Ighizan


Chien rouge,

Chien qui se mord, fauve qui grogne, folie tournante que le poil d'une idée raidit, touffes de pensées que la rage reborde

Je plains ta vie restreinte à son grillage de rosiers

Chien mordre
Chien d'avril perdu
Chien dans sa fiente
Chien qui happe et qui se blesse, chien
Sans issue

Ton maître dit qu'il t'aime, qu'il te laisse croupir là pour ton bien. D'ailleurs cela suffit n'est-ce pas, où irais‑tu courir, vers quels espaces libres de la cour ?

Tourne, ton maître te nourrit, tourne, ton maître t’apaise, d’un peu de sa parole, des lippées de ses franches. Il t'aime, dit-il. Il t'aime...

Franz Marc
Der rote Hund (1911)


Le bois de sa tête, après des siècles...


Le bois de sa tête, après des siècles, penche. Casque de biais, cuirasse faussée, fils dormants. L'épée tombe des mains, la rondache inutile. Clouée, les bras ballants, toute de cuivre, la marionnette sicilienne, comme déhanché scarabée dans le jour vert

Des ruines d'Agrigente, l'un sur l'autre versés, deux chapiteaux mêlent à l'acanthe un fouillis de lierre. Une sauge rutile. A propos de légende, la lucarne s'enflamme

Jusqu’à disparaître pour nos yeux lisons les pages d’histoires et de féeries, le toit sera le dernier carré d'ombres. Sommeil sur des coussins de laine, rouges et bleus de mille nuits



Il court - il court...


Il court – il court au travers des champs d’herbes mauvaises, remués de vents et de soleils d'après midi – hurlements de cristal, rayures dans toute l'étendue du bleu

Ighizan souffre, Ighizan pleure au pied de l'arbre. Sa fuite est improbable, vers où pourrait-il fuir ? Il pleure. Les cercles du ciel doucement s'engrènent

– Passe la tête et vois le très grand vide, animent les astres, détache une pomme Ighizan. Aussi longtemps qu'il le faudra, ouvre une blancheur. Géomètre puisque tu sais, aux environs du cœur, donne-nous l'exacte mesure

Gravure Camille Flammarion (1888)


Ighizan en ces lieux...

Ighizan en ces lieux songe.
Il pose un genou,
son corps se délasse,
au point noué d'un tapis de Tunis.

Une musique tourne, fait la roue,
s'y mêle une tristesse et le désir
qui va, qui s'agrandit.
Sa tête d'aube libère
une envolée de merles blancs

Dans le grenier, parmi
les feuillets de pluie, les feuillets
de soleil, roi vêtu d’encre et de papier
chaque jour, Ighizan resonge.

Nul ne sait jusqu'où il s'en ira,
nul ne sait s'il franchira.
Grossi de menaces,
tout le ciel se prépare.
Un fin cheveu noir borne sa tombe

Encre de Victor Hugo
Voilures (1862)


Une erreur t'aveugla...

Tu ne commis qu’une erreur, une fois Ighizan. Une erreur qui t’aveugla. Une fois

le ciel se déchira. Tu voulus t’enfuir, oublier – courir jusqu’à en perdre le souffle, par-delà les haies jusqu’au bout, jusqu’au pied de cet arbre isolé

Tu levas les yeux Ighizan et, ce que tu vis ce fut, de la douleur la parfaite figure. Car tu reçus
d’elle aussi consolation !

Le métal argenté d'une aile se déploya, les miroirs de son vol sur les champs dévastés. Comme un feu d'herbes piétinées, effacé d’un seul coup par une salve trop violente

Une fenêtre s'ouvrit au jour
Et déclina…

Son cri est un cri d'astres morts

Tu l'écoutes dans les jardins perdus de mai, sur les sentiers qui sont des rêves bleus dans l'âme



Dès qu'il eut ouvert les yeux...

Dès qu'il eut ouvert les yeux, Ighizan au cœur d'hélianthe se sentit abandonné. Il s'arrêta sur le seuil, refusa le cours des jours, ne voulut pas donner suite, seul de ce monde à sa vie. Plus aucun mot dès lors qui ne fut physiologue, ne sortit de sa bouche

Pourquoi – le saurait-il un jour – avoir tourné cette clef de l’abîme ?

Les étoiles tombèrent comme figues vertes, ou gouttes d’or sous les rafales du vent. Le ciel se déroula, dans la rue, les ruisseaux charrièrent à n’en plus finir une eau de glace. La flamme bleue de son esprit fut ardente douleur au long des murs gris de la ville

Chacun de ses pas foulait d'étranges fleurs, les parfums vieux, des sons lointains naissant, le monde se nomma

Près des toits calmes qui verdirent, parut, battante l'aile et solitaire, la forme rouge d'un corbeau. Son cri âpre creva les airs légers où rien ne bouge


Monnaies d’Éphèse


Silhouette

Tu marchais depuis longtemps sous le feuillage, Ighizan, des boues fagnardes collées à tes souliers. Le sol gelé se délitait de tous côtés – sanglantes zébrures de glace, inventions de signes sans comprendre – ce n'était plus qu’un ciel de grisaille. Chaque rideau de branches, de ronces était une souffrance, raies de flammes dans ta chair

Mais tu marchais, peut-être hésitant revenant parfois sur tes pas mais tu marchais

Tes yeux peu à peu s'habituèrent à l'ombre, Ighizan ; ton corps se fit indifférent au froid moussu, à l'humidité qui imprégnait tes vêtements ; ton sang devint plus vif

Enfin arriva le jour où

Toi, bête sombre couverte de lichens, de larves et de toute cette moisissure, toi la bête pouilleuse, tu vis briller la harpe des hauts arbres

Le chant des oiseaux fut un autre chant, aux notes stridentes, aux gouttes de lumière

Tu entras dans la chaleur, dans cette blancheur qui mit un essaim d'abeilles dans ta tête

Ta tête sonnante du jour

Les peupliers, Claude Monnet


Grenier blanc

Le toit, sa pente double tournée, (est-ce un torse, une barque dormante au puits du ciel ?) le toit s'adosse à la colline, grenier blanc

Renversé dans le jour dans les profondeurs de l’azur dans les cercles alentour entr’ouverts, il repose avec l'ardoise de ses mots

De sa bouche lentement s'exhale un souffle

Une musique l’environne, une musique l’emporte, c’est une eau ressurgi du côté de la source. Il est ailleurs, il écoute. Le temps mesuré va remplir tout l'espace

Il a vu – comme un défi lancé aux lois de la pesanteur et de l'optique, des étages de livres sous le verre, des mondes sans y croire, des fragments de paroles étrangères – il a vu de ses yeux des éclats de lumière traverser la distance, se refléter dans une forêt de lierre et de lilas

Le clavier des couleurs sur la toile est plus nuancé, fait plus danser l'âme que l'air

Tapis de rouges tissé où se pose le pas, laine des margelles de pierre, feuillets de mille nuits

Il cache son visage au creux d'épais coussins. Le jour par la lucarne décline avec lenteur

Geer van Velde
Composition (1956)


Sous des ciels froids et bleus...

Sous des ciels froids et bleus par les chemins de chaque jour, un homme à la marche cassée comme une marionnette allait sans trop savoir

Voulait-il fuir, sentait-il à l'intérieur une inquiétude, douloureuse s'évader poussée par quelque excès ?

Homme grimpé sur son échafaudage d'os, que ton reflet se brise ! Corps de chiffons qui se déchire en ses éclats de glace

Au bout du fil une pensée, un fond de musique peut-être

Angelus Novus 
Paul Klee 1920


C'est une fin du jour...

C'est une fin du jour. L'ombre de l'ami s'éloigne. Tu restes, visage blême sur le seuil gelé de la porte

Ce sont tristesse et larme d'or comme pointe une étoile. Éternité, la nuit revient. Tu tournes le pas, la porte au jardin calme se ferme
Dans la maison nocturne la vitre a fleuri. Qui s'approche ? Toutes les boiseries craquent, les planchers vernis

Sur le carreau du poêle en faïence blanc ourlé de bleu le corps se tasse. La marche brûlante et le froid qui pénètre les chambres font trembler jusqu'aux os

Anselm Kiefer 
Der Universalien-Streit 2004


Barque étoilée

Une rivière de fleurs secrètes coule dans sa main.
Dans son cœur qui bat
Le monde se tait. Il traverse la ville
Ses yeux rougis ont vu le jour
Sonnant, contre le talus peuplé de visages morts
Ses deux sœurs, soleil et nuit, l'accompagnent
O douloureuse pierre !
Ce que l'une détruit, l'autre le sauve
Là-bas veille un tendre amour
Il s'arrête devant la porte, la maison de verre
S'inclinant
Il trace dans le chemin une ligne et le mot
Phénix
Comme il franchissait d'un pas
Lointaine, une chambre bleue fut prise de flammes

Odilon Redon
La barque rouge (1905)


Météore

Avant que d'entrer tout de go par la fenêtre avec ces yeux de loutre vive, tes toques du vent, tes fourrures, laisse ! que je tourne la tête trop soudain
Le temps

Je te salue, sort incertain du soir qui sombre. La boîte a roulé du monde empli d'un bruit d'os

L'aurai-je aimé l'éblouissante eau bleue du ciel, solide sur les toits sonnant comme bille qui bondit, et tant, qu'aux pavois de la fête je te hisserai
Météore !
Albrecht Dürer
Melencolia I (1514)


L'offrande n'a pas de fin...

L'offrande n'a pas de fin, elle abrite en elle une pulpe divine

Voici des attiers, des bibaciers, des goyaviers qui poussent à hauteur de l'amandier en plein vent

Ces fruits verts de la grosseur d'une poire sont des plants d'Amérique, on les sert comme les figues, en hors-d'œuvre, on les offre au dessert, non pour les manger salés mais pour en faire une pâte crémeuse, la mêlant de sucre et de jus de citron galet

Que doit-on préférer la crème de la zatte ou l’avocat ? Une datte de Saint-Paul, ou bonne et lourde une mangue de la partie du vent ?

Les yeux sont une pulpe candide au supplice

Paul Gauguin
Nature morte avec des mangues 1893

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte