Mers

Voies rompues


Quand le soleil eut brisé la vitre...
Comme un souvenir ancien, comme une idée du premier jour, lente une eau grise et froide, une eau de neige envahit le chemin

– La mer a monté jusque-là, route mouillée

Les mâts balancés, la voile ronde, flaques et talus font un paysage. Le ciel est de glace, batelier muet. Il fait un froid certain. La boue colle au talon, il faut un effort à chaque pas

Le soleil en ressac éclabousse la route

De jeunes ormeaux sans tête sans bras s'alignent, s'en vont droits se perdre jusqu’à cette cassure. La terre est morte à l'horizon, la terre

Aux abords d'un chemin venteux, s’effondre ; s'ouvre la plaine, l'étendue de la ville avec son poids de pierres

On entend, cela vient se briser, le bruit des ateliers, d'un garage aux portes rouges – le travail du fer, bruits des jardins ouvriers, pépiements, draps qui claquent. Rien

La route basse et droite continue vers le centre probable. C'est un après-midi calme qui se perd et la ville imperceptiblement s'étire




La Varde


De ce côté-ci, tout un lieu d'ombres où le ciel s'effondre

Le fer rouillé de la rambarde, l'échiffre instable, un chaos de roches aux environs d'un bois de pin noir. L'espace est envahi par la houle, écho puissant et qui vient et qui roule. Paroles en colère, ciseau contre granit, dialogue avec la pierre

On longe ainsi l'estran. Aussi fraîche qu'un ruisseau, une musique se perd dans les méandres de la plage. Les eaux se retirent. Toute pensée suspendue, le corps enfoncé dans un creux de solitude, les pas s'éloignent, les traces disparaissent. Un fuseau se dévide, un caret de lumière, le fil d'une portée

De ce côté-ci, sur l'étoffe de sable lentement pèse le retour des nuits





La chambre marine


Je me souviens qu'il fut des jours bien plus heureux, des villes plus anciennes, des maisons, des remparts bâtis contre la mer

Il m'arrive parfois de revenir au pied de ces murs et d'écouter. La nuit y est profonde

Qui pourrait dire
Depuis combien de temps le ciel s'est écroulé ? Ce que le fort aux avant-postes garde encore ?

Je me souviens qu'il existait, haute, une salle sans fenêtre. Calme et clarté régnaient. Le plafond percé d'une verrière était d'un bleu changeant

Ô la mer, invisible mais présente !
Les multiples livres
Le sofa où dormir, où rêver dans les rayons du soleil qui remplissent la pièce




Préparatifs

Entends-tu le clocher qui sonne ? je m’éveille, le clocher ce matin sonner la cinquième heure, le jour ne veut plus te quitter,
Tu t’habilles et tu sors

Je descendrai dans un instant la rue, par l’eau noire de la nuit rafraîchie, du côté de l’église les marches

Sur la place tu t’arrêteras à regarder
L’ordre double des colonnes raccordé de volutes, le fronton triangulaire. Si dehors elle est simple et sévère, y brûle une inquiétude, un foisonnement d’ors, d'ombres, et de prières

Seul reverdit le désir du lointain. Marchons sur les quais, resserrés de fleurs spirituelles. L’aube pointe. Un fredon de barques se balance, d’un même rythme, une pensée. Belle à tout reprendre




Décours

Entre la falaise et la plage de galet, nous suivrons les pas du chemin qui tourne, ses talus jaunis de primevères

Nous comprendrons son désir lorsqu'il ferme sur nous sa veste de buissons aux poches pleines d'oiseaux

Nous descendrons, le pied posé au vif sur les marches des grandes laveries,
Cueillir des coquillages nacrés les plus luisants

Mais séchés dans nos mains leurs couleurs s'envoleront et ne restera sur notre cœur qu'une poudre de tristesse

Gardant avec ferveur la somme des accords passés, ce qu'il nous fut donné d'entendre, nous irons à cet amer où le chemin s'efface

Et nous verrons si nos yeux savent à même la pierre ouverte, au livre des flots,
Patience et force d'éternité, lire




Je veux être dehors

Je veux être dehors, partir au loin, quitter l'endroit des hommes, aller jusqu'à l'x de l'île

Au milieu du pré qui penche, s'écarter de l’église en ruine. C'est manche-mer, les rias de la côte

Je vais au Chaos

Il existe une algue appelée Himanthalia, on en a fait un « laver bread » sur l'autre rive

Le sentier coupe au travers des joncs, évite le vert cabanon des pêcheurs, le petit pont de bois glissant, les fourrés de cinéraire. L'eau fraîche d'une vasque se perd dans les rochers, effondrés de sable et de coquilles que les grandes marées changent sans cesse

Varengeville
Claude Monet



Les navires

Les cotres les goélettes (maquettes sous le verre) le brick en ses meubles cuivrés, toutes les pièces des eaux vives dorénavant sont enfermées

Ce n’est plus que poudre aux yeux, petite monnaie qui tinte, quincaillerie du fond des poches pour des touristes corsaires

Et quand bien même, l'Amérique a suivi d'autres routes. Fortune a passé malgré le cri de mer

À toutes les couvées d'oiseaux de langue jaune, violentes têtes, vous becs de granit, je le dis, désormais les parasols ont poussé pour l'attardé. Le bar est ouvert jusqu'à minuit

Miettes noires, grillent les mots.

Le corps de garde la mer
y donne ce goût d'algues,
une soupe épaisse et douce


Saint-Malo



Viviers d'avenirs

Étourdies par le vent, emportées arrêtées contrées, remontant le fleuve d'hiver, soumises au mauvais temps, elles vont en vagues, se haussent descendent se croisent. Leur cri de lanière est un gréage. Ah le beau navire, les toits rouillés ! C’est une volée de neige qui varie. Serrons au plus près, et toutes voiles destinées, qu'il file et qu'il tangue suivi de son quadrille d'ailes




Trois mesures de folie

La mer ne veut plus être la mer, le ciel ne veut plus être le ciel, le champ peut-il être le champ ?

L'eau est mate, l’air est blanc chargé de blanches moussures, tourbières glacées de sonorités concaves, tournantes langueurs, voix tonitruantes au départ éperdues d'espace et ouatées, issues des formidables architectures de fer. Ordres et phares. Je vois des foules en mouvement

Le ciel est invisible, la mer invisible, le champ s'étend

Des hommes guettent quelques ailes en reste, fusil contre l'épaule. Les uns, l'oreille agrandie, vont dans la froidure, ils piétinent au champ de salicorne




Égarements

Tête saoulée, éblouie, je vois la ville un peu qui s'éloigne et laisse derrière moi le port s'ouvrir à ses poignets de mer

En suivant le chemin des Douaniers, le vent de sable et de sel s’est mis à chanter. Je pars vers n'importe où, l'océan est sans limites. Je largue les amarres, je somme les escales, je jette vers les hauts

Une stance (une stance ou deux) tiendront-elles ?

Le soleil retombe dans les champs, la côte disparaît. La lune se lève à l'horizon. Le silence

Va revenir, c'est certain, comme un mauvais automne qui s'étire, plein d'ombres sur le pré. Il suffit de franchir, de passer la barrière. Le gui ronge de vert les bois tors du pommier ; toutefois, je me dis que les pommes sont bonnes. Je m'arrête saisi, je tourne sur moi-même

Balancés en tous sens, couverts de froides buées, ces mâts décharnés le long de la jetée, jamais ne partiront.

Georges Seurat
Port-en-bessin
(1888)



Marches de l'Ouest

Patrie d'avance marine
Aux maisons de granit et croix
Solitaires sur la lande
Couverte de genêts
– Sauvagerie du vent de grande marée
Tourné vers elle, prenant d'elle
Son image et le destin
Le dos contre son péril, fasciné en écart sur la mer

le Mont,

Bâti entre le flux et le reflux
Autour de l'arbre du chœur, de chapelle en chapelle
Cerné de remparts
Comme joyau s'érige

Entre les doigts du fleuve :
Delta aux herbes rouges
Et sur les ailes des mouettes
L'or du bleu s'aiguise pour le combat de l'ange



Entre la mer jamais découverte et la terre jamais recouverte, il y a cette aire amphibie, ce caméléon tour à tour prairie ou étang, marais ou méduse, qui trahit toutes les six heures et passe à la mer et repasse à la terre, cette zone pareille à un supplicié dont on ne plonge jamais assez la tête pour la noyer et qu'on ne maintient jamais assez à l'air pour qu'elle dégorge ...

Michel Deguy - Biefs (1964)



Avant Lion

La première impression qui me revient
C’est par la vitre bleue d'une voiture
L'horizon qui tanguait sur l'océan

Près des cieux, l'araignée d'un peu de brume
Et cette poudre de blés qui vallonnent

Quel était donc se terminant par « mer »
Le nom sur la pancarte ? Je me souviens

D'un village perdu dans les bosquets
Brun, les feuillets d'ardoise du clocher

Y brille un point carreau c'est un coq
Nombreuses blanches petites dansent
Les voiles tendues vers l'infini

*

Jean Fautrier

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte