Vols


 
Wilfredo Lam (1960)

L'oiseau, 
de tous nos consanguins 
le plus ardent à vivre...
*
Saint-John Perse


L’oiseau, de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d’inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l’aube elle-même : cri de guerre sainte à l’arme blanche.


George Braque




Le rossignol


Il n'est pas de ce pays, dit-on, le rouquin d'Afrique mais il chante. Oh ! bien peu de choses, quelques trilles à l'envi, non point des mélodies mais alors,

Il fait crier le frais couvert des buissons, les fourrés de prunelliers et d'aubépines. Vous passez par-là, sur la route un soir venu d'avril – vous tournez la tête, il vous surprend. Mais pour le voir n'y comptez pas, il est discret.

Peut-être vous montrera-t-il le bout d'une aile brune, furtive une rectrice, un cœur de crème.

Aimez donc Philomèle.


George Braque





Le merle noir


Ah ! Massignieu de Rives sonore, béjaune mon frère très commun parmi les cerisiers, j'entends l'orage qui tonne et s'éloigne.

Bonheur sur terre au crépuscule de juin, tu me prends le cœur.

*

Et puis tu es monté hardi au-dessus du toit d'ardoises, jusqu'au sapin, je t'ai vu par la lucarne choisir la branche la plus haute.

Et moi je sais que tu chantes simplement pour chanter puisque tout s'est tu.

Sans vergogne, turdus merula et bien d'ici. Tu bâtirais ton nid sur la fourche d'un rosier. Aussi je te cède volontiers les salades et les fraises de mon jardin pour la clarté si franche de ton chant.


George Braque




La sterne


La sterne que la mer appelle, s'épaule sur le vent, genèse de l'esprit, que son aile fend symétrique à son cri de braise.

On dit qu’elle aime à nicher près des lagunes, celle qu’on nomme aussi la pierregarin, la Sterna hirundo fréquentant les presqu'îles et les îlots proprets et, colonies nombreuses, les plats rivages de la Loire. Elle bâtit parfois vers les Grands Lacs, résultat d'un artifice dit-on, des radeaux de graviers.

Admirons le spectacle d'un plongeon. Le clignotement gris argenté dans l'air. Quelques instants de concentration lui suffisent pour repérer sa proie. Ne manquons pas si l'eau est claire et peu profonde, le piqué qui foudroie lançons ou sprats.


George Braque





Les alouettes


Elles n'ont pas de répit dans leur chant les alouettes. Je ne les crois pas satisfaites du fond des champs dorés (Que savez-vous alauda d'arvensis ?) elles ne le seront dans leur pépiement qu'après avoir épuisé cette pâle journée de printemps, qu’après avoir poussé devant, leurs trilles et vocalises – alou, aloe, gauloise qui grisolle – à s'élever à l'infini de l'espace et du temps, elles vont certainement y mourir ; monter dans les hauteurs extrêmes, se laisser emporter par les nuages flottants, perdre leur forme et ne survivre dans le ciel – que par leur chant.

George Braque





L'épervier


L'épervier, que lui importe, n'est pas un homme.

Il chasse, il chasse l'oiseau, il se mange. Battent ses ailes, battent rapides ses ailes arrondies.

Assipiter nissus, zagaie dans les planches du vent, gris-bleu sombre délavé de fauve.

Tu es chez toi, je te décris : sourcil blanc étroit ou absent, rouge orangé sur les joues et les flancs. Ta femelle est grande, tes petits sont grands, de liserés roussâtres dessus, barrés de bruns plus larges dessous. Tu aimes les pins, les lieux secs, et la résine pour ton nid.

Étincelle au soleil, alternant, ailes à demi-repliées, les séries de coups dans l'air et, œil scrutateur, les longs vols planés.

Pourquoi craindrais-tu l'homme, tu vas dans ses jardins, furtif, toujours aux aguets, tu t'y avances.

Si l'on te voit, c'est la panique,
Épervier !

George Braque




Turzunhell


L'hiver s'élargit dans la grisaille. Cette frilosité palpitante de plumes, blanches comme fragile rubanée blanc grisé de collier noir, de ses griffes marque l'indéchiffrable carré de l'ardoise ;

L'ergot qui gratte traces la raye elle s'ébroue.

L'hiver est calme, et rien n'arrêtera jamais la pluie soyeuse et monotone, ni la lucarne ouverte au dernier cran.

Le jardin, je le dis dépeigné, ce matin triste, est-il triste ? à du mal à composer avec un jeu de folles amourettes et de longues fétuques, le jardin est envahi, le pont craque et glisse, on ne pourra bientôt plus passer.

George Braque





L'idée du bouvreuil


Passager du Nord-Est, en gorge de pivoine ou gris manteau madame, on te dit petit-bœuf. Les Bretons te disent baron.

Pyrrhula deux fois, le doux caractère. Tu fais révérences jolies et gracieux mouvements, moinillon bien nourri. L'autre jour – méfie toi ! j’entendais tes dious mélancoliques près des fruitiers.

Évite la cage,
De trop de chènevis, calotin devenu noir, tu perdrais les couleurs à défaut de la vie. Ce que l'on aime chez toi, c'est la simplicité et le bon naturel,

Malgré les propos d'un grand sensible :

« On s'arrêtait pour écouter le délicat barbotis, énamouré de fraîcheur, d'un bouvreuil se baignant dans la mignonne baignoire minuscule de nymphembourg qu'est la corolle d'une rose blanche. »  

Marcel Proust, le temps retrouvé

George Braque





Le Phénix


Ni principe qui le produit, ni recette savamment concoctée, il est sur terre unique et toujours
Renouvelé – multiple.

Les herbes et les fruits ne le nourrissent pas et pourtant, il en est le verbe et le reflet, le plus parfait miroir. Lui qui vit de la douceur des larmes, de l'amome poivré, de l'encens.

Comme une horloge réglée pour les siècles, au temps venu, de son bec et de ses ongles, il construit

Sur un chêne chez nous son nid, du poids qui n'est rien qu'une palme ; le lent balancement d'une palme, une datte dorée, l'huile et le sucre des pays du Sud.

Il y met, il y rajoute une couche de cannelle : ces brindilles de nard appréciées des anciens. De la myrrhe, des morceaux de cinname.

Il s'endort dans le feu des parfums
Mais toujours il renaît, à lui-même toujours égal, jeune braise au milieu des cendres grises.

Quand sera venue la force de ses ailes, de la tombe et du berceau, il ira porter l'offrande aux portes du soleil.

Françoise Gilot (cf. Picasso)





Mauves (mawe)


Étourdis par le vent
l'accastillage des oiseaux
dessus les toits de rouille

Même si les fleuves l'hiver

Portent pleine charge de neige
et morts-

-bois ( dérivent
et tanguent
et font leur danse.

C’est comme un signe d'avenir

quand ils prennent à contretemps
l'itinéraire
et toutes voiles destinées
de nos étoiles

Nicolas de Staël
Les toits de Paris (1952)





Grives


C’est une haie bleue séparant
des ciels de seigle
des arbres noircis par le gel
un pain de neige

L'hiver plein de santé
se nourrissait de froid

Vol,
une troupe de grives divague
soûle de vents
par les chemins perdus

Pieter Brueghel l'Ancien
Les chasseurs dans la neige (1565)

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte