Contre-feux


Quand bien même n'y aurait-il encore ouverte qu'une seule boutique en ce dimanche au coin retrait le plus distant d'une banlieue il faudrait pousser la porte et demander à l'épicier la boîte d'allumettes qui mettra le feu




Que dit la nuit...


Que dit la nuit
Des feuilles mortes ?
L'année passée, celles d'avant
Pourrissent au fossé. J'ai tant
D'amis perdus de toutes sortes

Que dit le jour ?
Que dit la forte amour des mots
Qui va chassant de par le pré
L'arme du temps taille des ans
La chair à l'os

Cédric Le Corf
Souvenir de la villa Médicis
2015



Fuir, où donc fuir...


Fuir, où donc fuir, l'ami Blaise ?
De Pevek à Butembo
Dont ne fit la périégèse
Ni toi, menteur ! ou Larbaud

Car voilà des solitudes
La terre ronde et les trains
Stoppés là de lassitude
L'ombre à l'homme qui n'est rien

Zao Wou-Ki Paysage au soleil 1950



Lorsque demain déchante...


Lorsque demain déchante

les jardins de travers sont en nombre. Ici s'étage. Une route débordée qui tire à l'amour jusqu'à ce clos, cet autre. Charbons éteints. Idées perdues. L'âge rompt les corps, les plie, les tord et l'âme aussi

...Et le feu s'éteindrait ? Mais trop de choses ont traversé, trop de gens sont venus et se sont éloignés. Les retenir, personne ne peut jamais, dire, le sait-on ? Ni rien commettre. Laissons là ces blessures. Quand cela serait que de revivre, rien de mieux !

Nous mangerons encore des fagots de vent


Sara Favriau
Où, prologue pour une chimère,
2017



Une réelle amie ?


L'amour avec fracas, dit-on jeté par la fenêtre, parti claquée la porte sur les doigts depuis muré. Plus de regards, et ne désire ni ne convoite puisqu'il n'est d'espoir

J'avance au long de corridors de pierres de rues réglementées. Tête neutre sable gris serrée de calculs parcimonieux. La vie sèche. D'une rage à vouloir souffler les vitres, péter le ciel en pile de savoirs





Hier


Le froid m'a pris l'oreille et le thorax. Je ne vis plus que de pierres, quelques souvenirs au bout d'une terrasse étroite et reléguée vers le dernier étage. Gris moineau, ciel étamé

Il en ressort un bruit quand même, un cliquetis de secrétaire

En bas, le sol gronde, passe et repart. Les couleurs sont perdues quand la vie se resserre. Temps sensible brusqué de désirs avec un vol immense, inachevé comme toujours

Pierre Alechinsky
Sur les onze coups de midi
(1993)



Rien qui dépasse


Un souffle emporte la poussière d'un bout à l'autre de la rue. Les trottoirs désertés sont bouillis de soleil

Dimanche de juin aboie de solitude

Qui peut croire en cette fin de millénaire que quelque chose existe encore. La ville est un cache-misère de trop de mailles rabattues, la ville reproduit la ville et se ressemble, identique en chacun de ses points. On empile les fenêtres, on rallonge les heures. Je me penche au dehors,

et regarde par le biais, au défaut de l'enfilade,

inquiet de qui s'en va
Une silhouette indécise, dans une vague de chaleur, un homme qui veut fuir, et qui s'éloigne à disparaître

Maurits Cornelis Escher
L'escalier infini



Forge


Tu rentres saoul plus grand qu'un soir de banlieue. La bouteille du ciel crache sa lie sur la ville.

Quel mauvais foie !
Au dégoût des lèvres on voit que se prépare un orage.
Tête bouillie dans soupe d'usines.

Ton squelette se souvient du fracas des presses, le cambouis sous le pied, la cadence dans les bras.

Les carreaux du travail tombent. Tu pousses le verrou. Le soleil se coince dans l'étau.

Des vitres fulgurent du béron de la nuit.
C'est une jaunisse de chambres à l'odeur de chaud où d'horribles ménages s'égorgent

Gilles Cueille
L'art et l'usine
(2013)



Hors titre


Je hais décidément
cette chambre exiguë,
l'opacité de ces quatre murs
bâtis en pierres de Caen,
de lourds moellons,
et qui boiraient toutes nos larmes
sans rendre un moindre éclat de jour,
un seul sureau.

Je hais ce buffet bas, massif
avec ses portes sombres,
ce buffet vide qui s'adosse au mur,
son marbre vert.

J'avais posé là pour orner,
un vase à col étroit
(tiges coupées, roses qui pourrissent)
mais il s'est brisé.

Les pétales tombés
sont de pâles caresses.
L'eau surie s'est répandue,
les couleurs ont passé.

C'est d'un gris !

Egon Schiele
Prunier, Pflaumenbaum
(1909)



La chambre


Le rire d'une fille emplit
la cour qui moisit
comme la chambre comme le lit

Les moineaux mangent les pierres.
L'orage est passé
du premier soir, l'éclair
qui t'empêcha de dormir

Par l'ultime carreau de la fenêtre
et que l'on ouvre,
l'arête du toit, les tuiles,
l'antenne tournée vers le ciel, ce peu
de ciel entre les murs,
ce ciel qui passe.

Le monde n'a pas d'esprit
Le silence de nouveau les larmes

Un étroit jardin de cardamine
est aquarium sans soleil

Georg Baselitz - Grosse Nacht
(2008-2010)



La cloison


Une émeraude à son doigt, sa main 
Légère, à peine posée 
Sur le guéridon où trônent saintes les images
Elle dit ne pas savoir 
Ne plus se souvenir 
Mais la vie passe près d'elle et s'entête 
Quelle pauvreté ! 
Le vieux parquet craque sous les petits pas
Tournera-t-elle longtemps encore 
Parmi ses meubles de fonction ? 
Il lui faudrait sortir, quitter cette cellule 
Prendre l'air. 
Une raie filtre à travers le rideau tiré 
Vient caresser la main, la bague 
Et la poussière. 

Roger Marcel Limouse(1937)



Qu'aurions-nous pu dire ?


Sous les mêmes travaux la même vie lente
Unit les fermes du bocage 
La route nous était familière 
La ville au dos 
Nous pensions à notre ami 
À ses mots à saveur de chemins 
Mots de nos joies et peines 
Et qui sont de même et parfaite nature 
Que ce simple feuillage 
Et les herbes vivaces 
Nous pensions à cet ami 
Qui nous parlait de notre attache 
À ce Pays 
Et qui maintenant ne nous parlerait plus

Le vent tombé
Le jour en son plein
Sembla vouloir s'arrêter là

Fabienne Ruault Lichet
Art postal 2017



Nous disions encore hier...


Nous disions encore hier que le froid est une énorme loupe. Il reste bien, et nous l'aimons, le détestons, notre signe majeur. L'accoutumance viendra. Tremblent les peaux, la chair ! Nous nous sentons mais l'œil est clair. Laisserons-nous notre langue geler ? À toutes les auberges, on prendra pour offre les plaisirs du repos et, pour dissoudre la pierre, d'ardents alcools produits des meilleures pommes

Dans chaque maison les mêmes contingents de brutalité et de belle mesure. Le ciel a tourné, voilà tout. Aussi buvons à la sévérité du corps !

Bernard Remusat - Bégo



A perdu le goût...


A perdu le goût et demande
Quelqu'un pour jeter un peu de terre, un témoin de cet homme, du choix qu'il fit
D'oublier les étoiles
Et les nuits
Où la pleine lune emplie la nuit

Un dernier souvenir, quelqu'un pour se pencher au-dessus du trou qu'il a creusé et choisi au flanc d'une colline ocre et décharnée, un dernier geste venant de ceux qui restent
À cet être qu'il fut. Appuyé contre le mur, il a grimpé

Jusqu'à n'en plus pouvoir
Et n'a rien pu saisir aux barreaux de l'échelle
Qu'une poussière
De cerises

Marc Chagall
L'échelle de Jacob
(1976)



Fumée s'élève...


Est-ce moi peut-être est-ce un autre
On a rasé la niche rouge
Comme on bouscule un vieux gravier
Déjections miettes blancs tessons
Les oiseaux de l'hiver picorent
Et moi je me souviens de moi

Quel fouillis quel déséquilibre
C'est lieu banal en ce bocage
En ce village racorni
Ton air m'obsède mur fermé
Mur aux fenêtres dispersées
Maison de fausses proportions

Hélène Baumel
Fenêtre sur cour
(1988)

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte