Parages

*
Atalante

C'est une rue à l'ancienne qui se tient à l'écart tranquille, une rue bordée de remparts, elle eut autrefois un rôle de frontière dû à sa position abrupte à l'aplomb de la rivière

Les abbés pour affirmer leur rang deux siècles plus tard y mettront un décor sculpté dans les pigeâtres de leur hôtel à mur gouttereau

Quitter la fête, s'éloigner des lumières, descendre vers les quais, le pont vieux –

Arrivé au débouché on voit, étendu par le travers un grand drap blanc, une improvisation dérangée de chaises, tiges serrées de fleurs patientes. Trois personnes sont assises je m'assois

Le projectionniste rembobine ses galettes ; son assistante, pomme cerise et blanche, est dans le style des Maguelonne, et distribue les réclames

– Montrez-moi le jeu vivant de l'ombre, le jeu de l'éclair et des contours, le trait magique qui anime, l’obscur et le brillant projetés d'une autre époque

Une péniche s'en va sur les eaux froides, remonte les eaux brumeuses d'un fleuve du nord. Dans l'étroite cabine les lampes charbonnent

Michel Simon dans l'Atalante
de Jean Vigo,
(1933)



Au narrataire


Comment vous dirais-je ? Dom Casmurro sans personne, ma seule propriété est ma maison
Elle est construite d’à-peu-près, et pleine d’hésitations dans chacun de ses détails. Son idée, le modèle sur lequel elle s’appuie, vient sans conteste d’un à-côté du réel où j’ai vécu sans vivres ni savoirs

J’ai puisé là pour longtemps une substance lumineuse. Tout est fabriqué sans aucun architecte ni décorateur avec des restes d'histoires minuscules, des souvenirs de papier, des guirlandes : « oiseaux et flaveurs ». J’ai fixé des saisons et sur les murs, aux quatre coins, des médaillons d’êtres inconnus qui remontent à des âges, et redonnent du goût à l'antique

J’ai ravaudé de vieilles vaisselles, restauré de vieux meubles trouvés dans les brocantes. Alentour annexé le puits et le lavoir

En barque remontant la rivière, j'ai dû arpenter lentement le pays jusqu'à des havres de toiles tendues sur les berges. Et dans les bons moments, boire sous la bruine, près d’un feu de camp, des crèmes de whisky pour nous réchauffer
(Avec Cia auprès de moi, oublieuse et absente)

Je ne cherche pas à relier les deux extrémités inconciliables de ma vie. Elles ont des noms étranges, et l'incompréhensible émotion qui s'y rattache, m'ont poussé à ces actes. Maintenant comme autrefois, ce que j'aime je le retrouve entre l'intérieur et l'extérieur, sous le même contraste de quiétude et de tumulte

Machado de Assis
Dom Casmurro
(1899)



Scénette


Entre les parenthèses d'une seule année, j’ai vécu dans une chambre aux trois fenêtres immenses. On l’entendait chaque matin résonner comme un grand coffre désert, la lumière frappait par tous les bords
Avec un craquement sec, les lattes du parquet s'incurvaient sous les pas, lignes vives du bois. Et l'ombre était encore indécise
On avait remisé vers l’inutile les livres de la science, près d'une cheminée de marbre et de stuc

Des martinets tournoyaient sous les ciels blanchis de la ville. La cathédrale aux ergots de granit arc-boutée contre la colline carillonnait de désespoir
Je dus visiter à cette époque un château féroce rongé par le lierre. Ses lucarnes étaient remplies de sculptures, de semblants de têtes, de bustes de plâtre inachevés
Par des salles où j'errais seul, je rencontrai les mannequins d'un autre siècle. Ils portaient de beaux costumes bleus défraîchis aux liserés de dentelles

On avait relégué dans un coin de poussière un faux Douanier Rousseau

J'ai suivi les mansions, j’ai dévalé la grand’ rue jusqu'au théâtre de l'eau, la rue qui penche. Le mur d'en face au froid d'un seul tenant oblitérait le jour


Vrai Douanier Rousseau - Vue du pont de Grenelle, vers 1892



Tartares


Le vent souffle où il veut sur les célestes pacages, la foule des fils du vent déboule depuis la ligne d’horizon

Rédigé dans un mauvais dialecte picard que nul n’a cru, Marco qui n’en pouvait mais, nous décrit des hommes buvant d’une piqûre aux veines des chevaux 

Ne voulant rien posséder que dérouler le plan infini de l’herbe et des nuages, rien voulant que nécessaire. N’ayant pour le vivre, qu’une pignate ou le poitrail d’un gibier, une pâte de lait séché ou du sang, n‘ayant pour le couvert et pour la pluie qu’un rond de feutre

Hommes du vent se suffisent, jamais de feu. Ne souhaitent tant vaincre à la guerre que le galop, que la fuite et le poison des flèches

Cavalier-archer Turko-Mongol
XVe siècle



Oiseau-machine


– Insère la clef dans la serrure et tourne à fond, de gauche à droite afin que le ressort se tende, il chantera, a dit l'empereur du Japon à l'empereur de Chine

– C’est un objet automatique presque parfait. Sa voix est régulière, son avance est très précise et sa cadence. Mais il lui manque, dit-il, un je-ne-sais-quoi ! Et si je voulais humblement te l'expliquer (le démonter, analyser le mécanisme et son réglage, comment sont joués les airs et comment ils s'enchaînent) vingt-cinq volumes n’y suffiraient pas, épais et remplis des kanjis les plus complexes

– Une chose encore – appréciable – compare avec l'original ! Quand il joue il brille d'or, comme bracelets, comme épinglettes

Un soir, le 366ème soir de l'année du rossignol alors qu'il répétait la même chanson pour la 1441ème fois de la journée, on entendit un "cric" venant de l'intérieur, quelque chose sauta : "clac". Les rouages s'emballèrent (tchoc, tchoc, tchoc) et la musique s'arrêta

Illustration d'un conte musical de Lionel Bord
d’après Le rossignol et l’empereur de Chine (1843)
de Hans Christian Andersen



La légende du vieux Teae


Ce n’était plus que torrents au lit de cailloux secs, cochons maigres des derniers jours, argent des quincailles enfouies

Le vieillard, les bras levés, la jambe raide leur dit : « Creusez au centre de l’île un grand trou »

Quand il eut invoqué le Te Fatu des parlers puissants, immobile, sa peau devint dure comme une écorce. Ses mains, lobées comme des feuilles, se remplirent de beaux fruits inconnus

Ils le virent ainsi, les affamés, le uru. Grande fut leur joie, depuis s'en rassasient. Que le popoi cuisent dans le ahimaa et le mahi !

Ahima'a polynésien



À la belle campagne...


À la belle campagne framboise et
Verte, aux blés aux haies de bois noirs aux cieux
Třebonice-Praha, épis de bleus

Comme une ligne à l’horizon qui tranche
Comme un chemin macéré de lavande
Comme un cheval que guide un cavalier

Toujours, il sautera l’obstacle. Enfant
L’arbre aux fruits rouges est solitaire
Toujours par-delà les grillages
Il a su « Objekt střežen psy ! »
Enfant, il a mangé les croix de terre





Selon Jan


Vous rendez-vous compte ? Saint-Nicolas
  n’est pas visible

sous la neige, les bulbes de Vrtbovskà zahrada
il Bambino di Praga promettant des guérisons

L’alignement au nombre de neuf

  des fenêtres blanches
Me dit qu’il existe sur le bord des toits,
      un endroit

Où j’irai avec les amis un soir d’été m’asseoir
(Elles sont claires les étoiles de Mala Strana)
Où je pourrai construire un univers dans l’idéal
Où nous boirons dans le grillon
      glacial des ciels des vins

Et fomenterons des projets de réforme du monde

Saint Nicolas sous la neige - Prague



Nové Mĕsto, Staré Mĕsto...


Nové Mĕsto, Staré Mĕsto en cent minutes parcourus. de la tour poudrière à Karluv Most malgré les impatiences, et le choix un peu longuet des poupées russes (et les Mucha et les musées Kafka manqués)

Il y a dans les eaux de la Vltava, les cinq étoiles de Jean Népomucème qui brillent. C’est la statue numéro quinze

Allons. Nous ne les verrons pas, noires sous les nuages fraîchis de pluies, les quelques tombes oubliées

Ô l’immense tristesse des rues juives qui, pour le malheur, nous sont restées dans l’inconnu – Que peuvent encore nous dirent dans Josefov ici conservé, la Vieille-Nouvelle, Rabbi Löw et son Golem, d’une tant mauvaise volonté

Place au grand théâtre, touristes ! À Notre-Dame de Tyn barrée de rose de jaune de sgraffites baroques – aux slaves breloques endimanchées, aux châteaux HRADČANY, aux abruptes montées !

Rabbi Yeouda Loew ben Bezalel
(1512-1609)



Le monde entier sera content...


Le monde entier sera content Mettez-vous là ! Le groupe pousse

Julie certaine Pierre étonné, c’est près d’Orloj. Notre-Dame de Tyn est reliquaire

À midi sonnante, douze personnages défilent quand s’ouvre la fenêtre. Une roue noire, orange et bleue s’anime aux quatre temps de ses frivolités

Le groupe avance il observe la galerie des plâtres et des stucs, la foule se balance et se disperse

Karlův Most est un jeu d’arcade et d’ombres, de photos imprenables entre les bras charbonneux de ses statues. Les nuages ont rembruni l’azur, une inquiétude va grandissante vers les cieux

Qu’il fait froid quand la pluie tombe ! Je jette un regard vers les herses de glace où le groupe est transi

Karlův most
Praha



Wang et petit Wang, deux frères chinois


Depuis lors, tourne la meule au fond de l'océan, tourne et continue de moudre le sel inépuisable. Aucun poisson n'alla se plaindre, aucun n'y songea car tous ils vivent d'ignorances…

Wang était riche quand son frère n'avait rien. Il avait accaparé tout l’héritage de leurs parents. Croyez-vous qu'il en fut satisfait ? !

Envieux, possessif, avare, il n'en avait jamais assez. Il apprit que Petit Wang, son frère auquel il avait – tout net – refusé son aide, alors qu’il était dans l’embarras, possédait chez lui une pierre meulière aux propriétés étranges, une meule produisant du sel qui l’avait tiré d'affaire

Aussi la voulut-il. Et savez-vous : il réussit à l’avoir ! Petit Wang était la bonté même et respectait son frère. Il la lui donna, Wang la rapporta chez lui, l’étudia, mais très vite s’en désintéressa, et la poussa du pied

– Dès lors, elle se mit à tourner, elle moulut sans relâche. Le sel s'accumula, la maison craqua. Wang ne savait comment faire pour l'arrêter, il allait étouffer, il ne trouva pas d'autres solutions que de la rouler dehors. De la falaise dans la mer… depuis salée

Est-ce bien là le « fin mot » de l’histoire ? Eh bien non ! D’ailleurs en voici le début

Petit Wang était pauvre quand son frère avait tout. Économe par nécessité, attentionné, à l'affût de l'aubaine. Comme il rentrait bredouille de la pêche, il ramassa une meule usée « Ça peut toujours servir... » qu'un meunier soucieux d'une bonne et blanche farine avait jetée

Il la mit chez lui dans un coin de la cuisine et l'oublia

Un soir, il la heurta du pied par mégarde. La meule se mit alors à tourner, elle moulut sans relâche, le sel s'accumula. Le tas de sel grandit, grandit, grandit, grandit…

« Me voilà riche mais point trop n'en faut, comment faire pour l'arrêter ? » Il réfléchit, se mit à penser, calcula. Il eut une idée, soudain : il la retourna !

À partir de ce jour, vendant son sel produit à besoin, il ne manqua de rien, jusqu’à ce que...




El Dorado


La légende de l’homme doré, El Dorado, est née des hauteurs chibchéennes, des eaux paisibles, des eaux rondes du lac Guatavità

Près de Santa Fe de Bogotà la ville, dans les montagnes d’améthyste et de turquoise, un météore en des temps reculés fora un cratère que les torrents de pluies ont comblé. Ses versants annulaires se couvrirent peu à peu des végétations les plus épaisses

– Guatavità est une châsse émeraude. Une image spéculaire au coin de l’œil. Sa surface intensément reflète le ciel composé d’azur, et sous les eaux, on dit que sommeille la poussière sidérale

Les Muisca (Guanes, Laches, Pijaos, Chitareros) racontent qu’ils menaient leur Zipa vêtus de plumes et de poudres éclatantes (Ô la cape rouge des regrets) sur l’offre d’un radeau jusqu’au milieu du lac
L’officiant se dressait tel un soleil flamboyant sur l’eau saphir, dédiant le minéral à la divinité endormie – gemmes précieuses issues de terre, et gouttes d’or pur

Nuit et jour, le lac s’irisait sous la lune
Nuit et jour il scintillait d’autant de feux que d’étoiles

Vint le Conquérant qui entendit ce que racontait l’indien. Il voulut l’or de l’homme doré, il voulut s’emparer de ce qui n’avait pas de prix, de l’offert, cœur animal des ténèbres sacrées. Il brisa le cercle parfait du cratère qui sertissait le lac. Il ouvrit une brèche, saigna l’indien, assécha la terre

Mais sa réclame insensée resta vaine et s’épuisa. Et la flamme d’El Dorado continua pour toujours de brûler au fond des eaux dormantes de Guatavità




Neckar


Éveillé tôt ce matin, il y avait le lent glissement des péniches qui sonnent de leur corne entre les deux rives ombragées du Neckar, serré de rails filant jusqu’au bas des forêts

Mes souliers mouillés à six heures dans l’herbe fraîche, les coups de marteaux des travailleurs de nuit des dimanches qui ferraillent sans trêve, en crevé de bruns leurs passerelles bétonnés

Le chemin qu’on n’avait pas fermé, au-delà de la barrière le chemin indécis, mes souliers, deux arbres, une brève montée
– Cette femme apparue en haut du champ avec l’escorte de ses chiens – une femme trop vieille, des cheveux de brume, un incendie liquide, un peigne d’eau – cette femme qui proféra, dans la clarté de l’aube quelques mots de haine à mon encontre, dans sa langue explicite d'allemande

Il y avait, que je dessinerai plus tard, la silhouette de ces deux arbres sur la colline, un village lointain que je photographiai, des étages dans les gris-bleu, des lieux sauvages, les ronds de l’eau et le reflet des pierres sur les hauts-fonds, les ondes du sillage tracé par les péniches

Des ruines d’ocres aussi, les souvenirs d’un château que je ne connaîtrai point « Énorme fort, augure du destin, jusqu’en son fond déchiré » et les ruelles heureuses d’Heidelberg et les tourelles blanches, et sous les saules des rives la statue d’Athéna




Dans les parages


Je vais vous dire à présent ce que j’ai tiré du fond de l'eau : quatre loups, deux daurades, un seul mulet, et comme ils viennent, tout un lot de communs (dans les dizaines) issus de ma rissole qui feront, pour la mise en bouche, frais avec une bouteille de rosé, le simple bonheur d'une anchoïade

J’aurais dû pousser le jeu beaucoup plus loin, plonger mes filets dans des eaux plus profondes, sonder le sortilège des poissons, le froid bleu, intense et nacré

Et rameuter tout cela sur nos quais… Le soir tombant, confectionner une bouillabaisse de Marseille aux douze ou bien encore une bourride de Sète, blanche de chairs accompagnée d’un aïoli

Mais c’était trop d’efforts, trop de fatigues. A force d’habitudes, l'inconnu s'est retiré vers des limes inqualifiables. Je n'ai pas su malheu-reusement l’attraper, je n’ai plus d'espoir dorénavant, si loin qu'il est, si resserré que nous sommes, le contraire eût été bien étonnant

Bouillabaisse de Marseille



Rendez-vous musical


La brume a pris son temps pour se lever. La chose attendue s'est produite malgré tout

Vers le début d'après-midi. On allait pouvoir enfin s'y rendre

L'accordeur remonta le rideau de fer du magasin. Dehors, l'air envahi de solitude grinça comme un seul bloc

Notre homme était un pape et vivait dans une ruelle emplie d'automobiles passablement bruyantes

Nous y engageâmes une conversation à propos de cuivres et de bois sonores, de claviers, ainsi que d'un certain plan de cordes

Il nous dit son souci qui tournait

Autour de bruits intempestifs, de notes qui collent, de sons altérés, étouffés, métalliques, de cordes qui zinguent, de marteaux qui bondissent

Il nous dit sa frayeur au toucher d'un clavier inégal où les blanches et les noires s'enfoncent, irrégulières… gagnées d’un grippage progressif ; son angoisse devant les dysfonctionnements qui s'installent, ne serait-ce

Que par le jeu du compactage des feutres et de l'usure du mécanisme ou par le fait des variations de température et d'hygrométrie

Il nous dit aussi l'honneur qu'il eut d'assister

A l'illustre rencontre de deux infimes artistes sur les deux chaises que voilà

Retourné que j'en fus, mon âme !




Concertino


L'espace est adouci(e) mais forte et plein d'une forme sonore – tout droit sorti, tout droit venu des confins atténuateurs de l'hiver. Nulle rupture ici, les mouvements s'enchaînent, approche-toi

L'air se froisse, surprend le jour, de la cime sans feuillage au fini de la terre. « te raau rahi » est le mot qui s’inscrit sur le faré de Paul

Que les clefs de timbre du tam-tam se desserrent. Que soient délivrées de leur cage les notes. Ah le beau désordre, le claquement d’ailes ! Écoute de tes deux oreilles, ouvre grandes les paumes, résonne !

Tous les claviers sont traités en percussions et tintements. Célesta, jeu de crotales sont le même. Rare hautbois d'amour, carillonneurs s'installent aux meilleures places

Soliste au plus près de nous. Fausse cadence du soliste sur un seul et même accord, en filigrane



Au caliduc


L’hiver s’avançait très loin dans la saison, l’hiver bousculait la campagne avec rudesse, plus rien d’autre n’existait que l’hiver, plus rien d’autre que la neige

La pièce était déserte en son milieu. Un poêle de faïence chuintait, bleue dans un angle comme une écharde plantée

Il suffisait au locataire de ces lieux de monter les deux ou trois marches que nul panneau n’interdisait – de se retirer du froid pour trouver dans cette zone une loge à ne pas vivre

Le nombre des hommes depuis longtemps s’amenuisait, piétinant la cendre sans rien voir. S’ils s’apprêtaient à disparaître, ce ne pouvait être que par ce goulet malgré la masse incom-mensurable de leurs biens, les yeux salis de suie, le dos courbé

L’un d’eux parfois tombait sur le côté, dans le coin le plus sombre. Il commençait à creuser dans le sillon, à dessiner sans comprendre des formes imprécises, des pentagrammes, une sorte d’alphabet composé de cercles et de croix, laissant glisser lentement une fine poussière entre ses doigts




Elle se déroule toujours pareille


Avons marché dans le grenier bon vieux tapis – tourne tourne – piétiné il en a vu sa trame est élimée un pas et deux trois pas se pousse de ce livre pleine page quelques lignes de cet autre qu'ils sont drôles additionnons dessous j'entends ça craque les lattes du parquet va ressortir la bale des moissons ah oui autrefois on y blutait des mots

Marlène au disque noir – tourne tourne – sa chanson piquée comme breloque à dévider le temps du début de l'ombre jusqu'au toit un réseau de bruine lentement s'étire la colline grimpe chair de flouves chair d'ivraies c'est jambe longue la seule herbe

Qui s'étonne à main gauche le soir d'un crevé d'ocres et de violets passé de mode trop de masse les nuages et le pré bien trop luisant avec de vieilles choses dans un coin tout ce qu'on jette et qu'on oublie ces barbelés le volant de fonte est immobile les carcasses sont figées – tournera plus

Lili Marlène
BnF Gallica
Édition 1959



Retour de vacances


Passé un certain âge, les femmes vont jeter leur tête sous les trains, au grand désespoir du conducteur, qui cherche la tête, qui cherche la tête, entre les roues et les rails. Et frappe les boggies, il ne faudrait pas qu'elle aille fausser les roues !

Voyageurs, le voyage continue. Que personne ne descende ! Il n'y a rien à voir… Bon Dieu, non ! Rien, sauf qu'au bout du train, par la dernière porte, le dernier demi-soufflet du dernier wagon

Une femme se tortille sur le ballast. Une femme sans tête. Elle a mis à son cou un petit liseré rouge, plus rouge que ses lèvres

Grenoble - Annecy

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte