La magicienne


S'il vous est arrivé un soir d’hiver de vous promener tard sur l'avenue, votre œil fut attiré j'en suis sûr par ces papiers jetés, j’en compte une vingtaine, de ces papiers sur l'asphalte, qui se retrouvent au même endroit, tous à voltiger au vent
Avez-vous remarquer ? Mais je voudrais attirer votre attention précisément sur les lieux où ces papiers tourbillonnent
C’est toujours entre la gare et la rivière. Il y en a, c’est indé- niable trois du côté gauche et un du côté droit
Et remarquez bien que sans exception – il s'agit d'endroits n'est-ce pas, d’endroits qui se trouvent à proximité d'un carrefour
Ce qui m'incline à penser qu'il n'est pas impossible non, il n'est pas impossible que le phénomène ait un rapport avec l'atmosphère…

Accentuez encore votre attention. Vous pourrez constater qu'il existe en chaque tourbillon, quel qu'il soit, mêlé aux autres un papier de couleur rouge – publicité de cinéma, bout de mouchoir qu'on aura déchiré – petite boîte d'allumettes – vous constaterez, vous allez parmi ces objets d'une extrême diversité, imman-quablement constater la présence de la couleur rouge

Vous vous attendiez j’en suis certain à ce que le vent emporte tout cela d'un même élan. Détrompez-vous. Seul le papier rouge commence à s'élever bien droit, à se mettre à tournoyer et, du léger nuage qu'il soulève à peine perceptible vous parvient une voix
Puis les papiers blancs çà et là, les papiers épars s'éva-nouissent brusquement dans le ciel au-dessus de l'asphalte, ou peut-être ne s'évanouissent-ils pas mais forment-ils un cercle et se mettent-ils à tourbillonner sans discontinuer
Il en va de même lorsque le vent tombe. Toujours le papier de couleur rouge en premier, toujours il cesse de voltiger le papier rouge, en premier

Parvenu à ce point de vos observations, vous avez dû trouver oui, par vous-même trouver ce comportement bien étrange. Il va sans dire que moi aussi, je m'interroge
Il m'est arrivé à deux ou trois reprises de m'arrêter dans la rue pour observer, à travers les reflets d'une large vitrine, la danse incompréhensible des papiers !
Il me semblait qu'à fixer ainsi mon attention, j'allais entrevoir subrepticement des choses que l'œil humain ne voit pas ordi- nairement ; ne voit pas, ne fut-ce que dans un halo vague. Aussi m’enfonçais-je, au prix d'une vision plus turbulente que le vol d'une chauve-souris, dans l'air du soir

Salvador Dali
Autoportrait cubiste
(1926)

Grand Cahier.482.Akutagawa Ryûnosuke.001.La magicienne.00

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte