Tour cardinale


Tour cardinale !
Vertige et rêve d'abîme
Nombreuses les heures,

les croix d'attente
avant que ne chatoient
aux couleurs de glèbe
les prunelles

Douceur et dureté
de Son construire
Ô l'introuvable soutien !

De l'extrême flèche,
le jour inouï renverse l'éternité
La jeunesse de l'eau
casse les digues
Léonard de Vinci
Homme de Vitruve
(~1492)

Grand Cahier.013.Cahier bleu-vert.002.Passages.01

Aussi large que l'allée...


Aussi large que l'allée,
Un ciel de blocs, une lumière
Entaille les forêts

Le vent frais d'automne emporte
Une averse de feuilles

Comme une grande roue qui tourne,
Le temps suit le temps de la terre

Lourde, muette,
La terre est aux douleurs

Combien d'images s'offrent solitaires ?

ZAO Wou-Ki
Vers le haut (Orléans, 1974)

Grand Cahier.012.Cahier bleu-vert.004.Scories.15

Sur le pont Bir Hakeim


La digue pour que rien ne tourne ni ne croule
Dans l’axe une colonie de fleurs sans parfum
Corolles alanguies pailletées d’un or vert

Le gouffre des eaux noircies hurle sous le pont
L'écume crépite jetée des bouches d’ombre
Des ciels volent en éclats s’en vont percuter
Du bout des doigts le reflet changeant des verrières

Filet d’eau pleurant doucement près de la rampe
Minerais en fusion – aquatiques ciguës,
Blanches toxines pour le ventre des poissons

Christophe Botton (1966 -)
Le passage

Grand Cahier.011.Cahier bleu-vert.001.Ébauches.09

Perditions


Nous sommes donnés en pâture à chaque chaînon du monstre de fer aux bouches soudées qui nous sacrifie à nos pas.

Que reste-t-il d'une vie d'homme ? Pas même la trace du talon

Edmond Jabès
Le livre des questions (1963)
Le livre de l'absent - Première partie - 13


Antoni Tàpies i Puig
Nocturn matinal, 9
(1970)

Gris soleil brouillé d'eau
dans les plinthes du ciel
comme un trou de souris

Bois noir à l'horizon
le bois de noisetiers

Qui suivrait le chemin
quand le temps s'enforcit ?

La côte est dans les fers
Flotte un croissant de lune
sur l'eau de la rivière

...

Dans les prés repousse la carline
quand le vent sèche la route

Le passant talonne la poussière
Un seul instant de feu
puis tout s'efface

Où sont les jaspes ?
Qu'exerçons-nous ?

Grand Cahier.010.Cahier bleu-vert.003.Perditions.00

Naissance


La route qui mène à la ferme de Saint-Georges traversera les champs dénudés de l'hiver. On va marcher dans la boue – la terre est grasse – il faut enfiler de longues bottes en caoutchouc

Le silence est un gant qui se retourne, le silence a jeté ses peaux par le travers

On avance d’un mauvais pas jusqu’aux abords de l'écurie, on heurte le ciment du caniveau. Un filet de sang s'écoule, hâtive une course

À cet instant, une idée de fraîcheur envahit tout l'espace… C'est et ce n'est pas… C’est ce qui va venir et va s'étendre… Ce n'est pas encore une inquiétude

La porte cochère s'ouvre sur un lit de paille et de purin (il y a une eau huilée une eau chaude une fumée qui s’est levée du sol une sueur qui dégouline des parois de glace...

Effrayantes blessures
Corps couché dans le froid nocturne

Antoni Tàpies
Cos de materia i taques taronges
(1968)

Grand Cahier.009.Cahier bleu-vert.003.Perditions.04

Sur l'écaille des rives...


Sur l'écaille des rives, toutes les administrations du bien-être surchargent l'ancienne coque et le poids cintre et romps les portées à l'endroit précis d'enchâssement des nouveaux métaux et verres précieux

On peut découvrir sur le dos des tortues des coraux de vieux roses blanchissant leur squelette

On peut voir aussi parfois une orque franchir la passe d’un bond à l’endroit précis où se dorent au soleil veaux de mer et ballons-sirène

Au-dessus des toits briquetés de rouge à l’endroit précis où sont logées les statues de plâtre, déchets des rebords des fenêtres, copeaux charbonneux stridulant de chaleur, la ronde effarante des martinets raye l’acier des cieux

Jason deCaires Taylor
Museo Atlántico Lanzarote (~ 2017)

Grand Cahier.008.Cahier bleu-vert.001.Ébauches.08

À la Grâce-de-Dieu


Il n’y a rien à retenir de ce temps-là – qu’une chose une seule – du dessus de lit jusqu'au plafond le mur bleu, la même nuit identique

Il devait être nécessaire que fenêtre et porte soient closes. Faibles sont les clartés de la lampe électrique. Vont-elles donner de l’occupant un peu d'information

Que cherche-t-il, qu’y a-t-il au fond de son sommeil, quelles traces voudrait-il effacer du métal de sa mémoire, quelles buissures, quelle écume des ors rassemblée ?

Le vent souffle, un ciel se dégage délogé d’étoiles sur des lieux à la ronde

L’escalier s’ouvre, déroule ses volutes, à chaque fois plus sonore, une cage d'oiseaux blessés emplissant tout entier le volume, chante sans fin

Antoni Tàpies
Bleu outremer
(1958)

Grand Cahier.007.Cahier bleu-vert.003.Perditions.03

Chaque jour...


Chaque jour est un ventre où disparaît le jour
Chaque jour est l'amas d'une terre crayeuse
Fouillis de pailles envolées, fourré sonore
Chaque jour est un nid de cailloux anguleux

Chemins inaperçus, légers rideaux du temps
Lys endormis, enfants que nul souffle ne trouble
L'un après l'autre, ils s'évanouissent aussitôt
Chaque jour est un coffre rempli d'habits vieux

Cornelia Parker
Cold Dark Matter - An Exploded View
(1991)

Grand Cahier.006.Cahier bleu-vert.004.Scories.01

Au tournant


Ils ne disent rien – ne sachant pas grand-chose – dès le premier obstacle ils rapprochent leurs bords – ils ne disent rien de la suite – ne savent pas ce qu’il y a – ni sur leur droite ni sur leur gauche – Ils s’en vont indécis

D’ailleurs que pourraient-ils savoir, que reste-t-il qui re- tiendrait leur attention, une fois le mur d'angle franchi, la borne blanche le poteau télégraphique.

Imprécis sont les chiffres sur la pierre, illisibles les marques effacées. Existerait-il encore ici quelque chose à découvrir ?

On ne sait pas. On entend venu de nulle part le ronfle- ment d’une charge, un crépitement le long du fil, quelques mots incompréhensibles, un départ foudroyant, une fuite, une envolée d'oiseaux électriques

Le bocage est immobile, la nuit est verte. Chaque chemin semble un chemin neuf. Est-ce un abri cette fosse d'étoiles ?

Antoni Tàpies
Materia y collage de papel
(1991)

Grand Cahier.005.Cahier bleu-vert.003.Au tournant.02

Trop de gens...


Trop de gens se sont enfuis – Dehors il pleut, leur mauvais sang les a trahis, les gens ont relevé leur col et sont partis

Le vent a soufflé sur les bords il t’a surpris. Tu ressens un léger filet d’air sur ta peau, tu frissonnes – un court laps de temps.

Referme la fenêtre, repousse la potence, résigne-toi. Ce n’est qu’un peu de jour accroché aux rideaux de la fenêtre, il y a

Quelque chose qui refuse chez toi, un rejet de l'extérieur, le besoin d'un écran. La vitre essuie la rue, éponge l'incivile, sa présence importune

La haie, l'arbre aux écureuils, la lampe et le carré de cour ont basculé dans un éclat

Chacun reprend sa place s’installe dans l’immuable, chacun recommence à réfléchir, à creuser le silence, à noiseter son nid.

… décompter les minutes

Lentement la pluie sur le toit retourne un sablier

Antoni Tàpies
Derrière le miroir (1974)

Grand Cahier.004.Cahier bleu-vert.003.Perditions.01

La Varde


De ce côté-ci, tout un lieu d'ombres où le ciel s'effondre

Le fer rouillé de la rambarde, l'échiffre instable, un chaos de roches aux environs d'un bois de pin noir. L'espace est envahi par la houle, écho puissant et qui vient et qui roule. Paroles en colère, ciseau contre granit, dialogue avec la pierre

On longe ainsi l'estran. Aussi fraîche qu'un ruisseau, une musique se perd dans les méandres de la plage. Les eaux se retirent. Toute pensée suspendue, le corps enfoncé dans un creux de solitude, les pas s'éloignent, les traces disparaissent. Un fuseau se dévide, un caret de lumière, le fil d'une portée

De ce côté-ci, sur l'étoffe de sable lentement pèse le retour des nuits

La Varde, au nord-est de Saint-Malo
Art de la plage (2018)

Grand Cahier.003.Refonds.007.Mers.01

Concertino


L'espace est adouci (e) mais forte,

et plein d'une forme sonore – tout droit sorti, tout droit venu des confins atténuateurs de l'hiver. Nulle rupture ici,
les mouvements s'enchaînent,

approche-toi

L'air se froisse, surprend le jour, de la cime sans feuillage au fini de la terre. « te raau rahi » est le mot qui s’inscrit sur le faré de Paul

Que les clefs de timbre du tam-tam se desserrent. Que soient délivrées de leur cage les notes. Ah le beau désordre, le claquement d’ailes ! Écoute de tes deux oreilles, ouvre grandes les paumes, résonne !

Tous les claviers sont traités en percussions et tintements. Célesta, jeu de crotales sont le même. Rare hautbois d'amour, carillonneurs s'installent aux meilleures places

Soliste au plus près de nous. Fausse cadence du soliste sur un seul et même accord, en filigrane
Paul Gauguin
Te raau rahi (Le grand arbre - 1891)

Grand Cahier.002.Cahier bleu-vert.007.Parages.20

Voies rompues


Quand le soleil eut brisé la vitre...
Comme un souvenir ancien, comme une idée du pre- mier jour, lente une eau grise et froide, une eau de neige envahit le chemin

– La mer a monté jusque-là, route mouillée

Les mâts balancés, la voile ronde, flaques et talus font un paysage. Le ciel est de glace, batelier muet. Il fait un froid certain. La boue colle au talon, il faut un effort à chaque pas

Le soleil en ressac éclabousse la route

De jeunes ormeaux sans tête sans bras s'alignent, s'en vont droits se perdre jusqu’à cette cassure. La terre est morte à l'horizon, la terre

Aux abords d'un chemin venteux, s’effondre ; s'ouvre la plaine, l'étendue de la ville avec son poids de pierres

On entend, cela vient se briser, le bruit des ateliers, d'un garage aux portes rouges – le travail du fer, bruits des jardins ouvriers, pépiements, draps qui claquent. Rien

La route basse et droite continue vers le centre probable. C'est un après-midi calme qui se perd et la ville imperceptiblement s'étire

Vassily Kandinsky
Paysage avec pluie (1913)

Grand Cahier.001.Refonds.009.Mers.00

Articles les plus consultés


à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte