Hortense


Voller Apfel, Birne und Banane,
Stachelbeere ... Alles dieses spricht
Tod und Leben in den Mund ... Ich ahne ...
Lest es einem Kind vom Angesicht,

wenn es sie erschmeckt. Dies kommt von weit.
Wird euch langsam namenlos im Munde ?
Wo sonst Worte waren fließen Funde,
aus dem Fruchtfleisch überrascht befreit.

Wagt zu sagen, was ihr Apfel nennt.
Diese Süße, die sich erst verdichtet,
um, im Schmecken leise aufgerichtet,

klar zu werden, wach und transparent,
doppeldeutig, sonnig, erdig, hiesig — :
O Erfahrung, Fühlung, Freude — riesig !


Pomme entière, banane et poire,
Groseille… Tout cela dit mort
Et vie dans ta bouche… On dirait…
Lisez-le dans les yeux d’un enfant

Qui les goûte. Venu de loin cela va-t-il
Ineffable lentement fondre en bouche ?
Là où étaient des mots s’écoulent des vestiges
Libérés par surprise de la pulpe des fruits.

Osez dire ce que vous appelez pomme.
Ce sucré, qui d’abord se condense pour,
Au sein du goût se dresser doucement,

Y devenir clair, vif et transparent,
Ambiguë, ensoleillé, terrestre, d’ici – :
Ô savoir, toucher, plaisir –, Immensité !

Rainer Maria Rilke - Sonnets à Orphée - 1.13
Traduction - Christian Guernes



*


Tout questionnement de l'homme
engageant son être ultime
comme sa situation dans le monde
s'enracine dans ses premières expériences

(Maurice Blanchot)


D'un premier jardin craquant d'eaux vertes


Le terreau noir et de graisse, grouillant d'insectes à cuirasse d'or : marionnettes qui combattent dans l'éther, pinces, rostres fouillant la mort, gorgé du lait vert et des humeurs jaunâtres – le terreau tassé, marqué des pas de qui prend soin parmi les larges feuilles assoiffées, les rhubarbes qui font claquer des lèvres, les choux montés non point encore en graine, les chicorées diverses – le terreau, l'enfant y creuse une tombe pour le chaton qu'il vient de tuer, puis retourne à ses jeux de soleil vu sur l'aile sublime d'une belle-dame, à ses courses qui jamais n'auront franchi le front blanc des troènes

Olivia Rolde - Zone refuge


Les vies diverses du talus


Prenez la route noire en sortant du village, vous verrez, vous entendrez peut-être, au jardin haut perché, la femme en sarrau bleu. A ses lèvres s'accroche une verrerie d'oiseaux fins, d'oiseaux multicolores, des oiseaux d'opérettes. Jeune, elle sourit au bel été mais il lui faut courber l'échine. L'air est sec et le travail pénible. Sarclage des chiendents, binage vont former pour aujourd'hui son lot de pauvreté. Si parfois elle relève la tête, c'est pour voir son enfant, sa vie si chère, assis dans l'escalier ou dans le creux des herbes longues. Il joue, il découvre, il ne sent pas les heures qui passent. Il y a tant à découvrir, tant à déloger des fissures du muret.

Theodoros Stamos


L'irrémédiable


De la cave luisante jusqu'aux lattes poussiéreuses du grenier, du jardin envahi par les taupes à la margelle du puits où, effrayé, curieux, hésite un enfant, il ne reste rien.

Le cerisier vieux sous la tempête, le soir, lâcha ses fruits. Un cerf‑volant s'accrocha dans les branches et le panier fut rouge. Joyeux, il rapporta le tout.

Ailleurs on construit des huttes de roseaux, on étend un linge usé, on fait son pain recuire. La route qui vraiment ne veut pas s'arrêter se perd droite aux champs.

Guillaume Le Baube
Olivia Rolde 
(2013)


Grand règne


Plus personne ne vivra à cette extrémité de la maison. On a cloué les volets. La collection d'insectes, la table nue, les photos de familles sont époussetées avec méthode. Un homme est mort. Étroit, l'escalier monte à l'étage dans l'ombre. On trouve comme avant de hauts lits de chêne sur rails et des édredons moelleux, nous n'y dormirons plus.

La lumière se rattrape à la terrasse, contre les murs blanchis. La grille verte surplombe une route de boue, un village net ou le chemin de fer.

Garçons et filles, le soir venant, s'asseyaient sur le rebord. Le figuier disparaissait au bout du champ, les hirondelles bientôt ne passaient plus. Chaque vie devenait si proche que les voix se taisaient.

Guillaume Le Baube
Olivia Rolde
(2013)


Chute du ciel


Du bout de la ruelle, à l'aplomb des rochers, la maison carrée de l'enfance nous fait signe. Le vent du large sentant le sel a soufflé. Que toute pierre est grise, et quel étroit jeune homme ! avec autour son petit jardin de guingois. Des fourmis jaunes innombrables tourbillonnent. La mauvaise herbe va-t-elle à nouveau chanter ? Avril, les bouquets d'astres, nos chemises bleues. L'escalier se raidit qui descend vers la plage. Ce n'est plus qu'une barre où la nuit met le coude, où les lointains s'effacent.

Guillaume Le Baube 
Olivia Rolde
(2013)


Ils sont partis


Ils sont partis le repas terminé au plus fort instant du jour avec des rires joyeux et les paroles vives que prête le vin, l'imminence d'un départ pour une fête où se retrouveront les amis de longue date, en disant qu'il ne fallait pas s'inquiéter et que la nuit ne sera pas tombée que déjà ils seront de retour

Ils ont dit mais la terre a tourné, mais l'horloge a sonné. Dix heures qu'elle a sonnées. Et la colère et l'inquiétude ont recouvert son cœur

La nuit est venue dans sa froideur de reine, jusqu'au bord de la fenêtre, irrésistible et lente comme une eau. Est-ce une bouche ? Toute clarté n'est pourtant pas absente. Le ciel passe avec un balancement de seigle, soumis au vent d'ouest

Les voix aimées ? il y songe sûrement, et peut-être même, auprès de la barrière, les entend-il déjà. Cela va s'animer. Pourquoi en douterait-il ? Ah ! Ouvrir la porte, voir le rayon se poser sur l'allée et, courir, oublier la peur qui gagne, la pièce jaune sous l'ampoule et tous les bruits amplifiés qui venaient du plafond

Guillaume Le Baube 
Olivia Rolde
(2013)


Conte


Le fils de la ferme voisine a coupé au travers du pré, a franchi le chemin bourbeux. Il a descendu, trois heures sonnaient au village, sous la basse frondaison des pommiers : des fruits trop mûrs éclatèrent dans l'ombre. Son pas est lourd et ses bottes sont vertes. La maison contournée, il est entré dans la salle commune, a salué l'homme qui l'attend les coudes sur la table puis s'est assis, a bu le cidre offert

« Allez donc jouer dans le grenier, les enfants ! » dit l'homme qui se penche. La fenêtre s'ouvre sur le petit jardin, ses bords semés de pensées sont aussi chargés de couleurs que les ciels du bocage. Mais dans cet après-midi d'été l'univers est rond, les marches brûlent et les boules de marbre lustré à l'extrémité de la rampe en cuivre du perron reflètent tout un jeu d'éclats d'or et de courbes. « Allez ! » dit-il encore

Pour accéder au grenier il faut grimper l'escalier accolé au mur d'ouest (la pierre est humide et moussue), éviter le rebord branlant du palier d'où se découvre la route qui mène au bourg, enfouie sous deux épaisses haies, pousser une porte mal ajustée

Un reste de récolte, un vieux fusil enveloppé dans sa toile huilée, des habits passés de mode, divers objets et bibelots brisés dont l'usage s'est perdu, tout ceci, un trésor pour des yeux, dans la pénombre et la poussière, donne l'occasion d'infinies distractions

On a oublié ce qui se trame en bas. Le soleil fait la roue, les jeux côtoient les rêves. Ils ne s'interrompront que bien plus tard et pour un bref instant, un choc sourd, un long gémissement. On est sans pouvoir sur les choses qui passent. Demain, on trouvera la hache à la même place, la niche sera vide, la chaîne détendue et l'eau du seau aura taché les herbes du fossé

Olivia Rolde - Faces


Plus rien ne viendra


Déserte la cour la nuit la neige tassée – des pas dans la neige et les rires enfuis. Seul un silence, une lanterne qui veille, qui déblaie un coin de nuit. Les murs sont gelés, la barrière est démise. Il n'y a pas de vent dans la haie mais les feuilles frémissent. Le chat, le poil hérissé par le froid, d'un bond franchit la cour et du rebord, regarde à travers la vitre la maison noire et vide



Les commencements


Il aimait se promener sous les préaux ou dans les rues étroites, la tête lège, à voir le défilé des façades sobres et fortes bâties voici deux siècles entiers alors que le ciel parfaitement bleu nous parlait encore, avec leurs combles mansardés, les larges corniches, les œils-de-bœuf d'où le regard se perd, s’en aller aux endroits délaissés, sur la place nue entourée de tilleuls effrayer le dortoir des étourneaux, debout dès le petit matin pour entendre la fontaine puis joyeux frapper portes et volets

Guillaume Le Baude
Olivia Rolde


Il y a toujours quelque part...


Il y a toujours quelque part

dans le fond d'un jardin, les grandes marches du perron, une rampe de cuivre. On dirait les préparatifs

autrefois d'une fête abandonnée depuis longtemps.

Ce ne peut être qu'une nuit
d'été. La lumière – filtre
au-dessous de la porte,
descend doucement vers les ifs.

On parle :

si l'on parle c'est sans comprendre.
Il y a bien d'autres bruits sous
les pierres et dans les branches. L'air
fraîchit et s'ouvre sur le vide

immense des étoiles. Avec un froissement

léger de robe, un pas vif a monté chaque degré. Lorsque une main s’est posé sur la rampe

Paul Klee - Villa R


Le buffet est en pièces



Récapitulons
Un. J'ai laqué de noir chaque battant, rectifié le pied, du Modern'Style vers l'Art Déco (rajouté quelques chinoiseries et clos avec un socle de même ombre)

Deux. Hors la vitrine, j'ai bazardé les beubelets pour y loger en maints volumes tout le savoir sous la fenêtre

Trois. Et droite enfin, se dresse la glace auprès du masque « il capitano »

Avril ? mais c'est Pâques, fête des morts. Voyez le beau temps ! Alfredo Kraus à la radio chante l'astro belle alors que le soleil frappe sottement les pierres de la bâtisse. On se souvient

Là posés sur l'étagère (j'ouvre les portes) sont quelques feuillets, une becquée d'ors, un relief de souris et puis cette peau d'écorché par trop sèche. Allons, allons, il faut virer cela dorénavant et verser une charretée de fruits confits, dattes, cerises, raisins de Californie ; de bonbons, berlingots bariolés dits goût de rose, mandarine et pré vert tendre ou, si l'on veut, de billes bigarrées

Paul Klee

Über ein Motiv aus Hammamet


August Macke

Landschaft mit hellen Bäumen

*

(1914)

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte