Merle noir

Guillaume Corneille
Jeux d'été
(1960)

Ah ! Massignieu de Rives sonore, béjaune mon frère très commun parmi les cerisiers, j'entends l'orage qui tonne et s'éloigne.

Bonheur sur terre au crépuscule de juin, tu me prends le cœur.
*

Et puis tu es monté hardi au-dessus du toit d'ardoises, jusqu'au sapin, je t'ai vu par la lucarne choisir la branche la plus haute.

Et moi je sais que tu chantes simplement pour chanter puisque tout s'est tu.

Sans vergogne, turdus merula et bien d'ici. Tu bâtirais ton nid sur la fourche d'un rosier. Aussi je te cède volontiers les salades et les fraises de mon jardin pour la clarté si franche de ton chant.

L'oiseau,
de tous nos consanguins
le plus ardent à vivre...
*
Saint-John Perse

Le rossignol

Guillaume Corneille
Oiseau né du paysage
(1999)

Il n'est pas de ce pays, dit-on, le rouquin d'Afrique mais il chante. Oh ! bien peu de choses, quelques trilles à l'envi, non point des mélodies mais alors,

Il fait crier le frais couvert des buissons, les fourrés de prunelliers et d'aubépines. Vous passez par-là, sur la route un soir venu d'avril – vous tournez la tête, il vous surprend. Mais pour le voir n'y comptez pas, il est discret.

Peut-être vous montrera-t-il le bout d'une aile brune, furtive une rectrice, un cœur de crème.

  Aimez donc Philomèle.

L'oiseau, 
de tous nos consanguins 
le plus ardent à vivre...
*
Saint-John Perse

Resserrement


Noire,

une fine flamme fend l’air
pénètre par la porte
entr'ouverte l'été

– Phalènes qui tournoyaient
autour de la lampe,
vous vous brûlez les ailes
comme syllabes dispersées

Une ombre plus légère
qu’un pleur
a traversé la chambre.
Une minute éblouie
par un peu de fraîcheur.

Fixé dans l'angle mort,
le travail se resserre
en un point de lumière

Le temps
continue d’avancer
lentement vers le soir.
Aucun nuage ne recouvre plus le ciel,
la journée fut si chaude

Que les herbes
ont jauni
et les feuilles rouillé

Conversation d'alcôve
Par Kou K'ai-tche ou d'après lui
(344-406)

Grand Cahier.102.Dispersions.006.Bifurcations.07

Préparatifs


Entends-tu le clocher qui sonne ? je m’éveille, le clocher ce matin sonner la cinquième heure, le jour ne veut plus te quitter,
Tu t’habilles et tu sors

Je descendrai dans un instant la rue, par l’eau noire de la nuit rafraîchie, du côté de l’église les marches

Sur la place tu t’arrêteras à regarder
L’ordre double des colonnes raccordé de volutes, le fronton triangulaire. Si dehors elle est simple et sévère, y brûle une inquiétude, un foisonnement d’ors, d'ombres, et de prières

Seul reverdit le désir du lointain. Marchons sur les quais, resserrés de fleurs spirituelles. L’aube pointe. Un fredon de barques se balance, d’un même rythme, une pensée. Belle à tout reprendre

Saint-Michel de Vaucelles
Caen, Calvados
(XIIe - XVe - 1780)

Grand Cahier.101.Refonds.007.Mers.03

Endurance


Le talon d’une attaque ferme
Souple mais têtue la cheville
Heurtant la caillasse des routes
Un pas d’une calme cadence
Dans les yeux formes et reflets
Des saisons de vives couleurs
Ainsi libre joyau s’assemble
Là selon ta force et ton propre
Au lieu de ton attente un monde
Séjour cordial et jour nouveau

Paul Klee
Avec les aigles
(1918)

Grand Cahier.099.Cahier bleu-vert.002.Passages.02 (Sud.04)

Qu'aurions-nous pu dire ?


Sous les mêmes travaux la même vie lente
Unit les fermes du bocage
La route nous était familière
La ville au dos
Nous pensions à notre ami
À ses mots à saveur de chemins
Mots de nos joies et peines
Et qui sont de même et parfaite nature
Que ce simple feuillage
Et les herbes vivaces
Nous pensions à cet ami
Qui nous parlait de notre attache
À ce Pays
Et qui maintenant ne nous parlerait plus

Le vent tombé
Le jour en son plein
Sembla vouloir s'arrêter là

Fabienne Ruault Lichet
Art postal
(2017)

Grand Cahier.098.Refonds.009.Contre-feux.11

La vie était simple...


La vie était simple
en ce temps-là ! Si simple si

vivante. C’était un bouquet
d’impatience pour demain,
une bouffée de soleils tôt venus,
une nichée d’oiseaux piaillant
qui becquette

Élan de sève ou de résine
Si simple vie, végétale poussée
comme givre du froid cristallin de la terre

Le ciel s’en va trop vite, le ciel
le soir s’assombrit par la lucarne,
s’en va jeter de pleines poignées
de vent qui vont bousculer les arbres

Comme une respiration
puissante allant sur le pays

Wang Hui (dynastie Ts'ing, 1632-1717)
Champs irrigués en bordure de lac sous la brume et la pluie

Grand Cahier.097.Dispersions.006.Bifurcations.06

Un corps flotte


Souvent les pas nous mènent
vers ce lieu sans bords, la mer unie, le ciel démesuré confondus dans la grisaille

Lentement tourne sur son axe, le grand cylindre à musique, émetteur d'un son grave, qui – dans l'épaisseur de l'air – s'enfonce lentement

Il n'y a plus rien à voir, toutes les visions s'effacent dans cet unique vide gris. Une présence non située occupe l'autre côté de l'espace

La phrase s'achève la phrase en trois points noirs, bétonnés de fers rouillés, de quelques pontons hachés par les sables

La falaise comme un couteau pénètre les brouillards venus des pôles. Une mouette observe plane au-dessus, va se poser pour un temps sur un plongeoir.

Les pas nous mènent vers la jetée, nous poussent
à descendre les marches,
à toucher l'
eau

Gustave le Gray, La Grande Vague, 1857
papier albuminé d’après négatifs sur plaque de verre au collodion

Grand Cahier.096.Dispersions.006.Bifurcations.05

Et puis...


Une dentelle de haies
Autour d'un soleil rouge

Des toits d’argile ou d’ardoise
Peu à peu qui s’estompe

Un avion près des nuages
Formant la croix le désir
De pays lointains

Le soir tombé nous laissa
Sur ce pré vert et puis...

Le froid la
Nuit

Tullio Crali - Aéropeinture
Continuité des paysages en Vol
(1968)

Grand Cahier.095.Révolvie.001.Cahier bleu-vert.003.Perditions.19

Le lever


La chambre a fraîchi
Plus fraîche que le jour qui blanchit par la fenêtre

Le ciel nocturne se déchire sur l’un de ses bords, agré- menté d’un parsemé d’étoiles, d’une ligne de rose qui s'étire

Je me penche au dénoué de ton âme ta joue a les couleurs de l'aube caressante, tu ouvres une paupière…

Ce qui d’un coup s’envole fait battre mon cœur. Toujours un moment de sommeil

s’accoude et se découvre l’aile d’un si beau corps
où l'or et l'ombre jouent

Henri Fantin-Latour
Le lever (1872)

Grand Cahier.094.Révolvie.001.Les effets de l'aube.11

Un goût


Grand mur blanc,
moellons de soleil jetés
Le mortier sèche et tombe

mangé de lierres
noircis de baies
Et peut-être de quelques roses

Seule une lumière
aux ombres variées
une musique, un air

pour unique mémoire

Puis le silence
plus vaste que la mer
plus brillant que les neiges

Ô l'immense plaine du bleu sur le toit de cette maison !

Maria Helena Vieira da Silva
Mémoire (1966-1967)

Grand Cahier.093.Révolvie.002.Maisons de verre.12

Grives


C’est une haie bleue séparant
des ciels de seigle
des arbres noircis par le gel
un pain de neige

L'hiver plein de santé
se nourrissait de froid

Vol,
une troupe de grives divague
soûle de vents
par les chemins perdus

Pieter Brueghel l'Ancien
Les chasseurs dans la neige (1565)

Grand Cahier.092.Refonds.002.Vols.11

Mauves (mawe)


Étourdis par le vent
l'accastillage des oiseaux
dessus les toits de rouille

Même si les fleuves l'hiver

Portent pleine charge de neige
et morts-

-bois ( dérivent
et tanguent
et font leur danse.

comme un signe d'avenir

alors ils prennent à contretemps
l'itinéraire
et toutes voiles destinées
de nos étoiles

Nicolas de Staël
Les toits de Paris (1952)

Grand Cahier.091.Refonds.002.Vols.10

Veille


Vienne la nuit dans sa froideur de reine, s'élargissent les murs

Une aile inverse frappe l'air, la lampe s'allume, blanche dans le bleu des tombes, des sommations infinies d'étoiles

Mais c’est bien elle, qui nous regarde à la fenêtre, nous retient dans l'ordre, et nous oriente

Vers ce point de suspension, lieu que nous aimons d'une géométrie austère

Il n'y a que peu de choses

Une chaise de paille brune, des vêtements d'hiver, le lit, une couverture en chaude laine, l'oreiller de fleurs de cachemire, un livre

Qui fut ouvert ou fut jeté

Pierre Soulages
Peinture, 21 novembre 1959
(1959)

Grand Cahier.090.Refonds.008.Syllabes.11

Renoncement


Vous atteindre mes provinces belles c’est vous perdre, que vous soyez natales
ou non. Tout pays me conviendra si j’y trouve
gîte et repos, et la nuit du rêve.

Et si je dors et si
je me réveille (je tourne la clef)
la porte qui s’ouvre est une porte réelle

Je n’ai pas de regret. Un rêve est un rêve, il n’est pas fait de chairs. Une tête sans mains ne vaut pas grand’chose...

Rien que je puisse toucher. Et c’est dans nos mains que s’invente la terre,
unitive, nous offrant liberté. La terre

au visage de violette
dans un ciel mais d'ici
échappée, dégagée, sauvée !

Pablo Picasso
La dormeuse aux persiennes (1936)

Grand Cahier.089.Révolvie.002.Maisons de verre.12

Ici,
prend fin


une vie,
grande plage déserte
 où émerge

trois ou qua
tre rochers de granit
 Keremma

disent-ils
lorsqu’ils disent son nom
 une cendre

au creux d’un
poing serré, dispersée
 un village

une blan
cheur immémoriale et
 quelques dunes

une gran
de plage que je nomme
 Keredith

et d’avel
vras, une ty nouvelle
 an Aot
Et de grand vent, une maison
nouvelle sur la grève
(1954 - 2023)

Grand Cahier.770.Intérieurs, Extérieur Voix.Demeures.24

L'oubli


Depuis ce ressaut,
je ne vois qu’une eau grise,
une eau d’acier d’un seul tenant
qui s’écoule entre moi-même
et la ville industrieuse

il y a cet ou-
bli et le temps qui passe

l’eau d’une rivière entraînant les herbiers,
une eau qui reflue délivrant des remords

*
Alors je me souviens de cette ville austère
bâtie dans les granits

– le corps de garde la mer
qui donne ce goût d’algues
une soupe épaisse et douce…

les grands espaces de pierre
et de vent, de l’ombre des tourelles
qui s’étendait sur les remparts.

Au loin les miettes des falaises –
d’un pain noir,
jetées là pour longtemps

Il y eut quelques mots d’échange,
et rien de plus

Ailleurs un peu plus tard, une main d’herbe
comme un signe d’océan

Le temps qui poursuit sa route,
les choses vont mûrir, les choses vont s’enfuir encore
puis s’oublieront

Joan Mitchell
The Good-Bye Door (1980)

Grand Cahier.088.Révolvie.002.Maisons de verre.05

Marche de l'Ouest


Patrie d'avance marine
Aux maisons de granit et croix
Solitaires sur la lande
Couverte de genêts
– Sauvagerie du vent de grande marée
Tourné vers elle, prenant d'elle
Son image et le destin
Le dos contre son péril, fasciné en écart sur la mer

le Mont,

Bâti entre le flux et le reflux
Autour de l'arbre du chœur, de chapelle en chapelle
Cerné de remparts
Comme joyau s'érige

Entre les doigts du fleuve :
Delta aux herbes rouges
Et sur les ailes des mouettes
L'or du bleu s'aiguise pour le combat de l'ange

Élodie Studler
estampe numérique
>Voyage avec les mots
(2013)
Grand Cahier.087.Refonds.007.Mers.10


Entre la mer jamais découverte et la terre jamais recouverte, il y a cette aire amphibie, ce caméléon tour à tour prairie ou étang, marais ou méduse, qui trahit toutes les six heures et passe à la mer et repasse à la terre, cette zone pareille à un supplicié dont on ne plonge jamais assez la tête pour la noyer et qu'on ne maintient jamais assez à l'air pour qu'elle dégorge ...

Michel Deguy - Biefs (1964)

As paredes


Que disais-tu Miguel en ta légende
Qu'y avait-il auprès de ce pommier
Une route une rivière un muret ?

Croque la pomme à pleines dents la dent
fait mal C’est un lieu de conflit un lieu
fermé qui nous sépare une clôture

Mais cette motte de terre au regard
exposée (loin du monde) est véritable

L'étoile des pépins guettée des merles
d’un jet retombe entre les doigts de l'herbe

Que disais-tu de ce mur qui protège
des vents d’avril, empêche les enfants
d’y venir, et quels trésors pouvait-il

recelés ? Un orage de septembre
nous le dira peut-être – va-t-il chanter ?

Piet Mondrian
Paysage avec arbres (1912)

Grand Cahier.086.Révolvie.002.Maisons de verre.11

Prime


La couronne du gaz fait se cailler le lait
Cette nuit, la coupe du pain
A eu le temps de durcir
Le matin a réveillé le vent
Frouant, et ton cœur qui bat
Une branche noircie frappe
Aux carreaux de la fenêtre
L'automne attroupe les feuilles rousses
Quand la terre se refuse
Le ciel jauni flotte sur les toits
Ta chemise est froide
Tu souffles les vapeurs de ton bol
L'œil précise et l'esprit songe
Aux soucis d'une journée qui sera belle

Pablo Picasso
Nature morte à la brioche
(1909)

Grand Cahier.085.Révolvie.001.Les effets de l'aube.05

De bon matin


Trompé
par un miroir
auteur-lecteur
Narcisse

Voudrais-tu te voler ?

Réinvente plutôt
Invente ton reflet !

C’est un monde qui s’ouvre

Tout est possible
rien n’est réel

Ça tourne autour
jusqu’à quel point

Cendre épuisée
de qui de quoi ?

D’un feu brillant
un peu encore
au fond du gouffre
ou qui s’évase
au temps courbé

Lumière au loin
inaccessible
perdue toujours
et à jamais
Odilon Redon
Oannès
(1904)

Grand Cahier.769.Intérieurs, Extérieur Voix.Demeures.23

Reposée


Dehors calme blanc
L'herbe sur la colline à peine
Un tremblement verte
La vitre d'un maigre soleil
Chauffe les poutres les soies
Jaunies à goût de cendre
Une mouche arrondit le silence
Tu es seul sous le toit
La barque du ciel n'est
Qu'un balancement de l'heure
La vie souffle aux jardins
Mémorables de l’automne

Paul Klee
Erinnerung an ein Garten
(1914)

Grand Cahier.084.Cahier bleu-vert.002.Passages.06

Charité de Françoise


Comme une robe de rubis prolongée des notes de fruits rouges, j'apprécie ce vin serré en bouche d'épices et de cuir

Il fait dehors une chaleur d'enfer avec une goutte de sueur qui coule sur les tempes. Nous reprendrons les travaux… tout à l'heure. Des gravats s'il le faut, du sol obscur, j'arracherai, il vivra le jeune pommier fleuri

A l'intérieur de la cuisine, les murs sont laqués de feu. Au‑dessus du buffet sont accrochés deux Cuyp de teinte sombre

Elle a posé un grand faitout sur les plaques de fonte, ouvert la porte d'émail bleu. Alors elle attise la cendre et tourne au mieux le registre pour l'air

Henri Matisse
La desserte rouge (1908)

Grand Cahier.083.Refonds.001.Solitudes.08

Articles les plus consultés


à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte