'est unique à dire un marais comme ça, cingriesque.


Chaim ROSENTHAL Nature XI Aquarelle





Arsenal nord


Cet œil comme un soleil solide. Elle est simple ici et forte et de toute éternité parmi les joncs de la lumière, la barque échouée, le pli de ses voiles bleues.

C'est une mort à n'en plus finir, pierre ouvrée de l'eau que le temps délabre.

D'une rive à l'autre la place est une foule énervée de chaleur. La brève traversée ! un instant, cueillir un bouquet d'ombres, le jeter aux genoux de l'église et poursuivre par le fin réseau des ruelles.





La tarasque nous bouscule


Sa liberté est celle des eaux soudaines, crues subites, sources brusques jaillies bondissantes, torrent né en force au dégel des cimes.
Ordre des cimes.

Sa liberté est gerbe, foudre qui descelle.

Son corps est aux couleurs de l'arc-en-ciel. Qu'elle s’en aille d’un coup d’aile rejoindre les nuages, elle, la bête faramine qui sème le trouble en tous lieux.

Tarasque, furie, bec de canard, laisse-toi séduire, écoute la voix qui te console, la douce voix des lavandières.

« Lagadeou, lagadigadeou, la Tarascou
Lagadeou, lagadigadeou, lou Casteou »

Saint-Véran terrassant la Coulobre




Au gré des déplacements


D'abord on a senti une odeur plate, une odeur de fleuve qui venait par le milieu d'une terre d'argile craquelée.
Ensuite on a roulé en soulevant de fines poudres de velours.
Le ciel, avant d'atteindre à la fraîcheur de l'eau fauve, se mit à crier une note très aiguë d'oiseau.
Enfin, on descendit vers la berge et ce fut la Loire, le beau nom féminin de Loire, clair et ouvert.

Va-t-on s'arrêter ? On s'arrête, mais non c'est
L'horizon des bancs de sable et des remous qui vous arrête.

L'eau parfois y pèse un certain temps puis se retire. Étonnées, les herbes sauvages se relèvent, s'ouvrent de larges espaces

Comme délaissés par le pinceau de Ni Zan

Ni Zan (倪瓚, 1301–1374)




Côté nord



Près des bords ombragés du lac, Ophélie depuis toujours, flotte parmi les joncs. Ses lèvres depuis toujours se sont fermées, blanches folies ; elles ne chanteront plus ni ballades, ni chansons.

L'eau est glaciale où sa robe s'évase. Elle a rejeté son front vers l'arrière ; son regard s’est porté quelque part entre les herbes. Le monde est incertain comme un ciel défait de grisaille et de vents.

Les fleurs d'orties – pâquerettes, boutons d'or – sur son corsage les fleurs sont des vœux qu'en toute innocence elle fit.
(Ce serpent de rêves, à quoi bon…) les pâles iris et pervenches dans l'onde, ces fleurs qui se dispersent, le doigt de cire et le moine des morts.

Elle avance lentement vers des rivages inconnus. Quel secret dialogue poursuit-elle ? Que balbutient ses lèvres ?

Odilon Redon, Ophelia (1903)




Tout une fois



Au creux du jour, il repose, immobile, insoucieux, nuque appuyée contre le bois d'une solive. Il dort.

L'horizon s'est éloigné, il n'y a plus que l'air et l'eau, une ligne ouverte et monotone. Il se tient seul, remuant les lèvres sans rien dire –
Et le temps passe indifférent qui sasse et qui ressasse –
Une barque se balance sur le miroir du vent. Parmi les feuilles froissées d’automne, une feuille retombe.

Replié sur lui-même à lui-même semblable, il ne veut pas ouvrir les yeux, il ne veut pas se retourner.

Parfait amant, perdu dans l'ombre, il ne fait que dormir. Jamais ne se réveille, si fort que soit le bruit du monde.


Cy Twombly - 2000 - Couronnement de Sesostris

Les vies diverses du talus


Prenez la route noire en sortant du village, vous verrez, vous entendrez peut-être, au jardin haut perché, la femme en sarrau bleu. A ses lèvres s'accroche une verrerie d'oi- seaux fins, d'oiseaux multicolores, des oiseaux d'opérettes. Jeune, elle sourit au bel été mais il lui faut courber l'échine. L'air est sec et le travail pénible. Sarclage des chiendents, binage vont former pour aujourd'hui son lot de pauvreté. Si parfois elle relève la tête, c'est pour voir son enfant, sa vie si chère, assis dans l'escalier ou dans le creux des herbes longues. Il joue, il découvre, il ne sent pas les heures qui passent. Il y a tant à découvrir, tant à déloger des fissures du muret.

Theodoros Stamos
Stèle du monde (1948)

Grand Cahier.213.Refonds.002.Hortense.02

13ème sonnet


Voller Apfel, Birne und Banane,
Stachelbeere ... Alles dieses spricht
Tod und Leben in den Mund ... Ich ahne ...
Lest es einem Kind vom Angesicht,

wenn es sie erschmeckt. Dies kommt von weit.
Wird euch langsam namenlos im Munde ?
Wo sonst Worte waren fließen Funde,
aus dem Fruchtfleisch überrascht befreit.

Wagt zu sagen, was ihr Apfel nennt.
Diese Süße, die sich erst verdichtet,
um, im Schmecken leise aufgerichtet,

klar zu werden, wach und transparent,
doppeldeutig, sonnig, erdig, hiesig — :
O Erfahrung, Fühlung, Freude — riesig !


Pomme entière, banane et poire,
Groseille… Tout cela dit mort
Et vie dans ta bouche… On dirait…
Lisez-le dans les yeux d’un enfant

Qui les goûte. Venu de loin cela va-t-il
Ineffable lentement fondre en bouche ?
Là où étaient des mots s’écoulent des vestiges
Libérés par surprise de la pulpe des fruits.

Osez dire ce que vous appelez pomme.
Ce sucré, qui d’abord se condense pour,
Au sein du goût se dresser doucement,

Y devenir clair, vif et transparent,
Ambiguë, ensoleillé, terrestre, d’ici – :
Ô savoir, toucher, plaisir –, Immensité !

Rainer Maria Rilke - Sonnets à Orphée - 1.13
Traduction - Christian Guernes

Refonds.002.Hortense.00


*


Tout questionnement de l'homme
engageant son être ultime
comme sa situation dans le monde
s'enracine dans ses premières expériences

(Maurice Blanchot)

Déroulé


Chemin, l’écheveau du chemin se dévide vers la gauche, inaperçu parmi la poudre des rochers, des écailles anguleuses hérissées de touffes de pins sauvages, une forme peut-être et vague un rêve de dragon dans la brume

De biais l'emprunte un homme que suit le plus petit des hommes son portefaix

Au détour d'une paroi de papier (elle s’évanouit de blancheur, la tête fière) la quille d'un village surgit dans le clairsemé des baumes, le désordre des nuées

Est-ce un casque, des bois râcheux de guerrier qui s'avancent, des toits peints de sang courbés comme des sabres ?

Terrés de frayeurs dans leur nid de chaumes et de branches, les hommes disparaissent, ne se voient plus ; rien ne se voit plus que la peur

Les buissons crissent d'aragnes. Le pinceau a tracé dans le ciel déchiqueté d'orages, tout un jeu de plans effondrés involontaires, de plis dans l'air, d'œils‑de‑kami, de froissements

Sous les arbres noircis qui l'ombragent, le chemin, c'est aussi parfois la fraîcheur du ruisseau, le lait d'un serpent dans les anfractuosités de la terre, un enfant, un vieillard aux longues manches traversant le pont de pierres

C’est une rampe qui s'incline, un rideau qui coulisse et qui s'ouvre, une autre vue, des branches qui percent à même la roche fleurie. Le damier des joncs envahissant l'espace des eaux plates

Jusqu'aux mâts détourés, jusqu’à ces quelques pavillons frais badigeonnés ; les hommes s'affairent, marchandent sous l'auvent ; une barque se perd dans les vapeurs du lac


Grand Cahier.123.Refonds.001.Solitudes.11

Les portefaix se lassent
et leurs bras abandonnent les fardeaux
balots de jour ficelés dans de mauvaises toiles à matelas
Les quais s'étirent
et ce sont de longues dalles de hantise
pavés-fantômes
dont chaque aspérité est le souvenir d'un os

Michel Leiris
Savannah, Haut mal (1943)

Intensités

Die Sonnenblumen

Ihr goldenen Sonnenblumen,
Innig zum Sterben geneigt,
Ihr demutsvollen Schwestern
In solcher Stille
Endet Helians Jahr
Gebirgiger Kühle.

...

Les tournesols

Ô tournesols dorés,
Avec ferveur, prêt à mourir,
Ô très humble sœur
Dans un tel silence
Prend fin l'année d'Hélian
D'un froid de cimes.

...






1.
Je me souviens que nous allions, l’un à côté de l’autre nous cacher vers les hauts, dans la touffeur des combles. Brûlante venait la soif, comme les griffes du Tigre sur une peau tendue, comme une poussière d’Égypte dans les rayons du sel. L'ascenseur tirait à l'infini les corps patients ; je me souviens que nous mourrions, que la faim nous prenait aux claires-voies du désir. Chairs tuméfiées sur les parpaings du temps.


Matta – S'unir par les plaisirs (1982)






2.
On plie le corps contre un bois de charpente. On blesse le cœur qui cogne trop vite. La peau va s'érafler. Une écharde, un peu de sang va pénétrer dans la poussière. La bouche se ferme et s’ouvre, on halète. C'est à se mordre la langue.
La guerre va s'aggraver malgré les larmes

Et les faims, et les soifs, elles vont grossir, elles vont enfler encore. Les ballons couleur de soleil vont éclater, ils vont crever. Qu'il rie, qu'il acclame, qu'il mette à sac tous les édits !
La barre du jardin a versé où l'ortie foisonne.

Matta – The Unthinkable (1957)






3.
Aspiré par le dehors,

je descends la roche des Rames que la bruyère recouvre, traverse la rivière et, saisi par l'inutile énervement du jeu, les bras battants, me précipite sous les hêtres d'un versant troué. Combien de secondes va-t-il falloir attendre avant le ploc dans le gouffre sans fond ? Je tire au pistolet de poing, incohérentes et mortelles trois balles qui sifflent dans l'air. L'une d'entre elles abat dans un éclat de lumière un triste pluvier. Bourre de plumes que l'eau de la cascade emporte.

Matta – fragment de Watchman, What of the Night ? (1968)






Articles les plus consultés


à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte