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Voies rompues
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Quand le soleil eut brisé la vitre...
Comme un souvenir ancien, comme une idée du pre- mier jour, lente une eau grise et froide, une eau de neige envahit le chemin
– La mer a monté jusque-là, route mouillée
Les mâts balancés, la voile ronde, flaques et talus font un paysage. Le ciel est de glace, batelier muet. Il fait un froid certain. La boue colle au talon, il faut un effort à chaque pas
Le soleil en ressac éclabousse la route
De jeunes ormeaux sans tête sans bras s'alignent, s'en vont droits se perdre jusqu’à cette cassure. La terre est morte à l'horizon, la terre
Aux abords d'un chemin venteux, s’effondre ; s'ouvre la plaine, l'étendue de la ville avec son poids de pierres
On entend, cela vient se briser, le bruit des ateliers, d'un garage aux portes rouges – le travail du fer, bruits des jardins ouvriers, pépiements, draps qui claquent. Rien
La route basse et droite continue vers le centre probable. C'est un après-midi calme qui se perd et la ville imperceptiblement s'étire
Vassily Kandinsky Paysage avec pluie (1913) |
Grand Cahier.001.Refonds.009.Mers.00
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La Varde
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De ce côté-ci, tout un lieu d'ombres où le ciel s'effondre
Le fer rouillé de la rambarde, l'échiffre instable, un chaos de roches aux environs d'un bois de pin noir. L'espace est envahi par la houle, écho puissant et qui vient et qui roule. Paroles en colère, ciseau contre granit, dialogue avec la pierre
On longe ainsi l'estran. Aussi fraîche qu'un ruisseau, une musique se perd dans les méandres de la plage. Les eaux se retirent. Toute pensée suspendue, le corps enfoncé dans un creux de solitude, les pas s'éloignent, les traces disparaissent. Un fuseau se dévide, un caret de lumière, le fil d'une portée
De ce côté-ci, sur l'étoffe de sable lentement pèse le retour des nuits
Grand Cahier.003.Refonds.009.Mers.01
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La chambre marine
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Je me souviens qu'il fut des jours bien plus heureux, des villes plus anciennes, des maisons, des remparts bâtis contre la mer
Il m'arrive parfois de revenir au pied de ces murs et d'écouter. La nuit y est profonde
Qui pourrait dire
Depuis combien de temps le ciel s'est écroulé ? Ce que le fort aux avant-postes garde encore ?
Je me souviens qu'il existait, haute, une salle sans fenêtre. Calme et clarté régnaient. Le plafond percé d'une verrière était d'un bleu changeant
Ô la mer, invisible mais présente !
Les multiples livres
Le sofa où dormir, où rêver dans les rayons du soleil qui remplissent la pièce
Grand Cahier.179.Refonds.009.Mers.02
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Préparatifs
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Entends-tu le clocher qui sonne ? je m’éveille, le clocher ce matin sonner la cinquième heure, le jour ne veut plus te quitter,
Tu t’habilles et tu sors
Je descendrai dans un instant la rue, par l’eau noire de la nuit rafraîchie, du côté de l’église les marches
Sur la place tu t’arrêteras à regarder
L’ordre double des colonnes raccordé de volutes, le fronton triangulaire. Si dehors elle est simple et sévère, y brûle une inquiétude, un foisonnement d’ors, d'ombres, et de prières
Seul reverdit le désir du lointain. Marchons sur les quais, resserrés de fleurs spirituelles. L’aube pointe. Un fredon de barques se balance, d’un même rythme, une pensée. Belle à tout reprendre
Grand Cahier.101.Refonds.009.Mers.03
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Décours
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Nous comprendrons son désir lorsqu'il ferme sur nous sa veste de buissons aux poches pleines d'oiseaux
Nous descendrons, le pied posé au vif sur les mar- ches des grandes laveries,
Cueillir des coquillages nacrés les plus luisants
Mais séchés dans nos mains leurs couleurs s'envo- leront et ne restera sur notre cœur qu'une poudre de tristesse
Gardant avec ferveur la somme des accords passés, ce qu'il nous fut donné d'entendre, nous irons à cet amer où le chemin s'efface
Et nous verrons si nos yeux savent à même la pierre ouverte, au livre des flots,
Patience et force d'éternité, lire
Grand Cahier.139.Refonds.009.Mers.04
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Je veux être dehors...
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Je veux être dehors, partir au loin, quitter l'endroit des hommes, aller jusqu'à l'x de l'île
Au milieu du pré qui penche, s'écarter de l’église en ruine. C'est manche-mer, les rias de la côte
Je vais au Chaos
Il existe une algue appelée Himanthalia, on en a fait un « laver bread » sur l'autre rive
Le sentier coupe au travers des joncs, évite le vert cabanon des pêcheurs, le petit pont de bois glissant, les fourrés de cinéraire. L'eau fraîche d'une vasque se perd dans les rochers, effondrés de sable et de coquilles que les grandes marées changent sans cesse
Grand Cahier.191.Refonds.009.Mers.05
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Les navires
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Les cotres les goélettes (maquettes sous le verre) le brick en ses meubles cuivrés, toutes les pièces des eaux vives dorénavant sont enfermées
Ce n’est plus que poudre aux yeux, petite monnaie qui tinte, quincaillerie du fond des poches pour des touristes corsaires
Et quand bien même, l'Amérique a suivi d'autres routes. Fortune a passé malgré le cri de mer
À toutes les couvées d'oiseaux de langue jaune, violentes têtes, vous becs de granit, je le dis, désormais les parasols ont poussé pour l'attardé. Le bar est ouvert jusqu'à minuit
Miettes noires, grillent les mots.
Le corps de garde la mer
y donne ce goût d'algues,
une soupe épaisse et douce
Grand Cahier.273.Refonds.009.Mers.06
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Viviers d'avenirs
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Étourdies par le vent,
emportées arrêtées contrées, remontant le fleuve d'hi- ver, soumises
au mauvais temps, elles vont en vagues, se haussent descendent se croisent
Leur cri de lanière est un gréage
Ah le beau navire,
les toits rouillés ! C’est une volée de neige qui varie. Serrons au plus près,
et toutes voiles destinées,
qu'il file et qu'il tangue suivi de son quadrille d'ailes
qu'il file et qu'il tangue suivi de son quadrille d'ailes
Grand Cahier.277.Refonds.009.Mers.07
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Trois mesures de folie
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La mer ne veut plus être la mer, le ciel ne veut plus être le ciel, le champ peut-il être le champ ?
L'eau est mate, l’air est blanc chargé de blanches mous- sures, tourbières glacées de sonorités concaves, tournantes langueurs, voix tonitruantes au départ éperdues d'espace et ouatées, issues des formidables architectures de fer. Ordres et phares. Je vois des foules en mouvement
Le ciel est invisible, la mer invisible, le champ s'étend
Des hommes guettent quelques ailes en reste, fusil contre l'épaule. Les uns, l'oreille agrandie, vont dans la froi- dure, ils piétinent au champ de salicorne
Grand Cahier.280.Refonds.009.Mers.08
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Égarements
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Tête saoulée, éblouie, je vois la ville un peu qui s'éloi- gne et laisse derrière moi le port s'ouvrir à ses poignets de mer
En suivant le chemin des Douaniers, le vent de sable et de sel s’est mis à chanter. Je pars vers n'importe où, l'océan est sans limites. Je largue les amarres, je somme les escales, je jette vers les hauts
Une stance (une stance ou deux) tiendront-elles ?
Le soleil retombe dans les champs, la côte disparaît. La lune se lève à l'horizon. Le silence
Va revenir, c'est certain, comme un mauvais automne qui s'étire, plein d'ombres sur le pré. Il suffit de franchir, de passer la barrière. Le gui ronge de vert les bois tors du pommier ; toutefois, je me dis que les pommes sont bonnes. Je m'arrête saisi, je tourne sur moi-même
Balancés en tous sens, couverts de froides buées, ces mâts décharnés le long de la jetée, jamais ne partiront.
Grand Cahier.064.Refonds.009.Mers.09
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Avant Lion
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La première impression qui me revient
C’est par la vitre bleue d'une voiture
L'horizon qui tanguait sur l'océan
Près des cieux, l'araignée d'un peu de brume
Et cette poudre de blés qui vallonnent
Quel était donc se terminant par « mer »
Le nom sur la pancarte ? Je me souviens
D'un village perdu dans les bosquets
Brun, les feuillets d'ardoise du clocher
Y brille un point carreau c'est un coq
Nombreuses blanches petites dansent
Les voiles tendues vers l'infini
C’est par la vitre bleue d'une voiture
L'horizon qui tanguait sur l'océan
Près des cieux, l'araignée d'un peu de brume
Et cette poudre de blés qui vallonnent
Quel était donc se terminant par « mer »
Le nom sur la pancarte ? Je me souviens
D'un village perdu dans les bosquets
Brun, les feuillets d'ardoise du clocher
Y brille un point carreau c'est un coq
Nombreuses blanches petites dansent
Les voiles tendues vers l'infini
Grand Cahier.078.Refonds.009.Mers.10
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Marche de l'Ouest
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Patrie d'avance marine
Aux maisons de granit et croix
Solitaires sur la lande
Couverte de genêts
– Sauvagerie du vent de grande marée
Tourné vers elle, prenant d'elle
Son image et le destin
Le dos contre son péril, fasciné en écart sur la mer
le Mont,
Bâti entre le flux et le reflux
Autour de l'arbre du chœur, de chapelle en chapelle
Cerné de remparts
Comme joyau s'érige
Entre les doigts du fleuve :
Delta aux herbes rouges
Et sur les ailes des mouettes
L'or du bleu s'aiguise pour le combat de l'ange
Aux maisons de granit et croix
Solitaires sur la lande
Couverte de genêts
– Sauvagerie du vent de grande marée
Tourné vers elle, prenant d'elle
Son image et le destin
Le dos contre son péril, fasciné en écart sur la mer
le Mont,
Bâti entre le flux et le reflux
Autour de l'arbre du chœur, de chapelle en chapelle
Cerné de remparts
Comme joyau s'érige
Entre les doigts du fleuve :
Delta aux herbes rouges
Et sur les ailes des mouettes
L'or du bleu s'aiguise pour le combat de l'ange
Élodie Studler estampe numérique Voyage avec les mots (2013) |
Grand Cahier.087.Refonds.009.Mers.11
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Entre la mer jamais découverte et la terre jamais recouverte, il y a cette aire amphibie, ce caméléon tour à tour prairie ou étang, marais ou méduse, qui trahit toutes les six heures et passe à la mer et repasse à la terre, cette zone pareille à un supplicié dont on ne plonge jamais assez la tête pour la noyer et qu'on ne maintient jamais assez à l'air pour qu'elle dégorge ...
Michel Deguy - Biefs (1964)