Printemps, cheval



Bashô dans ses voyages, digne d'un Grand Tour, avait jugé suffisamment raffiné son cheval qui urine et n'avait pas dédaigné lui écrire un haïku :

Tiques poux et puces
à l'octroi pisse un cheval
Nuit à mon chevet

René Sieffert ne signifie pas l'endroit et traduit à minima ainsi : 

Les puces et les poux
et le cheval qui urine
près de mon chevet

Nicolas Bouvier, autre voyageur plus explicite, fournit le lieu et le sens mais en dehors du texte et dit, Shitomae barrière du pisseur :

Puces et poux mordait
La nuit j’entendais le cheval
Pisser auprès de mon chevet

Ce ramené dans la langue des noms célèbres apparait bien impropre et pour nous, contraire par excès de prosaïsme. Il convient d'y préférer la ramenée de l’histoire, Mais que pouvons-nous comprendre du nom cité de l'octroi – si nous ignorons la légende :

Aussi offrons un Requiem pour le petit frère qui soulagea sa vessie en cet endroit pourchassé par les guerriers de Yoshitsune





Vers l'intérieur


Je ne l'ai jamais vu cette station de gare, reliée droite au monde par une voie unique, traversant les chaumes pourris de pluie des terres du nord‑ouest

Je n'ai pourtant pas oublié le vert assourdissant de la colline, avec une herbe grasse au sortir de la nuit – une herbe – avec le trèfle que j’aime dedans

… Les abords étaient encombrés de troncs équarris, couverts d'un tapis de sciure qui sent fort…

J'ai marché vers le bourg, incertain dans les âges. J'ai remonté la rue. Il y avait là des hommes portant sur l'épaule de grandes houes. De nombreux détails me disaient quelque chose :

L'épanchement des saules, en or et blanc, le parsemé des pâquerettes, une lessive aux couleurs intenses sur un fond d'herbe mouillée. Dans une grange, l'odeur des cornes brûlées, une sellerie où l'on teignait les cuirs

Et vers les collines, de lourds chevaux de plomb, des chevaux noirs tirant vers le bas le paysage, chacun hennissant comme un contre‑point – avec une herbe à la note profonde, absorbés par ce même trèfle

Franz Marc
Pferde in Landschaft (Chevaux dans le paysage ~1911)



Grand chien noir


S'il traversait chaque jour les grands herbages de la ville, c'est pour se rendre à son travail
... Ou bien venait y voir les déboulées de liberté d'un grand chien noir

Un voile persistait depuis des années devant ces yeux. Il s'étonnait : toutes ces masses plombées du ciel qui passaient, combien de fois passeraient-elles encore ?

Il arrivait aussi que cela s'anime autrement, comme une déchirure, avec des gouffres de vent. La foule alors se dispersait dans le saccage. Une boule blanche énorme s'en allait rebondir jusqu'au bord de la piste

Certains après-midi, il pouvait suivre au loin, crinière noir ployant sur l'encolure, les courses lissées d'un sulky emportait par le feu d'un pur-sang

L'hiver, l'eau glacée débordait les digues et s'endormait là pour un temps. Le médaillon du lac reflétait calme tout l'espace. L'air se figeait dans le bleu-gris. Il allait falloir attendre

Et puis il y aurait le retour du plus inespéré. Une même fuite verticale. Un toit par milliers de cerfs-volants. Happé vers le haut, par le vent, dans la plus belle exubérance des couleurs




Fuir

Pour quelle raison se fiait-il à ces marques ? Jaunes, tracées à flanc de montagne de loin en loin sur le tronc d'un chêne. Le chemin qu'il s'obstinait à suivre s'avérait improbable. Lorsqu'il atteindrait la ligne des crêtes, pourrait-il trouver dans la paroi rocheuse un passage, une brèche lui donnant accès à l'autre côté ?
Il en doutait
Mais il continuait d'avancer, glissant sur la terre grasse, les feuilles mortes, la pierraille affleurant

Il ne voulait pas voir sur sa droite la grande horloge comtoise qui battait les minutes, ni, jeté sur les hauteurs, les grammes du soleil

Je ne crois pas qu'il fuyait, d'ailleurs peut-on fuir ! Le monde est étroit, instantanément atteignable aussi vaste soit-il et peuplé

Ce n'était pas là son premier départ. Il y avait eu d'autres parcours. Il connaissait bien ce pays, il y possédait quelques maigres arpents de bois dans une géographie complexe de ravins et de pâtures. Il se souvenait, comme en pointillé sur une carte, d'avoir gravi cette colline, enjambé ces barbelés, puis contourné le plateau d'en face pour redescendre par les combes, jusqu'au village demeuré invisible ; quelques masures abandonnées, une route impraticable qui se fondait en un sentier de ronces, un semis de graviers

Il n'oubliait pas – proche, étrange, au détour d'un bosquet alors qu'il longeait un ruisseau frais sous le couvert - l'œil de biais d'un cheval blanc




Cheval de cœur


Le pré, la mesure, le simple échange
Ou les propos qu'un homme tient
– Le vert est tendre –
Pour une femme si légère auprès de lui,
Le pré semé de boutons d'or
Sous les pas sans regrets foulés,
De pâquerettes qui vous disent
La variété du sentiment,
De trèfles aux courbes parfaites,
Le trèfle de la langue aux justes inflexions,
Ceci, les propos de l'amour,
Une femme qui rit et qui penche la tête,
Le pré, les ruades aussi,
Sont les pavanes du printemps

Vassily Kandinsky
Un couple 
(1907)

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte