Passages




Tour cardinale

Tour cardinale !
Vertige et rêve d'abîme
Nombreuses les heures,

les croix d'attente
avant que ne chatoient
aux couleurs de glèbe
les prunelles

Douceur et dureté
de Son construire
Ô l'introuvable soutien !

De l'extrême flèche,
le jour inouï renverse l'éternité
La jeunesse de l'eau
casse les digues

Institut du monde arabe, Paris




Endurance

Le talon d’une attaque ferme
Souple mais têtue la cheville
Heurtant la caillasse des routes
Un pas d’une calme cadence
Dans les yeux formes et reflets
Des saisons de vives couleurs
Ainsi libre joyau s’assemble
Là selon ta force et ton propre
Au lieu de ton attente un monde
Séjour cordial et jour nouveau

Paul Klee, Avec les aigles
(1918)



Travaux en cours


Il y aurait d'un côté la pierre, le bloc de marbre extrait de la montagne, et de l'autre le feu de l'homme, soit la braise

Qu'il transporte dans un sac !

Je joindrai les deux et ce métier de mots affinera le corps par le jeu successif à coups de masse des pointes, gradines, ciseaux puis râpes

Existe-t-il plus belle présentation
que la nudité d'un corps ?

Un homme se fait, se dresse dans la pierre. Ah ! rendre visible la forme d'une épaule, un torse et le reste pressenti au brut ! On devrait parler de gloire

Torse d'un faune
Villa Negroni (Rome - 1er siècle av JC)



Zénith


L'incendie, les hauts arbres que le ciel fend
Le soleil tire ses salves
l'œil cligne
On a déroulé le tapis, versé l'or à pleine cargaison
Nos pas saccagent des richesses
Une caille quittant par frayeur les blés
ébruite la nouvelle
sur des pages de lumière

Têtes africaines
quand les fleurs du désert calcinent leur bleu
quand les faunes déchirent
le silence. Ivres, les têtes sonnent.

Midi écourte les chemins !

Paul klee
Baum Kultur
(1924)




Lenteur du jour


L'air chargé de pièces d'or à l'estampille du temps
Est bien plus fort que nous
Des enfants qui s'habillent de rouge
Poursuivent leurs rêves
Jeu de la balle avec le soleil. Châteaux de sable
Un corbeau passe au-dessus du toit vert
La vitre brille, paraît
Le visage d'une femme aux cheveux noirs
Dans le bosquet, cueillant les roses
Eurydice chantée meurt
Nous sommes trop longtemps resté sur cette plaine
L'herbe a séché. Le silence est venu

Paul Klee
Roter Ballon
(1922)




Reposée


Dehors calme blanc
L'herbe sur la colline à peine
Un tremblement verte
La vitre d'un maigre soleil
Chauffe les poutres les soies
Jaunies à goût de cendre
Une mouche arrondit le silence
Tu es seul sous le toit
La barque du ciel n'est
Qu'un balancement de l'heure
La vie souffle aux jardins
Mémorables de l’automne

Paul Klee
Erinnerung an ein Garten
(1914)



Cinquième heure


Longeons le cimetière
Contre le ciel pâli, le mur
De pierres jointes
Par ce peu d'herbes s'appuie.
Le soleil allonge les poteaux,
Chaque gravier scintille
Et la ville se tait, lointaine
Jusqu'aux jardins qui rêvent.
L'homme est vieux et patient.
Marchons avec lenteur,
La terre est notre promesse,
Nous aurons d'autres bonheurs

Paul Klee
Denkmal auf einem Friedhof
(1922)



Nord


Le soir, et d'herbes pourrissant
Les plaines s'ouvrent
A ce gibier d'étoiles
Leurs yeux dans l'eau se figent
Un pas contre la pierre ébruite son sentier
Frémissante est la haie
D'ombres qui l'accompagnent
Une plainte s'est tue. Un chant. L'or
Et le cœur resté ferme
On voit des feux briller au loin :
Sensible espoir
La nuit mûrie, les aiguilles se joignent
Force et corps
Un froid glacial avive l'esprit

Paul Klee
Vollmond (1919)




Pathos


Entonner, les poumons sertis dans les griffes d'un ciel qui n'est plus que ceinture grise, trop serrée courbant trop la taille du territoire, faire naître éveiller malgré ce poids, le chant pour une danse, soit le poème ; tel, nous voulons, songeant méditant pour venir aux approches, aimer comme le soc d'une charrue aime les lèvres du sillon, la graine et les corbeaux qui suivent, immanquablement ; tel, nous nous laisserons jusqu'au tard, jusqu'à la nuit de tout le jour qui accompagne ta démarche depuis l'inoubliable souffrance qui te fit, être




S'il vient, qu'il vienne !


La nacelle se heurte, le vent la jette à la berge, lourde chargée en vrac de l'ombre-chevalier, des civelles insaisissables, lottes, meuniers, grémilles – la verte des graviers. Il enjambe le bord, arrime et se tient droit. Longue en fut la préfixion mais la joie plus grande

Aujourd'hui, à qui donc le dois-je ? que je l'entends. Voici des accents neufs, une allée large avec de meilleurs pavements. Tant mieux car le soir tombe alors je me dépêche, tant mieux si je suis seul. L'horloge sonnera, fréquente sur la page, rentrons la cargaison

Paul Klee
Sindbad, der Seefahrer
(1923)



Les simples abords


Cette direction l'autre comme on s'y conduit vers le champ près de l’eau,
deux ponts soit de fer ou bitumé se recroisent, une baraque les surplombe, et ceci sous le ciel rondi bleu d'un feuillage

C'est à prendre au plus court. La terre est étroite sur laquelle il faut marcher. Le pommier de pommes jaunes s'anime, une chair s'effraie et s'enfuit. On ne sait plus bien. On serait presque ébloui quand passent sur de minces barques les rameurs

Paul Klee
Betroffener Ort
(1922)




Les intentions affines


Ce que tu dis c'est simple c'est qu'il y eut un jour, hysope en ce réduit quatorze rue de Lim., une tournure, un mouvement de tête, surpris, nouvelle, une vue, et de là, jamais plus lâchée, va débouler jusqu'au cèdre

Ne rien épuiser ni retenir, c'est possible. Nos amis vont parler, nous donnent des conseils. On les écoute car l'oreille est magnanime, mais les chemins s'ordonnent, mais l'armature où trouve-t-elle son hermine ?

Le chant s'élève, les plumes volent. Mordu, ciselé comme à l'angle d'un soleil. Ne cherche pas, voici du pauvre et du fragile, nous sommes forts. Teinte au fond des poches la monnaie de l'empire

Vassily Kandinsky
Impression V (Parc)
(1911)




Juillet


C'est dit, le ciel est lourd il ment, nous ne renverserons pas la tête sous les feux mouillés s'ils claquent dans la nuit peut-être en corolles éployées, cette fois encore, nous ne prononcerons pas comme la foule gaiement les ho et les ha qu'ils jettent en bouquets à leur grenaille tricolore

Nous irons nous terrer dans l’ombre. Visage dans l’oreiller, nous partirons vers le sommeil. Éteignons la lumière :

« A demain, fusantes Bengales. »

Voilà des draps par la lucarne. Le temps est à la girandole, aujourd’hui. Le jour respire. Il reste une ou deux roues qui s'accrochent à l'humeur du bocage. La chaleur des nuits des chambres s'envole, s'épuise dans la fraîcheur du matin

Paul Klee
Orientalischer Lustgarten
(1925)




Pavois du temps


De la courtine aimée d'ombelles si, comme choix de pacotilles, et friand, ton rire épelle un plein midi de songes, au balcon c'est
La balle qui bondit, jusqu'au champ, jusqu'au bois. La route sonne, fringante du soleil sous les sabots

Le goudron fume au bât de noisetiers

Libres armes d'azur, les mots s'envolent. La barque sur le lac a chaviré, croulant ses ors des coffres du plaisir

Beaux yeux qui se tournent
A telles accordailles, sachez qu'on nous invite. Va la croisée nous y offrir un fugace bouquet d'asters, une douceur noisette, un cœur

Nous porterons l'habit
Le vrai de gala tissé d'un paon du jour

Paul Klee
Der bayrische Don Giovanni
(1919)




Le temps surpris


Ah ! Le bel air parfumé du petit sentier, ton emblème où chante la grise, la tourterelle, si précaire si têtue la ligne d'argile à son âme hésitante, et tant de joies, d'efforts avant cet échappée

Chante la chanson fidèle et danse

C'est bref, écoute, regarde, de trop de brusqueries tu gardes la mémoire. Entre deux ciels d'orage, l'oiseau chiffre les soleils prochains

Et le cœur patiente, et le cœur s'atourne. Sur les campagnes sonne le pas. Au levant d'une force un monde se rassemble

Paul Klee
Der Hirsch
(1919)



Morsures


Par quel matin touffu comme lame de chiendent, le pré bossu, j'y vais jusqu'à cet arbre, jeune d'un an, droit, la jeune jambe, et glacé, me suis-je tôt levé ?
Ne saurais dire

Il fait si frais, j'ai mal aux dents, la pomme est sûre mais succulente. Croques-y, jette l'étoile. Le corbeau vient, tu le connais

Le soleil chaque jour saute le mur au même endroit, il tranche surprises les ombres. Simple d'aller comme ça de son panier, les joues rouges, l'aube fumante à la bouche, de sa nasse d'osier ramassant les plus rondes

Egon Schiele
Vier Bäume
(1919)



Le ciel se dégage


Va-t-il se débarrasser de son sac bleu d'ombres,
en un han un coup d'épaule,
notre charbonnier soleil ?
de son couteau déchirer les peaux de l'orage

Je laisse la fenêtre ouverte, rideau vole,
et toi le beau jour, lis
le carton du bal. Tes bras battent ta joie.
La terre est verte et d'eaux par toutes les collines, ronde de la chair des végétaux.
Comme un album de souvenirs au loin,
j'aime un village.
La place jaune se blottit sous les vieux ormes

Maria Elena Vieira da Silva
Sans titre (1951)



Cette douceur des villages


Plus blonde que femme, quoi qu'il en soit nous l'aimons molle chair s'effleurissant du rouge profond des haies, tard trop tard, la convoitons sœur toute de dentelles et de soleil nocturne

Il y a que meurtrie la douceur du pays s'efface. Dans le ciel d'aujourd'hui certes il n'est pas de village, et cet avion comme une croix fait le désir encore
Imperceptible près des nuages d'inespérés lointains

Vassily Kandinsky
Murnau mit Regenbogen
(1909)



Qu'elle


Que soit le sol creusé
noir empli des fioles d'Yquem,
la sainte bave des
Montagnes de Reims,
et des Nuits, qu'elle,
au milieu du pré veuille fragile,
sur le haut d'une échelle de larmes,
être pour cueillir à l'arbre l'orange,
avant que d'avoir oublié
et son nom et l'endroit,
les pierres fleuriront
mais du ciel gravés

Paul Klee
Treppe und Leiter
(1928)

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte