Pathos


Entonner, les poumons sertis dans les griffes d'un ciel qui n'est plus que ceinture grise, trop serrée courbant trop la taille du territoire, faire naître éveiller malgré ce poids, le chant pour une danse, soit le poème ; tel, nous voulons, songeant méditant pour venir aux approches, aimer comme le soc d'une charrue aime les lèvres du sillon, la graine et les corbeaux qui suivent, immanquablement ; tel, nous nous laisserons jusqu'au tard, jusqu'à la nuit de tout le jour qui accompagne ta démarche depuis l'inoubliable souffrance qui te fit, être



Grand Cahier.082.Cahier bleu-vert.002.Passages.09

De cet amas de verre...


De cet amas de verre et de bouteilles,

de verre
d’un vert bouteille, introuvable aujourd’hui, d’un verre
qui vire au noir,
nacré (sanglante écaille)
d’un monde bu jusqu’à la lie. Enivrante liqueur
d’un monde passager, étiqueté de rêves, consigné, et qu’il faut reprendre, laver, remplir
à nouveau d’un soleil liquide

Mais le verre est coupant. Ne va pas te blesser ni te saigner les mains. Ne prends pas ce tesson, il ne reste plus rien de son éclat d’hier

À aimer autant le désordre, tu risques de souffrir

Dans l’atelier où tu mélanges les couleurs, n’accueille et ne reprends, que les plus banales, litres et formes oubliées, bouteilles ordinaires
dans les tons crème
d’un Morandi
et vois en elles, éclats de verre un jour brisés
comme s’allient, comme se fondent, comme demeurent, inexorablement visibles

– Bec de glace
Oiseau qui se reflète
Copeau insaisissable
Vivante arête

Giorgio Morandi
Natura morta di vasi su un tavolo (1931)
gravure sur cuivre à l'eau forte

Grand Cahier.081.Dispersion.002.Vulnéraires.10

Tableau noir


Pars, n’hésite pas, va, prends !
tu sais depuis longtemps, la part qui te revient

Ne crains pas que du sang coule, c'est vivier d'avenirs, verse ton sang – qu’il se mêle au pollen des routes

Égrène les cailloux comme un chapelet de prières adressées à chacun des lieux que tu cherches

Abîme tes couleurs

sur le fond du tableau noir, traverse les eaux troubles, dénombre les atomes, accorde-les aux rythmes de ta phrase

regarde, comme ils composent – et s’éclaircissent, ou se rassemblent – et s’agglutinent, dans le phosphore de ta mémoire

Ne t’inquiète pas si tu ignores où cela mène, où com-
mence le jeu
Ample est la nuit qui s’équilibre au jour

Yves Tanguy
La couche sensible (1933)

Grand Cahier.080.Révolvie.003.L'univers de la chauffe.12

Cinquième heure


Longeons le cimetière
Contre le ciel pâli, le mur
De pierres jointes
Par ce peu d'herbes s'appuie.
Le soleil allonge les poteaux,
Chaque gravier scintille
Et la ville se tait, lointaine
Jusqu'aux jardins qui rêvent.
L'homme est vieux et patient.
Marchons avec lenteur,
La terre est notre promesse,
Nous aurons d'autres bonheurs

Paul Klee
Denkmal auf einem Friedhof
(1922)

Grand Cahier.079.Cahier bleu-vert.002.Passages.07

Avant Lion


La première impression qui me revient
C’est par la vitre bleue d'une voiture
L'horizon qui tanguait sur l'océan

Près des cieux, l'araignée d'un peu de brume
Et cette poudre de blés qui vallonnent

Quel était donc se terminant par « mer »
Le nom sur la pancarte ? Je me souviens

D'un village perdu dans les bosquets
Brun, les feuillets d'ardoise du clocher

Y brille un point carreau c'est un coq
Nombreuses blanches petites dansent
Les voiles tendues vers l'infini

Jean Fautrier
Composition (1958)
Grand Cahier.078.Refonds.007.Mers.11

Shanshui


Beaucoup de lieux sont mélangés au moment du départ, des flots furieux battent l'acier des roches, en tout sens, d'acides buissons de groseille, c’est un espace frais étagé de théâtre où l'on entre

J'aime à n’avoir sous l'effort – je ne heurte du soulier que le caillou banal. L'air est en flamme, une douleur me fulgure à l'épaule, le chemin sans cesse repart dans l'étourdissement des heures qui passent

Quand l'étendue se découvre enfin, des cris stridents déchirent le ciel parfait. Un bond, il faut encore un bond, un dernier rebond par-dessus la tête des sapins, pour entre pierre et neige atteindre le refuge

Le cœur reprend son souffle, accueille la fatigue. Le café brûle dans les mains. La nuit lentement du creux du val que la nuée couvre isole tout

Ma Yuan – Face à la Lune
tableau déroulant – encre et couleurs sur soie
(fin XIIe – début XIIIe)

Grand Cahier.077.Dispersions.006.Bifurcations.04

Dans l'univers de la chauffe...


Dans l'univers de la chauffe, l'homme en bleu connaît bien l'odeur du fioul. Ces traces brunes lui font penser aux longues lanières de varech qui recouvrent la plage. Pour entrer dans le local, on doit appuyer fortement sur la barre d'une porte métallique. La peinture est usée. Les murs de parpaings sont nus, on respire un air sec. Aucun meuble aucun outil rien ne doit être abandonné dans le voisinage du feu. Une force commande ici tout l'immeuble. Chaque jour, l'homme revient et s'inquiète du niveau de l'aiguille. L'hiver est refoulé, la neige a fondu. Il surveille

Fernand Léger
Le remorqueur (1920)

Grand Cahier.076.Révolvie.003.L'univers de la chauffe.08

À notre époque,


quel risque y a-t-il pour l'ouvrier à marcher sur une poutre ? L'œil clos, le front couvert de cendre, ne voyant rien des fumées rousses qui lentement s'échappent au-dessous de lui, ignorant tout du danger des cuves d'huile, des bains irisés d'acides verts. Il avance loin du sol jonché de pailles. On lui crie après d'en bas, on l’invective à coup d’ordres impératifs, de prétendus conseils de prudence. Qu'importe ! Il avance, il s'obstine, il veut atteindre le toit chauffé de tôle que perce une triste lucarne de poussière et de feu

Fernand Léger
Les Constructeurs (1950)

Grand Cahier.075.Révolvie.L'univers de la chauffe.07

Dyssomnie


Le vent soulève la fenêtre, la fenêtre calmement respire. La pluie frappe le front des pierres

Le corps enfoncé sous les draps, il dort il respire le dor-
meur il remue, c'est une ombre.

Froide une sueur se répand sur son front

Le vent a entr’ouvert la porte de la chambre, la chambre a blanchi effrayée sous la lune

Le dormeur s'agite, il est perdu il bat la campagne, il est perdu dans ses rêves

Une buée refleurit dans un souffle. La nuit heurte la vi-
tre, la nuit tourne au vert. Un arbre gèle,

Il est seul au milieu de la cour

Christel Hermann, née en 1951
« Sans titre E9 » T M sur résine

Grand Cahier.074.Dispersions.006.Bifurcations.03

Éléments


Je ne veux rien dire
si ce n'est la terre au goût de menthe qui mêle ce matin le ciel et l'eau

D'un ciel
au large flanc d'aigue-marine parcourue d'hirondelles, de ce ciel qui se fond au lac lorsqu'une barque y danse sous la lente avancée des eaux

La terre
comme une opale,
Non qu'elle en exprime seulement l'hydrophane, mais pour la forme aussi que l'on donne à la taille, mais pour le feu dessus

De l'or léger qui tombe, la terre
De celle-là qui nous dit, qui nous renvoie à nos racines de lumière

Shoichi HASEGAWA (1929 - )
Jardin secret

Grand Cahier.073.Refonds.006.Verger des eaux.03

Zénith


L'incendie, les hauts arbres que le ciel fend
Le soleil tire ses salves
l'œil cligne
On a déroulé le tapis, versé l'or à pleine cargaison
Nos pas saccagent des richesses
Une caille quittant par frayeur les blés
ébruite la nouvelle
sur des pages de lumière

Têtes africaines
quand les fleurs du désert calcinent leur bleu
quand les faunes déchirent
le silence. Ivres, les têtes sonnent.

Midi écourte les chemins !

Paul klee
Baum Kultur
(1924)

Grand Cahier.072.Cahier bleu-vert.002.Passages.04

Verger des eaux


Fraîches fontaines, sources claires
Traversant l'ardeur de l'été
L'enrouement de vos gerbes vives
La voix de vos graviers tournés
Douce sur le bord de vos rives
M'endort… et sous cette brise légère,
Je rêve d'une ancienne amie
Qui me disait : "... du sommeil, l'eau
Et la terre éveille, qui les gardait l'une
Doucement de murmurer, l’autre
En maintes fleurs de se parer,
Belle de couleurs nonpareilles ..."


(En italique - Louise Labé, Sonnet XV)

Shoichi HASEGAWA L'eau vive

Grand Cahier.071.Refonds.006.Verger des eaux.00

Bernoise en 13


Je me souviens de cet endroit précisément, après les marches de l'été les jours, d'un enjambement à vous couper le souffle
en U ou en V,
de ces flèches éteintes jetées plusieurs fois retournées, parfaitement lacées – une attache une rivière
qui forme une boucle un nœud qui se referme alentour – ils ont pour eux sur cet éperon Zytglogge
(ont-ils dit de l'horloge et) les habitations de la Nydegg, le palais
et trois ponts aux trois angles qui surplombent
une eau de glace, une eau précipitée proprement lisse, une langue d'eau froide issue de la montagne

Le vert domine c'est la couleur des pierres, le temps domine dans ses ors, doublement mesuré, assis au centre de la ville. Les rails du tramway vont de fontaines en fontaines jusqu'à la fosse de l'ours

Je me souviens d’avoir vu le lion des Zähringen, un soldat bariolé qui se tient sur son style. Le coureur, le tireur, le banneret

Je me souviens d’avoir pris relative l'oblique en m'enfonçant sous les arcades. Blanche avancée des toits, cisaille à même la rudesse des climats

« Le soleil est intense il transperce aujourd'hui »

Je me souviens avoir fait cette remarque et cherché en dehors des saisons une fraîcheur, les produits obtenus d'un carré de jardin

De ce lieu je dirais qu'il reflète les vertus de l'ordre et du repos, le temps méditatif.

Calés contre la haute jambe du pont, certains hommes du pays jonglent sur l'échiquier, d'autres, nageurs lassés, en bas sous l'écume verte se laissent porter par le flot large


Grand Cahier.070.Bernoise en 13

Ce n'est pas une chambre...


Ce n'est pas une chambre c'est un cube de bleu que la nuit recreuse

c'est, depuis le point du jour un lieu sonore remplit de voix qui chuchotent,

ce sont des bribes lointaines des rêves qui tournoient sous le soleil,

une coupe de fruits trop mûrs posée sur le rebord de la fenêtre,

des champs labourés là-bas rayés qui s'étendent vert contre brun par-dessus la ligne des toits, des champs de feu bataillant jusqu’au bout de l'horizon, des champs nus et vastes – plus engrossés

que la mer, la mer et ses routes puissantes, la mer sans cesse réinventant le ciel sur sa hanche

Michel Carrade
Terrier de clarté
(1963)

Grand Cahier.069.Cahier bleu-vert.001.Ébauches.14

Domaine I


Vis mon ennemi, que m'importe !

Garde tes biens
Mon salut te préserve
Ma campagne me suffit

« Je ne porte pas mon amour plus loin
Que la haie qui nous sépare »
Disent mon puits, ma faux

Je ne mets pas le feu aux buissons

Le fusil reste accroché
Près du marbre du foyer
Je n'investis que mon territoire.

Aimer établit notre pouvoir
Notre amour reste chez lui
Où il accueille

Antoni Tàpies
Las cuatro cruces
(1969)

Grand Cahier.068.Cahier bleu-vert.003.Perditions.13

Manière noire


Mains patientes qui tracez, cerise, grain de raisin ou quelque forme de silice entre les aspérités de cette nuit, longue et sans abri, où le jour prendrait écueil - notre nuit soumise aux vents, et tous rivages d'îles perdus

Mains prudentes, dites-nous puisque les voix sont éteintes, dites-nous ce qui nous sauve. Qui décide ? Est‑ce l'absente ?

Sur la planche au noir, en merveille vous posez, mains adroites, ces fruits ronds, ces humbles vases ou cette horloge qui ne bat

Le temps suit-il un autre cours ? Simplement. Ni cumul du soir, ni fraîcheur de l'aube

Mario Avati
Fleurs de lune (Manière noire, 1988)


Grand Cahier.067.Refonds.001.Solitudes.02

Il me vint alors une inquiétude...


Il me vint alors une inquiétude – je me souviens qu'une inquiétude m'envahit, ce n'était pas un rêve...

On avait dressé un lit blanc dans la nuit

J'écoutais depuis longtemps les bruits de la forêt, depuis toujours peut-être sans pouvoir m'endormir, je n'étais plus qu'une oreille, j'écoutais (méthodiques des voix) murmurer, mordre, acides et creuser les bois rouillés

Je voulus voir aussi et je vis : une tête déformée, des traits flasques, un œil jaune, je vis des ombres qui passaient entre les arbres, me regardaient et se cachaient

Je réclamais l'oubli. Mon corps se perdit enfin dans l'épaisseur du monde, dans le scintillement du très grand univers

Bien plus tard, des souffles frais d'avant l'aube s'en allèrent mourir dans les frondaisons. Une lente blancheur se répandit comme des larves sur le sol pourri de feuilles

Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas non plus comment, mais je sais ce qui vint alors jusqu’à moi. Ce fut une avancée, un presque rien, une pensée. Rien de plus qu'un insecte

Antoni Tàpies
Libre-mur
(1990)

Grand Cahier.066.Cahier bleu-vert.003.Perditions.12

Ce soir est un soir...


Ce soir est un soir comme beaucoup d'autres soirs
Quelques voix incertaines, surgies de vieux livres
ne changent rien à l'affaire, l'étude me fatigue

La pluie s’est mise à tomber.
Sous le puits de la lucarne je m'endors, il pleut.
La vitre est un clavecin qui pleure

Une violente rafale survient qui m'emporte,
une saute de vent, un grain.
Je vais où vont les rails qui vont dessous la mer

J'attends le jour, il viendra
quand l'aube du poème moi-même dansera
sur l'extrême jetée où se rassemblent les dauphins

Louis Schanker
Abstract 3
(1944)

Grand Cahier.065.Cahier bleu-vert.001.Ébauches.13

Égarements


Tête saoulée, éblouie, je vois la ville un peu qui s'éloigne et laisse derrière moi le port s'ouvrir à ses poignets de mer

En suivant le chemin des Douaniers, le vent de sable et de sel s’est mis à chanter. Je pars vers n'importe où, l'océan est sans limites. Je largue les amarres, je somme les escales, je jette vers les hauts

Une stance (une stance ou deux) tiendront-elles ?

Le soleil retombe dans les champs, la côte disparaît. La lune se lève à l'horizon. Le silence

Va revenir, c'est certain, comme un mauvais automne qui s'étire, plein d'ombres sur le pré. Il suffit de franchir, de passer la barrière. Le gui ronge de vert les bois tors du pommier ; toutefois, je me dis que les pommes sont bonnes. Je m'arrête saisi, je tourne sur moi-même

Balancés en tous sens, couverts de froides buées, ces mâts décharnés le long de la jetée, jamais ne partiront.

Georges Seurat
Port-en-Bessin, avant-port, marée haute
(1888)

Grand Cahier.064.Refonds.007.Mers.09

La mia patria


Cette marqueterie capitonnée de rouge, étroite et chaleureuse à la voix de rossignol ; ce cœur encore d'un opéra de carton qui me charme je l'entends, je l'entends...

Mâts de navires, gréement des pirates, hunes qui tanguaient dans le soleil couchant, vous êtes là comme un décor où le drame se joue

Me plaisent vos rigueurs, votre ordonnance, beaux édifices flamboyants, colonnades romaines grandies de reflets crépusculaires. Le ciel est un marbre de vert et de sang. Des groupes d'hommes, indistincts sur les quais, aiment à discuter sur la pointe d'une aiguille.

Claude Gellée dit le Lorrain
Port de mer au soleil couchant (1639)

Grand Cahier.063.Refonds.001.Solitudes.07

À ses propos embarrassés...


À ses propos embarrassés,
le jeune homme répondit : « Suivez les cairns » puis s’en alla. Qu’y avait-il d’autre à faire ?

Il le vit s'éloigner dans la montagne suivant sans hésiter son chemin mais lui, perplexe dans son âge resta quelques minutes, à s’interroger encore

Quelle pouvait bien être la signification du parcours qu’il avait pris ? Quelle étrange proximité pouvait-on percevoir dans leur langue respective ?

Chacun poursuivant sa voie, il redescendit par la brèche, le jeune homme, quant à lui, grimpa jusqu'à toucher la corde d'une étoile

Moustier-Sainte-Marie
Alpes-de-Haute-Provence
04

Grand Cahier.062.Cahier bleu-vert.005.Le horzain.01

J'aurai beau faucher les prés...


J’aurai beau faucher les prés
Cueillir les pommes au pommier
Vertes, rien n’y fera
Le mur va s'écrouler

Ceci pour dire que la terre était belle
Mais qui donc nous retient ?
C’est merveille quand un œil va s’ouvrir
Il y a dieu dit-on, vieille idée
Le paysage s’ouvre et se repose
Mais je préfère ici rassembler quelques pierres
Pour peu de temps

Jean Fautrier
Les arbres
(1943)

Grand Cahier.061.Refonds.008.Syllabes.10

L'inattendu


Je me souviens l’hiver certains après-midi où j'ai repris la route, peut-être pleuvait-il ?

J’avais franchi depuis longtemps l’alignement des hauts pylônes, le vent hurleur, les fers rouillés

Bien décidé à pousser jusqu’à Villers ... La route longeait des champs rougis de boue … Bien décidé d’aller au bout, d'aller jusqu’à Villers-Bocage en Normandie

La pluie venait de s’arrêter, je m’en souviens. C'était une journée d’hiver comme il y en a – remplie d’une grande fraîcheur qui mord les doigts, remplie de blanc. Il n’y eut qu’un seul éclair. Il frappa, tout près

Je ne détournais pas la tête, je ne voulus pas m'enfuir, l’œil me brûla et puis

Il y eut comme un bondissement d’oiseaux sur les toits

Antoni Tàpies
Vaixell
Vol III (1979-1986)

Grand Cahier.060.Cahier bleu-vert.003.Perditions.11

Le horzain


Le voyageur a dit :

J’ai quitté cette bouche d'ombre, sur le tard. J'ai marché très longtemps. La route conduisait jusqu’à cette trouée vers les terres – jusqu’à ce terme. Je débouche de l'ombre en lisière de forêt

Le voyageur a dit aussi :

Le ciel est un fleuve, une masse d'un seul bloc, un seul fleuve d'un bout à l'autre, une même eau, le ciel s’avance tout entier vers les confins du soir

Le voyageur s'attarde près de l'auberge,

on dirait qu’il écoute. Il aperçoit sur la place une fontaine de mélèze. Il boit une eau transparente. Elle est froide, et n’a pas de reflets

Le voyageur demande, le voyageur désire.

Un morceau de pain, le fil d’une musique, une taille à saisir, quelques danses qui l’entraînent, le baume d’un sourire
Le voyageur ne sait pas d’où il vient, sur quel seuil ni vers où il s’en va, il se tient obstinément sur le pas, à l’hui où l’on est, du jour sans rien savoir

Demain peut-être va-t-il partir. C’est sa façon
Reprendra-t-il la route ? au hasard, sans rien choisir, disparaissant dans l’ombre des grands arbres

Rose des vents de
Normandie

Grand Cahier.059.Cahier bleu-vert.005.Le horzain.00

Les yeux qui interrogent


Fleurs factices, fleurs éternelles
Lames de fleur, ocres et rouges
Fleurs desséchées depuis longtemps
Dormant parmi le noir des tombes

Visages tristes résignés
Visages blêmes vers le ciel
Qui lentement vous éteignez
De quel secours me seriez-vous ?

Au fil resserré de ma route
J'ai voulu garder la couleur
D'un souvenir. J'ai tout perdu

Je n'ai pu conserver, je n'ai pu retenir

Qu'un peu de suie le long du rail,
Et dans les plis du jour
Ce grain de poussière
Qui fait mal

Shams Sahbani
Cimetière intime
(2016)

Grand Cahier.058.Cahier bleu-vert.004.Scories.03

Il y eut tout d'abord...


Il y eut tout d’abord la masse irrépressible des eaux qui dévasta le pays,
fouillant de son mufle d'eau
une boue épaisse,
bousculant les arbres les hommes

– en son cours, la densité des pierres, des choses mortes tournoyantes qui s'enfoncent dans l'eau grise

Vint ensuite l'immobilité parfaite des eaux et le ciel dé-
gagé, la terre
convalescente
que le reflux laissait pensive,
et l'eau qui se mit
à descendre doucement
du perron

Il y eut un long moment de silence…

Puis un souhait se forma en forme de rose,
et l'oreille d’une église, là-bas s'éveilla, vers le toujours
déjà venu

Antoni Tàpies
Autoretrat amb paisatge
(1987)

Grand Cahier.057.Cahier bleu-vert.003.Perditions.10

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte