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Chaussée
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C’est un froissement continuel
sur la chaussée le soir
Dards, dardelles,
garrot des phares, dansez, tournez,
envolez-vous rondes javelles
Allez-vous-en courir en ville
Les rues illuminées sont effrayantes
– étroites bouillonnant
d’orages de flammes de tungstène
Plus rien ne vit
plus rien ne meurt, ici tout brûle
On ne respire
Un chapelet de vitres éclate
sous l'affaissement de la nuit
sur la chaussée le soir
Dards, dardelles,
garrot des phares, dansez, tournez,
envolez-vous rondes javelles
Allez-vous-en courir en ville
Les rues illuminées sont effrayantes
– étroites bouillonnant
d’orages de flammes de tungstène
Plus rien ne vit
plus rien ne meurt, ici tout brûle
On ne respire
Un chapelet de vitres éclate
sous l'affaissement de la nuit
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André Masson Orage dans la nuit (1963) |
Grand Cahier.014.Révolvie.032.Maison de verre.01
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En ce temps-là
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En ce temps-là le matin
Je venais près des machines
Douces dentées roues câlines
Travaillant fer ou sapin
Tôt levé à mon labeur
Étourdi par tant d'ardeurs
De bielles de bruits de graisse
Mais aujourd'hui c'est le chiffre
Si je vais dans l'atelier
D'un bonjour à l'ouvrier
Qui pour l'oubli de ses affres
Sifflote mon cœur à moi
Peut souffrir aussi du poids
Ce temps-là des amours mortes.
Je venais près des machines
Douces dentées roues câlines
Travaillant fer ou sapin
Tôt levé à mon labeur
Étourdi par tant d'ardeurs
De bielles de bruits de graisse
Mais aujourd'hui c'est le chiffre
Si je vais dans l'atelier
D'un bonjour à l'ouvrier
Qui pour l'oubli de ses affres
Sifflote mon cœur à moi
Peut souffrir aussi du poids
Ce temps-là des amours mortes.
Grand Cahier.298.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.05
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Athanor
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La montagne s'identifie au four
Avec ses bains-marie
Ses charbons et ses cendres
La maison en est la partie supérieure
La chambre et le couvercle de verre
Le vaisseau de l’alambic forme un nid
Où dragon et sa femme vivent
Le feu se résout dans l'humide
Mais la lune s'imprègne du soleil
Leur fils tourne au blanc et au rouge
Le serpent aussi devient rouge. A l'origine
Feu, faible ou fort selon la volonté
Il habite une caverne
Les Indes Orientales se colorent vif-argent
Avec ses bains-marie
Ses charbons et ses cendres
La maison en est la partie supérieure
La chambre et le couvercle de verre
Le vaisseau de l’alambic forme un nid
Où dragon et sa femme vivent
Le feu se résout dans l'humide
Mais la lune s'imprègne du soleil
Leur fils tourne au blanc et au rouge
Le serpent aussi devient rouge. A l'origine
Feu, faible ou fort selon la volonté
Il habite une caverne
Les Indes Orientales se colorent vif-argent
Grand Cahier.120.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.06
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À notre époque,
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quel risque y a-t-il pour l'ouvrier à marcher sur une poutre ? L'œil clos, le front couvert de cendre,
ne voyant
rien des fumées rousses
qui lentement s'échappent
au-dessous de lui,
ignorant tout du danger
des cuves d'huile,
des bains irisés d'acides verts
Il avance loin du sol jonché de pailles.
rien des fumées rousses
qui lentement s'échappent
au-dessous de lui,
ignorant tout du danger
des cuves d'huile,
des bains irisés d'acides verts
Il avance loin du sol jonché de pailles.
On lui crie après d'en bas, on l’invective à coup d’ordres impératifs, de prétendus conseils de prudence
Qu'importe !
Il avance,
il s'obstine,
il veut attein-
Il avance,
il s'obstine,
il veut attein-
dre le toit chauffé de tôle que perce une triste lucarne de poussière et de feu
Grand Cahier.075.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.07
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Dans l'univers de la chauffe,
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l'homme en bleu connaît bien l'odeur du fioul. Ces traces brunes lui font penser aux longues lanières de varech qui recouvrent la plage.
Pour entrer dans le local,
on doit appuyer fortement sur la barre
d'une porte métallique.
on doit appuyer fortement sur la barre
d'une porte métallique.
La peinture est usée. Les murs de parpaings sont nus, on respire un air sec. Aucun meuble aucun outil rien ne doit être abandonné dans le voisinage du feu.
Une force commande
ici
tout l'immeuble.
Chaque jour, l'homme revient et s'inquiète
du niveau de l'aiguille.
L'hiver est refoulé, la neige a fondu.
Il surveille
ici
tout l'immeuble.
Chaque jour, l'homme revient et s'inquiète
du niveau de l'aiguille.
L'hiver est refoulé, la neige a fondu.
Il surveille
Grand Cahier.NNN.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.NN
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, De la ligne
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La ville aujourd'hui c'est un calcul incessant
aux registres du bordier
, tous les actes à pointer
, le chiffre
, c'est un mat écrasement
sous des pattes pelotées
Et surtout le souci d'une montre
J'avance donc,
comme toi, comme lui,
passe le pont
Sur la rive,
les administrations du bien-être surchargent
l'ancienne coque
, et le poids cintre et rompt les portées
à l'endroit précis d'enchâssement
des nouveaux métaux et verres précieux
aux registres du bordier
, tous les actes à pointer
, le chiffre
, c'est un mat écrasement
sous des pattes pelotées
Et surtout le souci d'une montre
J'avance donc,
comme toi, comme lui,
passe le pont
Sur la rive,
les administrations du bien-être surchargent
l'ancienne coque
, et le poids cintre et rompt les portées
à l'endroit précis d'enchâssement
des nouveaux métaux et verres précieux
Grand Cahier.225.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.09
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Architecte
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C'était mardi dimanche il y a longtemps, par une journée d'hiver gélive et en dépit du col relevé de ma veste,
l'écharde au cœur, j'allais de rue en rue, la ville un peu brouillée, la tête ailleurs
D'épais blocs de bétons bouchent un ciel de pluies, de vents, se dressent droits. Quel décor !
Je marchais sur une place immense, il n'y avait rien à rencontrer, le temps ici n'existe plus. Je demandais :
« De quelle étoffe est-il donc fait,
l'architecte qui l’a conçue,
où est sa peau, dans quel placard
oubliée desséchée rongée
tête à poussière, corps saigné !? »
l'architecte qui l’a conçue,
où est sa peau, dans quel placard
oubliée desséchée rongée
tête à poussière, corps saigné !? »
On peut marcher sur une place immense…
mais battre le ban, porter son nom, se vêtir propre-ment, faire en sorte qu’un être soit visible aux yeux de tous, mettre une chose en évidence
Décide-t-on une ville ?
Où est la formule, quel est l'affect ? Le ciel nécessaire ressemble-t-il à celui-ci ? Vous savez, lourd, bas, minéral
Je ne vis rien de plus que des choses banales, répé- titives sur cette place épuisée, aux édicules improbables
Je voulus établir le décompte de ces grains minuscules. Je battis des ailes – à n’en pouvoir mais
rien n'y fit, pauvre volaille !
Grand Cahier.194.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.10
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Forge
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Tu rentres saoul plus grand qu'un soir de banlieue. La bouteille du ciel crache sa lie sur la ville.
Quel mauvais foie !
Au dégoût des lèvres on voit que se prépare un orage.
Tête bouillie dans soupe d'usines.
Au dégoût des lèvres on voit que se prépare un orage.
Tête bouillie dans soupe d'usines.
Ton squelette se souvient du fracas des presses, le cambouis sous le pied, la cadence dans les bras.
Les carreaux du travail tombent. Tu pousses le verrou. Le soleil se coince dans l'étau.
Des vitres fulgurent du béron de la nuit.
C'est une jaunisse de chambres à l'odeur de chaud où d'horribles ménages s'égorgent
Grand Cahier.228.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.11
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Une aile se recolore
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Son charme un peu vert, les dix-sept ans d'une Backfishe, Berlin – ses façades blanches, ses balcons dorés, si jolie si claire si pimpante, la frivolité et ses promesses : dixit Jules Huret
C'était…
Aujourd'hui la ville en deux le mur de graffitis après ravage et repoussée tête folle ; une ruine commémore. Anarchiques, de nouveaux buildings prolifèrent comme surgeons. Le grand cercle d'une passerelle métallique tourne jusqu'au délire. Pilotis sur jachère. La neige fondue, boueuse
Demain,
Ce que sera Potsdamer Platz, taillée au couteau brun de la finance et du divertissement, jeux laser et néons clinquants sur grillage aluminium. L'ordre au carré d'un empilement de fenêtres büros
Après déménagement, on ira voir (l'éclairage nocturne y sera féerique) une rétrospective Fritz Lang avec projection des fers et des ruines Metropolis au Stella-Musical-Theater
Grand Cahier.315.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.13
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Éclipse
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Je me souviens d’une pluie fine
interminable un jour,
interminable un jour,
le ciel était dans les tons gris, c'était un jour d'éclipse, le ciel transparaissait
rendant le fond plus triste encore,
une idée me vint que peut-être…
une idée me vint que peut-être…
Une autre fois, le cœur me manque pour le dire
J'ai descendu la rue. De moi-même j'ai suivi le cours du rail. J'ai bousculé le monde et pourtant rien ne m'en reste
Le soleil ne brille
qu'à sa moitié. Il est 16 heures 30 exactement. Une femme, le corps que l'âge a déformé, traverse le pont. Auprès de l'écluse, un pêcheur accoudé à la rambarde pêche avec indifférence. L'écume hurle par‑ dessous
Je porte mon effort. Arriverais-je comme il le faut,
juste à temps, au point de
conjonction, qu'y a-t-il donc à voir ? Je m’en inquiète
juste à temps, au point de
conjonction, qu'y a-t-il donc à voir ? Je m’en inquiète
L'œil me fera mal ces quelques jours. Un brin d'herbe, un excès de vent suffisent
Grand Cahier.332.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.14
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La nuit approche
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Sur la base du rapport de police, on dit
qu’il roulait trop vite. À tombeau ouvert !
qu’il roulait trop vite. À tombeau ouvert !
Camion perdu dans les lacets… des virages trop serrés, des routes de montagne… Il s’est laissé emporter, la citerne aura versé dans l'ornière. L'eau est noire et se mêle à la boue
Il aura suffi que se mettent à rougir les crêtes d'Orcières
pour que surgisse d'en bas, du creux du val
– fuyant une douleur, le triste oiseau du soir
pour que surgisse d'en bas, du creux du val
– fuyant une douleur, le triste oiseau du soir
Le village est désert, décimé par les suies, façonné par l'azote. Les ombres se dispersent, courent, traversent les ruelles. Fantomatiques, elles s'effilochent et s'évaporent
C'est à cette heure un millier d'aîtres qui s'éteint,
et fait silence
et fait silence
Dès lors il faudra se hâter. Donner son congé. Suivre la sente verte
Grand Cahier.130.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.15
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Terres gastes
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Fument les cheminées d’une raffinerie, lointaine dans les flammes, les brûlots naphténiques rendent la nuit partout quadrillée d’aromates
Un vent froid venu des plaines du nord tombe sur le camp. Une femme est sortie de sa roulotte, et réclame obsé- quieusement ses gages
D’un même mouvement, les deux ouvriers qui travail- laient tout-à-l’heure aux fours de reformage vont se garer de chaque côté de la voie.
Ils se mettent alors à chorégraphier un ballet de gestes identiques avant de s’enfermer sans mot dire
dans leur case. Chacun prend ses quartiers,
y pose sa lanterne. Lentement, les feux de l’usine s’a- menuisent...
Au-delà du grillage, au devant de leur maître, on entend les aboiements des chiens, vagabonds dans les crosses de terre.
Grand Cahier.557.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.16
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Certains disent...
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Certains disent mais qu’importe,
en résumé…
Jésus est mort, clouté, pendu ou non au bois patibulaire
Le Christ en croix, une invention tardive, une incom- préhension latine née des traductions du grec
Hélène en son palais Sessorien ne fit que disperser les quelques fragments du vrai corps aux quatre points car- dinaux
Jésus est mort trahi vendu
– soufflé à tous les vents –
Fol-en-Christ, un fait divers parmi tant d’autres. Ensei- gné, trop vite oublié
Le pape « et super hanc petram » a pris la place. Empereur des barbares instituant les supplices, sanctifiant les reliques
Qu’il ait été pendu à la traverse ou bien « affigere » à une croix, les principes de l’empire aussitôt épuisés, le Christ envahit Rome
Grand Cahier.489.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.17
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Affins
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L'été a chuté par la fenêtre
a décliné de désespoir
la fenêtre grande ouverte
tout est épuisé
tout a été consommé
au fond du puits,
rien
ne reste plus
qu’une eau salie nue
écalée sous les talons du sel
Il n’y a plus rien à pardonner,
plus rien à oublier,
que reste-t-il à partager ?
Ne veux-tu pas pleurer,
ne veux-tu pas chanter
le soir rougit par la fenêtre
Quelque chose pourrait-il
s’annoncer encore ici
un ailleurs existe-t-il ?
Allons-nous-en ma sœur,
recouvrons la liberté,
et qu’une musique à chacun
accorde sa mesure
a décliné de désespoir
la fenêtre grande ouverte
tout est épuisé
tout a été consommé
au fond du puits,
rien
ne reste plus
qu’une eau salie nue
écalée sous les talons du sel
Il n’y a plus rien à pardonner,
plus rien à oublier,
que reste-t-il à partager ?
Ne veux-tu pas pleurer,
ne veux-tu pas chanter
le soir rougit par la fenêtre
Quelque chose pourrait-il
s’annoncer encore ici
un ailleurs existe-t-il ?
Allons-nous-en ma sœur,
recouvrons la liberté,
et qu’une musique à chacun
accorde sa mesure
Grand Cahier.056.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.18
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Tableau noir
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Pars, n’hésite pas, va, sur tout demande et prends ! Avec douceur. Par le jeu des alliances
tu sais depuis longtemps, la part qui te revient
Ne crains pas que du sang coule, c'est vivier d'avenirs, verse ton sang – qu’il se mêle au pollen des routes
Égrène les cailloux comme un chapelet de prières adressées à chacun des lieux que tu cherches
Abîme tes couleurs
sur le fond sédimenté du tableau noir, traverse les eaux troubles, dénombre les atomes, accorde-les aux rythmes de ta phrase
Regarde,
comme ils composent
– et s’éclaircissent,
ou se rassemblent
– et s’agglutinent,
dans le phosphore
de ta mémoire
Ne t’inquiète pas
comme ils composent
– et s’éclaircissent,
ou se rassemblent
– et s’agglutinent,
dans le phosphore
de ta mémoire
Ne t’inquiète pas
si tu ignores où cela mène, où commence le jeu. Ne chante pas si tu n’as devant toi qu’une souche
d’arbres morts,
car derrière elle est quelqu’un qui fait mal
sinon, explicite et transmets.
Ample est la nuit qui s’équilibre au jour
car derrière elle est quelqu’un qui fait mal
sinon, explicite et transmets.
Ample est la nuit qui s’équilibre au jour
Grand Cahier.080.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.19
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Rappel d'enfer
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à quoi pouvaient-ils bien servir / ces piliers jetés / d’un jour à l’autre sur le sol / ce mur noirci / restes d’une vora- cité / d’un égar/ment des hommes,
Infimes mouvements cycliques, particules – du vide, re- lâchant leurs virions dans la graisse des jours
« Mais quand donc finiront-elles ces guerres : inutiles, gagnées ou perdues »
interroge un passant fatigué aux cheveux blancs
On y meurt encore aujourd’hui
dans le râle des gorges
dans l’étreinte des ronces
dans le râle des gorges
dans l’étreinte des ronces
Des orages insensés grondent sous le ciel immonde Le pré est piqueté de fer et de gravats S’ouvre silencieux vers une nuit sans étoiles
Nul ne propose
le vent donne ses ordres – l’herbe est légion
le vent donne ses ordres – l’herbe est légion
Grand Cahier.138.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.20
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Vue de Loire
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Loin du trouble des eaux,
la rabouilleuse à contrecœur,
allait en plein soleil
– j’essayais de raccommoder
Orphée et Eurydice,
Passez gabares
Passez – piétons piétonnes –
il y aura toujours
au fil du rail, un flot plus fort
dessous le pont Wilson
As-tu jamais chanté,
héron craintif,
au pied des bancs de sable
L’époque est trop bruyante pour toi,
et les heures
en vain s’égrènent
sous les coups du tonnerre
Entre ses becs,
le pont se déboîte
où la ronde s’engouffre
la rabouilleuse à contrecœur,
allait en plein soleil
– j’essayais de raccommoder
Orphée et Eurydice,
Passez gabares
Passez – piétons piétonnes –
il y aura toujours
au fil du rail, un flot plus fort
dessous le pont Wilson
As-tu jamais chanté,
héron craintif,
au pied des bancs de sable
L’époque est trop bruyante pour toi,
et les heures
en vain s’égrènent
sous les coups du tonnerre
Entre ses becs,
le pont se déboîte
où la ronde s’engouffre
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Mosaique d'une maison gallo-romaine Saint-Romain-en-Gal (Vienne, an 0) |
Grand Cahier.636.Révolvie.032.L'univers de la chauffe.21
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