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Fil d'or
Il ressemble à l’oyat qui se plie sur la dune par temps sec, au chardon bleu mordant
Il n’aime pas les choses qui n’en font qu’à leur tête, il attend il espère un équilibre
Et c’est le moment qu’elle a choisie. Et elle s’approche et lui touche la joue. La fille est maigre, a le pied bot
Les moments véritables de cette journée seront constitués d’un trajet d’autobus, de quelques heures secrètes. Plus tard, ils seront pour le garçon aussi prégnant que l’Oudjat
Seront son œil, son amulette porte-bonheur
Oudjat - Oeil d'Horus - irt wḏȝ |
L'esprit s'évade
Les longs jardins murés m'ont semblé capables de songes
L'été s'est avancé très loin dans la douceur de l'air
De fruits se chargent l'espalier, mûrissent les poires les pêches, là-haut se penchent les roses
Comment la nuit peut elle être aussi claire à ta fenêtre ?
Je ne t’ai pas choisie, je te croirais plutôt venue, ta beauté accentuant le monde
Tous les chemins sont arrêtés, la haie a perdu ses ombres, et les vents s'apaisent
D'un vert plus profond est le pré
Les mots propos légers s’envolent, coulent comme des sources
Une douleur s'éteint dans la salle ouverte
Sandro Botticelli - Le printemps (1478-1482) |
Les fauves
Ils vont s'asseoir sur les gradins…
S’ils sont venus s’asseoir près du grand cercle en retenant leur souffle, c’est pour y voir (ils ont payé) le coup de griffe Quand le sang coule !
Comme une aiguille plantée au centre, il a su garder la tête froide, il a su
conserver la maîtrise alors ils applaudissent…
S’ils applaudissent c’est qu’ils enragent. Et ils tournent avec rancœur autour des grilles
Et du dompteur De son fouet, en habit impeccable, au milieu de ses cages
il fait claquer en l’air tout le jeu de ses boucles Main-tenant que gradins et cages sont vides
Gilles Chambon (2016) Au cirque d'après Toulouse Lautrec (1899) |
Henri de Toulouse Lautrec, croquis daté du 11 avril 1899, et dédicacé à son ami Arsène Alexandre « en souvenir de ma captivité » |
Je vous reconnus...
Je vous reconnus tel samedi de mars au matin ensoleillé qui s'annonçait puissant
Je vous attendais près d'une pierre
Votre venue du fond du cours, imperceptible, fut bientôt parmi les fleurs ordonnées
des jardins la seule occupation du jour
Qu'un tissu de ciel vous habille
Marc Chagall Bouquet aux amoureux volants (1947) |
Progrès d'une forme
Elle hésite à poser la touche.
L'univers comme il va
n'est pas de son exemple.
A chacun sa beauté
Le bruit, les tumultes du jour
brisent une vue
qu'elle disait transparente.
Ce pourrait être
un visage effleuré sinon
qui se détourne
Ressortir cette douleur,
composer avec elle,
elle l'éprouve ; hésite
Mais les points de couleurs
finiront par aviver la toile et freiner
l'eau portante
comme un lit de gravier,
seront choisis avec lenteur
La campagne alentour
va se taire
De grands portraits
qu'elle signe et le soleil
occupent l'atelier
L'univers comme il va
n'est pas de son exemple.
A chacun sa beauté
Le bruit, les tumultes du jour
brisent une vue
qu'elle disait transparente.
Ce pourrait être
un visage effleuré sinon
qui se détourne
Ressortir cette douleur,
composer avec elle,
elle l'éprouve ; hésite
Mais les points de couleurs
finiront par aviver la toile et freiner
l'eau portante
comme un lit de gravier,
seront choisis avec lenteur
La campagne alentour
va se taire
De grands portraits
qu'elle signe et le soleil
occupent l'atelier
Marie Spartali Stillman Madonna Pietra degli Scrovigni (1884) |
Casal
Ces deux visages se regardent qui se lisent, et se tra- versent l’un et l’autre
Rien ne viendra les séparer, ni les orties inévitables – car peut-on se dire sans endroits sauvages, sans parties où il ne fallut abandonner – ni les souches d'amours qui furent vertes, ni l'armoise vulgaire
Ces deux visages qui se regardent, ils se lisent, et ne se troublent point, ouverts et seuls. Sans prêter attention
à rien d’autre qu’eux-mêmes
Ils s'assoient sur le banc que, plus tard,
la neige va couvrir
Marc Chagall Les amoureux de Vence (1957) |
Coup de sandale
Les fleurs les plus belles et les plus éblouis-santes sont dans les endroits les plus extrêmes. blanches ou noires, elles poussent en nombre sous les rigueurs des monts Caucase
Un samovar d'argent fume au bas de l'escalier
Dans son casaquin de velours rouge, elle est serrée de taille, et fille vraiment tulipe à se faire battre.
Le fauteuil tourne en-dessous de la mezzanine, les miroirs de l'entrée s'enflamment. Il n’en fallait pas plus pour que saigna la pierre de toutes ses oreilles.
La soirée fut courte, la nuit irrémédiable. Les phares n’éclairaient plus qu’un étroit passage endormi
Un orage éclata dans les tourbières. C'était sans compter que l'hiver les couvrirait de blanc, qu'une neige dorénavant atténuerait les sons
Kees Van Dongen Extrait d'une aquarelle 'Chez Azon' (1900-1910) avec Fernande Olivier, Picasso, Apollinaire |
Pique-nique
Par un dimanche d'automne, calamiteux, un dimanche en famille et cravates, malgré une incertaine hydrographie et la tournure de la rose des vents, on se décide à partir
Le choix s'est porté vers le point le plus haut du bocage, ici ou là, à deux pas du relais hertzien, une place indécise
Une herbe sèche qui convient. Déballons que je mange. La nappe. Un œuf, deux, trois. Le pylône a grincé dans ses câbles
Bouffées de musique et voix de journalistes font la grand-roue avant de s'enfuir au détour des sapins. Il semblerait qu'un roi nègre se cache. Il siffle derrière un fourré de nuages
Le temps s’enforcit, tourne au mauvais temps. La chasse aux moustiques est ouverte, elle annonce la pluie. Vite, replions la nappe, jetons les miettes. Remontons en voiture et filons à la buvette
Boucle de l'Orne. Vue de Saint-Omer, non loin du Mont Pinçon |
Escalade
Le vélo rouge déposé
contre une roche en bord de route
j’observais l’aspect schisteux pris par la pierraille
j’observais ces quelques gravats du domérien
qui ne m’inspiraient pas confiance
Oui, c’était rien qui vaille,
du out
Dès les abords de la ravine, le sol déboula sous mes pieds –
J'avançais péniblement (une chaleur de plomb ameutait le silence) je me brûlais les mains aux herbes desséchées, je m'appuyais du pied
contre les maigres arbustes, m’accrochais aux racines qui poussent – et qui s’enfoncent dans les décombres
Je me hissais,
ne sachant comment faire, suivant les traces d’un chemin de chèvre, sec et nerveux, suffoquant jusque là‑haut,
j’arrivais au bout d'un certain temps, tout le temps d'une grande fatigue, pour me trouver
Île dans l'âme, seul devant
Une vue découverte en l’air à vous couper le souffle
les pensées refluant
les pensées refluant
debout sur la jetée d'un étroit plateau de pignade… noyé dans un lac bleu de solitude un ciel…
Paul Cézanne La Montagne Sainte Victoire vue depuis la carrière de Bibemus (1897) |
L'automobile
L'auto qui passe a mis son clignotant, l'auto qui tourne, l'auto qui suit les lacets vicinaux, rouages en campagne, l'auto s'y perdra
Sais-tu ce que tu veux girouette grinçante au gré du vent, coquelet, les nuages chanter ?
Le soir est un jardin déboussolé. Agua ardiente comme fruits brûlés, tel suc extrait d'un végétal, toute une phosphorescence de grumes, rondes chairs, les fleurs magiques des images répandent l'entêtant parfum parmi les plates-bandes ici variées qui s'échelonnent
Tournent les heures. Que mon bocage se complique ! la dix-huitième à l'appui de ma fenêtre s'endort dedans les haies profuses. Je veux monter sur la colline et me coucher long dans l'herbe dans l'extase des grands départs et la douceur voluptueuse des retours
L'auto glisse son aiguille, l'auto tisse sa rime au tissu de ma nuit, à mon poème à la minuit
Edgar Degas Oliviers contre un fond montagneux (1890-92) |
Edgar Degas Paysage 1890-1893 |
Photographie
À cet instant qu’avais-je au bord des yeux ?
Quel cadre pouvais-je accorder au vent ?
Un paisible taureau sous les ombrages
Dans les fossés, un peu trop de lumière
Et quatre bois plantés là de travers
Comment s’organisent-elles les choses
Pour vous donner dans l’œil tant de plaisirs ?
La terre est sèche. Trois gouttes de sang
Tachent l’herbe et le mouchoir de plastique
Accroché au barbelé tourne au bleu
Pourquoi les bêtes près de l’abreuvoir
Tremblent-elles comme paille dans l’ombre ?
Quel cadre pouvais-je accorder au vent ?
Un paisible taureau sous les ombrages
Dans les fossés, un peu trop de lumière
Et quatre bois plantés là de travers
Comment s’organisent-elles les choses
Pour vous donner dans l’œil tant de plaisirs ?
La terre est sèche. Trois gouttes de sang
Tachent l’herbe et le mouchoir de plastique
Accroché au barbelé tourne au bleu
Pourquoi les bêtes près de l’abreuvoir
Tremblent-elles comme paille dans l’ombre ?
J'ai noté trois fois...
J’ai noté trois fois de suite une même impression
Je l’ai déposé comme il convient sur un petit morceau de matière. Il est chargé d’une électricité statique, selon le nombre et le code mémorable des couleurs. Je ne m’inquiète pas (du reste) ni de la rime ou du cadrage, c’est du pareil au même
A chaque fois je me dis « Est-ce le bon moment, suis-je placé au bon endroit » je n’en sais rien – Est-ce important ? Je m’occuperai de cette question un peu plus tard. Ce que je garde en tête, ce qui compose mon désir tient en un seul et même instant. C’est lui qui me donne le goût
Des jardins ouvriers que je vois. Un arrosoir des plates-bandes une fontaine improvisée, le feu âcre des feuilles mortes dans un coin retrait
A chaque fois je me rapproche de la barrière. Roses fleurs des murs, lierre en plein cœur de la ville
Paule Persil Faguier Meilleure Ouvrière de France 2019 Calligraphie : Je pars en voyage |
Affût
Parfois j'arrive, dès le matin,
tête effilochée qui s’étire dans les transparences de la nuit j’observe l’aube
À peine sortie des limbes de ses blanches araignées tissant les eaux du canal
Je guette une mouette plantée ahurie droite sur ses pattes dans l’eau scrutant les cercles
Je clique
d’aucuns disent
Je tire
chasseur dans l’entre-deux sans trop savoir
au feu des yeux
Hachiro Kanno Atelier 28 (2012) |
Mehndī
Elle a de l'ombre au coin des yeux, un mascara de pensées inattendues
Le henné de la fleur de ses mains la fait sourire
Elle a des jambes longues et blanches, lisses des seins frais pressés
Des courbes, à la folie des courbes aussi
Une nuque au duvet d'oisillons qui crie dans l'âme
Elle est fine à malices, vive lorsqu'elle dit les mots choisis qui lui viennent
Et qui l'emportent. Tout en elle est femme Vérité, ce qu’elle vaut, ce qu’elle sait
Aussi – haute tient-elle la tête
Fleur de cachemire pour mehndī au henné |
Inaction
Crayonner le visage entrevu devant soi, se décaler un peu, chercher un meilleur angle, et s’il le faut tourner autour.
D’un coup de plume épousseter son paletot.
Un clic, un œil suffisent à nous débarrasser de tout l'ennui du monde
Si jamais l’idéal ne peut être rendu, le son même du cristal résonne au bout des doigts, quand l'éclat des couleurs finit par révéler l’objet
Dans le lointain voyez comme il est, le monde, voyez comme il vit contenu dans l’obscure clarté de l'appareil photographique. Le monde égoïste futile et chaotique
Jean Bazaine Vent sur les pierres (1971) |
Gerti
Sur un fond vide posée de face, distincte élégamment de tout le décorum rouge et argent, assise découpée absente, les yeux fermés, la tête qui se tourne vers un songe, main dans le manchon reprise, séparée du corps qui s'appuie à la taille et se disloque
Ou lignes élancées, planche nue dressée au milieu du désir, svelte lavis d'ocre et stupéfiantes rougeurs, décharnée vulnérable comme un christ, les bras sur la poitrine croisés
Quel éloignement du regard, quelle tristesse quand s'exhibe sur la chair l'armature du sexe !
Egon Schiele - Gerti Schiele (1909) |
Egon Schiele - Gerti (1910) |
Teiles
Rideau bleu fatigué de lumières, délavé de ses intempéries, le réel submerge de ses couleurs les replis du tableau. Le cadre et la fenêtre ont disparu derrière le voile, la barre à l’horizon des faits, dans la clarté nue du paysage
Traces monochromes dans les blancs tout d’abord et les bleus puis le soir venu, tâchées de bruns, lanières flamboyantes. Il fallait que le navire et sa cargaison se délivre de sa gangue de glaise, que la matière se révèle, énigmatique pour signer enfin l’étendue de la toile
Formes rondes à la Rubens qui n’arrivent pas, figures sans visage, aborderez-vous aussi aux coteaux du réel, endormies dans les limbes
Daniel Caspar - L'envol d'Icare (2012) Grand Arc Noir (1997) |