Dans le fourré – II
Confession au temple de Kiyomizu


Cet homme en robe de chasse amarante, après m'avoir violée, s'est mis à ricaner sous les yeux de mon époux qui était ligoté.
Il avait beau se débattre, ses contorsions ne faisaient qu'en- foncer plus avant la corde dans sa chair. Oh, comme il a dû m'en vouloir ! Instinctivement je voulus le rejoindre…
De toutes mes forces, j'ai voulu courir mais le brigand ne m'en laissa pas le temps, d'un coup de pied il me fit tomber. J’ai vu à cet instant précis, passer dans les yeux de mon mari, un étrange éclair. Vraiment étrange…
Je tressaille encore maintenant, à chaque fois que je pense à ce regard. Comme il ne pouvait rien me dire, il avait enfermé dans ce bref regard tout ce qu'il ressentait. Et dans ces yeux qui étincelaient, ce n'était ni de la colère ni de la tristesse non, c’était une glaciale lueur de mépris ! Ce regard me frappa plus fortement que le coup de pied du malfaiteur. J'ai poussé un cri, je crois. Et je me suis évanouie.
Je ne sais combien de temps il s'écoula mais quand je repris conscience, l'homme à la robe amarante avait disparu et mon mari était toujours ligoté au pied du sapin.
Je relevai péniblement le haut de mon corps des feuilles mortes et fixai de nouveau ses yeux, ils demeuraient inchangés et luisaient encore d'un mépris glacial mêlé à de la haine.
Honte ? Tristesse ? Fureur ? Comment qualifier ce qui vint m'envahir alors ? Je me redressai en titubant, je m'approchai de mon mari et lui dit :
« Me voici tombé dans le plus ignoble des états, il m'est impossible de rester avec toi ! Je n'ai plus qu'à me tuer… Mais il faut que tu meures toi aussi, toi qui as vu ma honte. Je ne te laisserai pas vivre après moi ! »

J'avais dit cela de toutes mes forces mais, lui, sans broncher continuait de me dévisager, rempli de haine. Contenant les battements de mon cœur, je cherchai le sabre de mon mari, je ne pus le trouver dans les broussailles, le voleur avait dû l'emporter. L'arc aussi, et les flèches qui avaient disparus. Mais par chance à mes pieds je heurtai un poignard. Dans l’état où j’étais, je le pris et répétai à mon mari : « Je te prends la vie, je te suivrai juste après. »
À ces mots, il remua les lèvres mais les feuilles mortes du bambou qui encombraient sa bouche m’empêchèrent de l’enten- dre. À un signe toutefois, j’en compris le sens. Enfermé dans son mépris, il me disait : « Tues-moi ! »
Prise d’une sorte de folie, j'enfonçai violemment le poignard dans sa poitrine au travers de sa robe de chasse bleu clair.
Je dus m'évanouir une fois encore…
Plus tard, revenue à moi-même, je regardai aux alentours. Je vis mon mari toujours ligoté, mort depuis longtemps. Le soleil qui déclinait – entre les branches mêlées des bambous et des sapins, avait posé sur son visage un rai de lumière.
Je refoulai mes larmes et déliai la corde qui retenait son cadavre.
Ce qui se passa ensuite… ce que je suis devenu…

Je n'ai pas la force de le dire. Je n'ai pas réussi à mourir, j'ai tout essayé pourtant… appliquer le couteau sur ma gorge… me jeter dans un étang, loin dans la montagne… Ne suis-je pas toujours en vie ? À quoi bon me vanter. L'infinie miséricorde du Bosatsu aura abandonné la faible femme que je suis ! Moi … qui ai tué mon mari, moi…, violenté par un brigand, que puis-je faire… maintenant ? Moi… moi…

Utagawa Hiroshige (Ando)
Le pavillon Kiyomizu et l'étang Shinobazu no ike
à Ueno (1856)

Grand Cahier.478-479.Akutagawa Ryûnosuke.002.Dans le fourré.02 (藪の中, Yabu no naka, 1922)

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte