l'Humble Administrateur ( 拙政園 )

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Suzhou


« De la terre ou du ciel »
Tel est le nom français des montagnes de Sugiu

Marco lorsqu'il descendit vers Quinsai nota que la rhubarbe y pousse en grande perfection et que le gingembre est bon marché. Ainsi pour un gros de Venise, quarante livres de frais et du bon

Il alla jusqu’à compter les six mille ponts de pierres qui surplombent les eaux de la cité. Deux galères pouvaient y passer de front

Il s'étonna du très grand nombre d'habitants, des grandissimes quantités de soie, de la sagesse des marchands, de la subtilité des hommes dans tous les arts, magiciens, philosophes et grands mires naturels

Mais de l'ouvrage maniéré des jardins inoubliables
Rien ne dit

Le jardin de l'Humble Administrateur
Suzhou



La fonderie des jardins


Ji Cheng écrivit, le premier en son genre, un livre illustre. Il n’existe pas, il n’y a rien de tel où que ce soit

« Savez-vous que la taille d'un galet de pavage doit être de la taille d'un œuf d'oie pour qu'il ressemble à un brocart de Shu »

Ji Cheng connaissait tous les arts – peinture&poésie qui sont une seule et même chose, calligraphie, ceux des fleurs et ceux du thé. Il les mêla – les cultiva-t-il ? Non, mais il construisit son jardin, églogue de pierre et d'eau

« Une brise va naître du bosquet de bambous tandis que l'on prépare les boissons glacées
Quel bonheur que de vider quelques coupes de vin en guise de gage dans un kiosque frais ! »

Guan Tong
Montagnes d'automne à la végétation tardive
(Dynastie Liang post. 907-923)



Le val de Jante


Ses travaux de ministre achevés, Wang wei se retira, à plus de cent lieues de la capitale et de l'empire, au val de Jante

Quand vint l'automne de sa vie, il ne lui restait plus qu'à peindre et composer de pierres et d'eaux, construire en ses propriétés le paysage, et redoubler son empreinte sur les murs célestes de Chong Fan, le monastère des parfums accumulés

« Plus rien, ni le passage entre les arbres pour les hommes, ni le son de la cloche aux deux tigres affrontés, ni la source qui s'enroue parmi les roches, plus rien n'est reconnaissable » disait-il

Neige fondue dans la brume, crêtes enfouies dans les nuages

Le bleu des pins faiblit quand le soleil est rouge. Les ombres de la nuit ont vidé l'étang de sa substance

C'est un creusement sans fin tendu vers la question du noir. Mais le poète retient, s'il exerce, le dragon vénéneux

Le val de Jante
Hameau de Wangchuan où vécut Wang Wei (699-759)
peint par Wang Yuanqi (1642–1715)



L'ordinaire


Shen Fu, petit homme subalterne, sensible, original de caractère, naquit à Suzhou, fut bon peintre de fleurs. Avec justesse, il exprima quelques faits banals et mourut

Il tint au fil inconstant des jours, des propos limpides, extrêmement concis pour ce qui concerne l'art secret des jardins

Mais ne s'agissait-il que de cela ?

Créer de petits lieux clos dans de vastes étendues et donner l'illusion de la grandeur quand l'espace est restreint, densifier le vide en matérialisant l'irréel, alterner mystère et évidence, les approches faciles et le profond retrait

Ses préoccupations d'enfant, ses imaginations, elles se retrouvent aussi au détour d'une phrase, à la hauteur de mire d'un poème, d'un voyage immobile un dessin, au pied d'une terrasse envahie d'herbes folles, dans le creux d'un muret de terre

Où chaque détail finit par devenir un univers, une forêt, une montagne, une vallée

à propos de six récits au fil inconstant des jours
de Shen Fu(1763-18[10-25])



Hushi


Les préposés du bureau dussent-ils ordonner la levée de corvées pour dix mille hommes – des efforts considérables ; dussent-ils provoquer le mécontentement général et précipiter la chute de l'empire, chaque pierre, quelle que soit la taille qu'elle aura, chaque pierre marquée d'un bandeau de papier jaune, appartient à l'empereur – elle ornera ses jardins

Les pierres
 elles
sont l'âme des jardins
Les pierres
 elles
sont le réceptacle de l'âme
Lorsqu'elles
proviennent
(Pétales
 (apel.les)
 fleurs de calcaire) modelées
du lac Tai

Escarpées, rongées par les vagues, on les nomme cimes de rocher. Celles qu'on aime doivent être maigres et non charnues, percées de tunnels de part en part, de galeries verticales, avec une peau ridée de vieux sage et non lissée, comme Guanyun encapuchonné de nuages

Précipice en montagne, pierre de cire jaune
Huangla Shi, dynastie King, XVIIe siècle
Apel.les Fenosa
Volute (1967)



Tao Qian


Tao Qian, près de la haie de l'est, se pencha pour cueillir les chrysanthèmes, se releva sereinement afin de contempler au loin les montagnes du sud

Beau geste, belle manière d'un amateur de vin et de fleurs de pêcher,

flores de melocoton, bich, phai, bach, that ton
– tels sont les noms vietnamiens de couleurs qui ornent le Têt

Et cette colonie de rescapés de la dynastie des Qin qui vécut un siècle et demi dans la paix, la liberté et l'abondance

Voilà un homme qui ne plie pas l'échine pour cinq boisseaux de riz et qui préfère laisser déborder sa fierté du côté méridional

Se contenter d'un petit espace, chaque jour pour son plaisir parcourir son jardin, faire le tour
(l'infini est au détour)
yí bào yèzi brassée entouré de ses bras un pin centenaire

Tao Yuanming admirant les chrysanthèmes
Attribué à Zhao Lingrang (~1100), Dynastie Song (960-1279)



Anecdote


Harassé d'une marche trop longue, Tao Yuanming près de l'étang vint s'asseoir
L'ombre était apaisante des saules

Il prit sa cithare et joua dans la clarté du jour, mêlant et notes et chant d'oiseaux et clapotis des vagues
Flore et faune l'écoutèrent
Plus aucun nuage dans le ciel n'osa bouger

Le désordre des choses disparu, Tao s'endormit sous l'osier des saules toujours vert
Auprès de lui, la cithare avait perdu ses cordes

Tao Yuanming appuyé contre un roc
par Fan Zeng (1980)



Petits, soigneux...


Petits, soigneux
Sont les jardins du lettré

On appelle jardin ces morceaux de nature complétés d'un bâtiment de simple construction, modeste, très ouvert ; jardin, les inspirés dispositifs, les cloisons qui distribuent l'espace – murs blancs et toits de tuiles noires, fenêtres et portes rouges établissant des fonctions très précises, et qui donnent à chacun conformément sa place

Dit ou dessiné
A grands traits de pinceau
Le paysage

Suzhou, le jardin
de l'Humble Administrateur



Zhuozheng


Lorsque le censeur impérial, qu'à tort on accusa de corruption, décida de se retirer de la vie politique et de ses affronts, ses jeux et rivalités, il acheta le temple Dahong et construisit

Cage ombragée de fleurs et de plantes d'où l'on aime à sortir d'un coup dans la nature

Cet usinage, cette falsification d'icelle qu'il appela Zhuozheng

Les trois cinquièmes sont composés d’un plan d’eau coupé de ponts, comme rocaille en bordure de ces édifices aux formes contournées, d’une galerie qui zigzague

– Changer de paysage à chacun de ses pas, suivre l'allée sinueuse conduisant à la beauté sereine –

Car de cultiver son jardin et de vendre ses légumes, cela aussi est la politique de l'humble administrateur.

Le jardin de l'Humble Administrateur
à Suzhou

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte