Retrouvailles

*
Fugace est le visage des sentiers

Il suffisait de suivre une ligne incertaine, ocrée poudreuse, bordée de loin en loin par des lieux frais couverts. L’esprit, sans y prendre garde pouvait en continuant, vider ses poches. Tu ne poursuivais rien, tu ne voyais rien venir si ce n’est ce remuement de feuilles d’une rapidité extrême, un bondissement du cœur et l'espace aussitôt qui se rétablissait

Des mots se nichaient sous ta langue comme un village tranquille

Le matin est ouvert de tous les côtés à la fois et refermé sur lui-même par l'humidité des grands arbres de la nuit, tu prends la route familière qui sort du bourg. Tu suis les traces en V des tracteurs, le bosquet emmuré, le calvaire. En tournant vers la gauche, il y a trois grands bidons de zinc près de la barrière, tu soulèves le bouchon de l’un d’eux et déverses dans le pot cinq bons litres d'un lait fumant et crémeux

Dans le ciel immense, tu retrouves la vigueur tissée des hirondelles

Plus tard dans la nuit, sous l'éclairage de la table de travail s'afficheront, volant comme phalènes les uns après les autres la multiplicité des signes d’une même parole – ton envie de tout reprendre était si forte – le jeu des lettres en bleu posées dans la blancheur

André Lemaître
Route de Troarn
(1952)



T par T


Nous n'aurions jamais dû quitter l'ombre fraîche du chêne, ni la maison chaulée

La porte s'ouvre, bruissent d'insectes les tournesols sous la fenêtre. La route est sans talus qui longe notre pré. Nous aurions dû rester

Il eut suffi de traverser, de descendre trois ou quatre marches, de s'asseoir

Peut-être la chaise verte de jardin nous attend-elle encore, et la rambarde au bois non dégauchi, le champ dévale
Jusqu'au ruisseau, la roue écume

Comme il est bon parfois de n'être que regard !

Et nous aimions à nous tourner plein sud, à voir, serrée, la montagne d'orages légère au-dessus des nuées puis cet éventail de collines

Vers l'ouest, le temps s'étage en de multiples haies, le temps, en des haies de couleurs




Retrouvailles


Il y aura eu des journées splendides, et d'autres de janvier que j'aime aussi où la pluie crépitait fine sur le toit dans une mi-clarté d'hiver qui ne pèse pas comme un nuage gris

Était-ce bien un janvier sans une neige ?

Il y aura eu des journées calmes où je me suis retrouvé, l’oreille attentive aux mouvements les plus infimes, tassé au fond d’un vieux fauteuil de cuir, sous la lucarne rêvant dans le silence et le frais, à peine ponctués, à peine crispant la nuque

Joe Downing (1925 - )
Composition



Vous et moi


Le dortoir est au réveil
un fouillis de sacs,
d'objets divers et personnels,
déballés dans la hâte.
Tu poses un pied nu sur le sol carrelé,
le jour s'est levé.
Tout dort

Comment suivre tes pas ?
(c'est une buée légère),
à peine ont-ils paru qu'ils disparaissent,
il reste tant d'incertitudes

Ébloui
par le grand morceau bleu de la vitre,
avance‑toi.
Tes habits sont des rêves,
voiles d'ombre pliées, si les yeux te font mal

Ce matin, un arpent du ciel
a mis la nappe sur la table.
O mon âme,
sois la première à dire avant qu'ils ne s'éveillent,
cette fraîcheur de l'aube

Fernand Léger
Le réveille-matin
(1914)



Parmi le monde les couleurs


Primidi, ah ça ira, ça ira… Reçois carte blanche, citoyen, va, brûle, fait feu de tout bois, marque d'une poudre
Les habits d'or de beau ciel

Le sang versé dut-il couler à même la rivière, eau qui longtemps calme s'avance et traîne lisible un fouillis de glaïeuls
N'en porte pas le deuil

La paix remise, les horloges réglées, il convient de bâtir. Aviver les poutres au plus haut, le temps va s'y loger. Puisse tenir un fin lamé de pierre ainsi qu'une réponse
Verte est la mer hantée de ton pays

Calendrier républicain
(1792-1806)



La varenne


Mon ami, traversons cette jachère, elle est depuis son abandon, couverte l’an dernier d’une herbe plate

Nous irons jusqu'à la bouche d'eau des feuillages. Légère est la pente à cet endroit

Allons-y. Racontez vos histoires, dites-nous les horreurs du passé. Prenez le temps qu’il faut,
nous l’avons

Je ne sais pas si vos brochets seront tout à l'heure aussi mordants que vos explications, mais je suis prêt

à vous croire. Laissez votre verve s'épancher, naturel-lement je me tiens coi

Je me réserverai par la suite (on ne peut rêver mieux) un nid de hautes herbes et d'insectes
à ce coude ensoleillé de la rivière

Jacques d’Arthois
Paysage boisé avec rivière
(~1665 - 1670)



Torpeur


Lorsque le fleuve …
Le ciel par-dessus la colline comme une voie sans fin frôle passant bas, de ses voiles légères, la cime des sapins

Lorsque les bêtes …
La pluie venue couvrant, si serrée, si dense, les champs gorgés d'eau, lorsque les bêtes sous le couvert se pressent

Que le toit, que l'œil …
Chape d'ennui, que le toit n'est plus qu'au long bruit sourd, que l'œil en vain cherche entre les nuages un rayon

Dans le calme et la durée vont leur chemin les simples, et l’homme…
L'homme s'endormirait presque aux battements de l'horloge

Eugène Boudin
Paysage avec vaches
(~1881)



On pousse une pierre...


On pousse une pierre, fixée au rouge et de vertu ignée. La route est sèche. Une autre pierre qui est une pomme ainsi nommée non pierre. Le ciel est rond

Je ne sais que deux choses, depuis la scène jusqu’à l'horizon, le ciel et la route

J'ai peur car un jour… non, je crois que j'ai peur si bien que j'avance au-devant, c'est inéluctable

Je ne peux m'arrêter ni ne le veux aussi je n'espère que la ligne là-bas – retenue – simple ligne en songe
Qui me gouverne

Henri Girard
(2014)



Rite


Il y a devant soi un creux parmi les feuilles,
La présence d’un corps bruissant dans les fourrés

La croisée des chemins fulmine à l’équinoxe
Un éclair de foudre a déchiré les nuages.

On a essarté la forêt en son milieu
On a brûlé en offrande un bois de vieux chênes

Mais la proie saisie est encore un peu vivante.

Le temps de dire et voir et d’entendre, les mots
Vont tomber, seront clairsemés et reverdis

Une odeur brune va se répandre. Au matin,
Le sol sera jonché de fleurs et d'aromates

Françoise Pirró
Paysage propice à l'oiseau
(2003)



Grémone


Étrange cette impression que l'on a d'être observé de ces hauteurs fracassées

Ce ne peut être que le vent qui serpente dans les herbes, et qui roule à perte de vue ses ossements vers les sommets de Lure rapprochées des nuages

Une musique aussi, impossible à situer, presque une absence, un air imprécis ô combien vague et qui vient tourner les pierres du jas des Terres du Roux

Et l'on s’avance jusqu’au bord, le sol se dérobe, et l'on se tient là debout à attendre, à vivre dans ce volume tout entier de l'espace, à ne vouloir ni le dehors ni le dedans, à regarder

le jas des Terres du Roux



Peugue


Côté noir du jour, suivant des routes qui ne sont ni de campagne ni de ville, à moins de trois kilomètres d'un bras de mer, on roule

Le décor est en place. Disons qu'il y a dans l'air un sable micacé. Ha, j'entends les voix qui parcouraient les lignes, chuchotées les mots, voici tant d'années

Je voudrais planter mes yeux en terre

Il pleut, des gouttes glissent sur le fil, la mer s'éloigne. De petits soleils bleutés tombent sur l'asphalte

Abbas Kiarostami
Pluie et vent
(2006)



Leurs visages mêlés


Étrange et froide statue jaspée du jour qui regarde au travers du carreau de ma fenêtre. Un éclair a claqué. C'est une poudre, un vol de vieux soleils contre le mur noirci d'en face

Les obus d'hier l'auront oublié, je pense

Comme il est calme ton sommeil sous le grand jour. Comment peux-tu dormir ? si les toits quittent l'ombre, si la ville a rejeté les draps. La terre est visible bientôt, franche vers la haie d'aubépine

Henri Matisse
Roses à la fenêtre
(1925)



La porte, elle a pour elle...


La porte, elle a pour elle une lumière à chanter, porte et carrelage (comme on lance le fil, l'avenir est en jeu), d'un côté puis le ciel, palais de la poussière et des toupies de vent

Il y va la tête fourrée d'un mille des pailles, l'enfant, siffle et se jette à la route la droite sans bords, lui, perdus les pantins, ces tas qu'on dépenaille en l'année révolue

Maréchal, il est temps et plus de sortir les tricoises

Reg Cartwright
Bundles Album
(1975)

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte