En asclépiades majeurs
Tu ne quaesieris (scire nefas) quem mihi, quem tibi
Finem di dederint, Leuconoe, nec Babylonios
Temptaris numeros. Vt melius quidquid erit pati,
Seu pluris hiemes seu tribuit Iuppiter ultimam,
Quae nunc oppositis debilitat pumicibus mare
Tyrrhenum. Sapias, uina liques et spatio breui
Spem longam reseces. Dum loquimur, fugerit inuida
Aetas : carpe diem, quam minimum credula postero
Horace, Odes, I, XI
Ne cherche pas à savoir (c’est sacrilège de le savoir) à quelle fin toi et moi nous sommes voués par les dieux
Fuis les horoscopes babyloniens, Leuconoé
Il vaut mieux supporter ta destinée comme elle vient, que Jupiter magnanime t’accorde encore plusieurs hivers ou que cet hiver qui se brise sur les rochers de la mer tyrrhénienne soit le dernier
Vis sagement, filtre ton vin, mesure tes plus longues espérances à la brièveté de la vie
Pendant que nous parlons, le temps déjà s’enfuit – jaloux
Cueille le jour
Crois le moins possible aux lendemains
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Philippe de Champaigne (1602-1674) Vanité |
Grand Cahier.593.Révolvie.004.D'après.05
« ... »
Le mont Tchang-Nân
J'habite depuis peu le mont Tchong-nân
Au milieu du chemin de ma vie la vérité devint manifeste
J’ai fait bâtir une demeure tardive près des montagnes du Midi. On reconnaît l’esprit du lieu dans les détours du chemin qui serpente. Une joie m’envahit devant la beauté du paysage
Je veux m’y rendre seul
Je remonte jusqu’à la source le cours d’eau qui s’amenuise pour contempler la naissance des nuages
Voyez comme ils varient les semeurs de forêts ! Nos plaisanteries n’ont pas, à vrai dire, le souci du temps
Mais le tableau qui se cache dans cette facture se dévoile peu à peu
Et dans les poussières d’une dépouille de cigale je découvre tout ce qui flotte et qui flâne
Je veux, passé l’âge, appréhender dans le même instant le dehors et le dedans des choses
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Vue de Si-Ngan-Fou Chine, 19ème siècle |
Grand Cahier.586.Révolvie.004.D'après.04
« ... »
Insatisfaction
Les vingt premières années de ma vie m’ont fait comprendre que le monde en valait la peine. Les cinq années suivantes, lumières et ténèbres devinrent les deux faces d'un même réel. Là où naît la lumière, l’ombre se brise. J'aborde aujourd’hui la trentaine, voici ce que je pense
« Plus profonde est la joie et plus profonde est la mélancolie, plus grand est le plaisir et plus grande est la souffrance
Qui veut les séparer ne tiendra pas le coup, qui veut s'en débarrasser fera vaciller le monde
L'argent est important mais, si vous accumulez les choses importantes, elles vous poursuivront dans votre sommeil
L'amour vous rend heureux mais, si vous augmentez le bonheur de l'amour, vous aurez la nostalgie du passé où vous n'aimiez pas encore
L'homme d’État qui emporte et enthousiasme des millions d'hommes, soutient sur son dos l'énorme poids du monde
Vous regrettez d'avoir oublié l'exquis repas auquel on vous avait convié. Mais ce festin, le goûter sur le bout du doigt ne vous aurez pas rassasié. Et vous auriez eu des relents à le dévorer jusqu’à n’en plus pouvoir »
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Liang Kai – Un immortel à l'encre éclaboussée (Début du XIIIème siècle) |
Grand Cahier.490.Révolvie.004.D'après.03
« ... »
Elles surgissent du fond...
Elles surgissent du fond des champs dorés, les alouettes qui grisollent, tirelire, tirelire ! Elles croisent dans l’air leurs sœurs qui redescendent, formant une croix se rejoignant. J'en conclus, montant ou descendant, qu’elles continueront de ce côté-ci d’agir avec vigueur
Le printemps nous endort, les chats dédaignent les souris. L’homme est oublieux de ses dettes, il ne se soucie plus du lieu de l'âme et sa raison s'égare. Seules les fleurs jaunes du colza nous réveillent et le chant des alouettes
Je me souviens de Percy Shelley qui murmurait ces quelques vers
We look before and after
And pine for what is not :
Our sincerest laughter
With some pain is fraught ;
Our sweetest songs are those that tell of saddest thoughts.
Tourné vers le passé
Tourné vers l'avenir
Nous désirons ce qui n'est pas
Notre bonheur le plus sincère
Est le plus empreint de douleurs
Nos plus douces chansons nous disent nos plus tristes pensées
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Paul Klee La Machine à gazouiller (Die Zwitscher-Maschine - 1922) |
Grand Cahier.492.Révolvie.004.D'après.02
« ... »
La pensée dérive...
La pensée dérive seule en ces extrémités
Si le pied droit glisse sur le bord glisse d'une pierre anguleuse qui tangue le pied gauche rétablit l'équilibre et stabilise
Je n'ai pas eu mal, je me retrouve assis par bonheur sur un mètre carré de roche mais j'ai perdu la boite de peinture que je portais en bandoulière. Je me relève et je vois le lointain comme un seau d'eau renversé
Une cime. Elle est couverte d'ombres lourdes, couverte de verdures, des cryptomères sans doute, cyprès ou roses fleurs de cerisiers sauvages étagés – vagues traînées incolores plongées dans un épais brouillard
Je n’ai pas eu mal, je me relève et c'est pour voir, juste en face, au plus près qui se détache un mont chauve. On dirait qu'il va s'effondrer. Le flanc à nu me semble avoir été tranché d'un coup de hache. Il plonge à pic au fond de la vallée
Cet arbre sur le sommet, ce ne peut être qu'un pin rouge. Le ciel se découpe avec netteté entre les branches. J’avance jusqu'au bout des cent mètres où le chemin se perd mais cette cape rouge qui remue, y parviendrai-je en montant ?
Le chemin est difficile qui fait un angle aigu. Je contourne un rocher, je parviens à passer
J'aperçois sur le coteau des fleurs de colza. Le chemin s'aplanit maintenant. A droite il y a un taillis, à gauche les champs de colza qui restent en vue
De temps à autre je piétine des dents-de-lion, des gerbes de feuilles en dents de scie qui poussent à profusion avec une perle jaune en leur centre. Fasciné par le colza, je m'en veux d'avoir piétiné les dents-de-lion. Je me retourne et ce sont toujours des perles jaunes qui rayonnent au cœur des feuilles en dents de scie
Quelle insouciance ! Je continue de réfléchir
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Mont Fuji et cryptomères Kano Eitoku (1543-1590), époque de Momoyama (1568-1603) |
Grand Cahier.491.Révolvie.004.D'après.01
« ... »
La fabrique du jardin
J’allais roue libre ce jour-là
sous la ramée ornamentales des charmes, emporté par la douceur du mail
Des hauts de la pagode
jusqu’à la septième perspective,
je déboulais
Rêves et clartés dans la tête j’écoutais, rythmes et sons, des mélodies
du passage des ombres fraîches peuplées d'insectes d'or. En bas dans le creuset, en haut vers les étages, des lumières
qui s’accrochaient aux branches. J'écoutais les sons qui toujours se répondent
la terre débordant qui s'ouvrait devant moi
Ces formes étaient-elles baroques ? Mais, nous les voyions être, ces formes...
Être avec simplicité, rien qu’être et s’épanouir, ressortir de l’obscure gravitation charnelle pour s’épanouir dans la transparence de l’air, mais substantiel.le
– Qu’un visage se donne, qu’un visage se cache,
laisse-toi guider par la route. Précaire et temporelle, tourne la roue
les minutes s'égrènent, la spirale du vent les disperse lorsque chantent les loups
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Christy Lee Rogers Muses - photographies aquatiques (2018) |
Grand Cahier.119.Révolvie.004.D'après.06
« ... »
Je me suis levé trop tard
Le jour dans ses étoffes d'eau n'avait aucun courage. Le réveil sonna. Je me suis levé. J'ai pris le filet à provi-sions et je suis sorti
Il pleuvait. Des gouttes lourdes, éparses. Un camion passa sur la route brillante, camion chargé de troncs d'arbres (il y a là-bas des forêts humides au sol moussu), camion qui se dirigea vers le port où les troncs seraient embarqués
J'achetais le journal, le pain, le lait et je rentrai. La pluie se fit plus dense. Le soleil sans suite tirait ses rideaux
Rien, pas une aventure. Était-il vraiment trop tard ? Mais nul ne devrait l’ignorer, les commencements sont nombreux, et un jour parmi d’autres…
Quelqu’un est saisi par le col – celui de sa chemise, celui de son paletot – qu’importe qu’il fut idéal, car tout est flanqué par terre
Il a suffi qu’une chose (un être aperçu dans l’instant ou l’incertain souvenir – remembrance d’après) d’une chose qui nous fasse trébucher sur notre ombre ou son absence
pour que notre corps s’en aille à la recherche ; assuré de lui-même et sans crainte,
de ce qu’il va trouver et construire peut-être
n’ayant pour tout bagage que le demi-sourire de celui qui, tout d’un coup, ne sait plus rien déjà
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Franz Marc TierSchicksale (1913) |
Grand Cahier.127.Révolvie.004.D'après.07
« ... »
Les indicateurs
Après les temps refroidis, de ces lieux de tristesse, les jours reviennent
Tels ces couples d'oiseaux – tourterelles qui boivent aux urnes fréquentées de marbre et de jaspe
Car les mots en leur for entretiennent eux aussi et le mort et le vif
Ils indiquent un chemin au milieu des possibles. Auprès d’eux j'ai conquis ma façon
Lien tissé et retissé à l'envers et à l'endroit, au motif d'une étoffe précieuse, antique dessin renaissant de ses cendres
Qui pousse de loin en loin, hors des broderies d’usage, de nombreux fils
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Pablo Picasso Les deux tourterelles doubles (1949) |
Grand Cahier.140.Révolvie.004.D'après.10
« ... »
Cette idole...
Écoute les mots qu’elle (te dit et
qu’elle) prononce
à ton oreille, la fille
à lèvre d’orange
Il y a tant de choses qui sont dites,
compare
On la perçoit comme une orange
Le fruit à pulpe
dit la lèvre pulpeuse
et pareille à l’orange
donc aussi et au sens étendu,
la couleur
dit la lèvre est orange
Ni rose ni rouge
elle est bizarre et sensuelle
une fille bien étrange et dite
En trois mots
et connotée douze fois Ah,
la bonne phrase !
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Amedeo Modigliani Jeanne Hébuterne (1919) |
Grand Cahier.143.Révolvie.004.D'après.09
« ... »
Une vie
Une vie de poète est temps de poésie, qui le met tout en œuvre, tout le temps de sa vie
Or que sait-il du temps – ce qu’il fait de sa vie ce qu’il en sait ce qu’il en dit – par le rythme du verbe, le mensonge en avant
Mais ce programme n’est pas l’impeccable que tu crois, de longue date élaboré. tu t'obstines à vouloir l'impossible
Le temps n'en finit pas de déserter le temps
Papillons, vous vous brûlez les ailes. Les mots vou-draient entrer qui cognent à la vitre, fascinantes chi-mères
Ce qui t’emporte et te retient, ce sont l’immensité du ciel, le vide éperdu des couleurs, et de l'autre côté, le jour réconfortant et la mort ressaisie
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Afro Basaldella (1969) Exp. La memoria ritrovata |
Grand Cahier.146.Révolvie.004.D'après.11
« ... »
Beatris et Jehannet
Ce fut de nouveau la saison douce. Ils ont raison les rossignols de cajoler le temps, il est joli. Les prés verts sont de fleurs recouverts, les vergers se remplissent de fruits. Couleurs de froid perdues, couleurs retrouvées et revues. Que la rose est belle en son bruit au chapeau de la dame ! L'amant fait ses aveux, l'oiseau chante latin. Douce est la saison nouvelle, toutes choses s'éveillent qui de joie se maintient
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Marc Chagall Pour Ida (1933) |
Grand Cahier.163.Révolvie.004.D'après.12
« ... »
Sonate d'été
Fruits pourris, odeur entêtante.
L'air est noir d'un essaim de mouches,
Arbres et buissons, au soleil
Sonnent, bourdonnantes clairières !
Brune et bleue la mare est profonde,
Flambant des reflets d’un feu d’herbes.
Ils chantent les murs de fleurs jaunes,
Et frémissent de cris d’amour.
Lents papillons qui se pourchassent,
Ivres, dansant dans les herbages,
Ton ombre s’étend sur le thym,
Les merles clairs chantent d’extase.
Un nuage exhibe ses seins
Raidis, feuilles et baies l'entourent.
Près des sombres sapins, vois
Qui grimace un squelette au violon.
Georg Trakl
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Zdzislaw Beksinski (1929-2005) Sans titre (~1990) |
Grand Cahier.570.Révolvie.004.D'après.12
« ... »
Égine
Îles à l’horizon qui légères dansez
Entre le ciel et l’eau, ports et poussières d’iles
A peine précisées dans la blancheur de l’air
Seriez-vous lasses du bonheur d’émerger ?
La solitude affirme aujourd’hui son seul corps
Sculpture sans sculpteur, déesse sans les hommes
Géante femme, rien que femme. Trop parfaite
Pour qu’un homme ose même en vivre le désir
Elle seule élabore une courbe précise
De ces brumes de formes là-bas murmurant
L’animation s’enfouit dans la terre poreuse
La solitude au jour entière se dévoile
Elle s’abandonne, bras ouverts au soleil
Elle s’offre en pâture amusante au regard
Douce, elle attend la venue de l’unique germe
Et le flot agité pulvérise l’image
(in memoriam Yves Mahélin)
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Henri Edmond Cross Les Iles d'Or (1891-1892) |
Grand Cahier.578.Révolvie.004.D'après.13
« ... »
Naissance
Nolan’n rêvant dans les hauteurs
Aux prémices des neiges
Iras-tu, vagabond
Soleilleux, homme allant
Sur les sentiers de nos montagnes,
Ambassadeur du Mvett
Nommer en bleu l’Atarega ?
Comment il fut – sans forme
Eyo’o surgissant du tout
|
Masque casque Fang Gabon (~1950) |
Grand Cahier.580.Révolvie.004.D'après.14
« ... »
Le gymnosophiste
Enfoncé dans la solitude
Depuis longtemps rhinocéros
J’habitais l’arbre derrière moi
Ce gros figuier qui présentait des cannelures
Était de la taille d’un homme
Je vivais de fruits et de fleurs
J’observais règles et préceptes
Vacant à la contemplation
Respectant si bien la vie que pas même un chien
N’aurait trouvé os à ronger
Le monde poussait sa racine
Dans mon dos, le lait du monde
Un creux au cœur de l’existence
Aggravait les désirs. Je fuyais tout contact
Immobile près du tombeau
|
La tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert (1874) Odilon Redon |
Grand Cahier.589.Révolvie.004.d'après.15
« ... »
Il y a
Toujours cette nature – au premier jour
Cet invraisemblable fouillis de nerfs
L’ordre du sauvage qui va nous dire
Qui va nous réfléchir vers le dehors
Il y a oui mais il n’y a personne
Personne à mettre au compte d’il y a
Rien s’avance masqué sans nous connaître
Et derrière le masque il n’y a rien
Rien que la mer, immense et multiforme
Où chaque influx ne rend justice à l’autre
avant de disparaître
|
Kurt Jackson L'attrape-lumière (2002) |
Grand Cahier.619.Révolvie.004.D'après.16
« ... »
La maison
de briques
est faite la maison, de vent est fait
le songe en son dedans
le songe
avec le vent s'enfuit
mais la maison perdure Elle insiste
la maison
attendant de nouveau(x) ...
à attendre
après les locataires
jusqu'au tourbillon prochain du vent
seule
la pensée résiste au temps
celle de Qui arrive
et qui s'en va,
seul
dans la métamorphose du moment
|
Paul Klee Revolvierenden Haus - Maison tournante (1921) |
Grand Cahier.625.Révolvie.004.D'après.16
« ... »