Courbes du temps


j’ai ralenti de vivre car
étant éloigné, loin de vous
j’ai voulu savoir
quel serait le futur

je suis parti, il fallait que je parte pour que le temps se courbe
et qu’au tournant
je vois le monde sans retour

et si j’ai eu ma chance
et connu mon bonheur

– mes amis sans rancune,
et à toi non plus, toi
à qui j’avais tant voulu donner
et que j’ai perdue
– je n’ai rien pu dire

sur la route improbable
Ulysse est égaré

jamais ne reviendra
attendu de personne
disparue dans les brumes
Ithaque se dissipe
Vassily Kandinsky
Courbe dominante
(1936)

Grand Cahier.768.Intérieurs, Extérieur Voix.D. aurait dit.37

Tenir


Ces longues laisses d’algues poursuivies lorsque l’eau de l’océan se retire
où m’ont-elles conduit ?

L’étendue de la plage maintenant, songe
et patiente

(dis-moi) sargasse
qu’attends-tu de cette houle, ces vagues

quel retour au loin
va te submerger, comment peux-tu rester dans cette vase, planté à espérer que l’eau revienne
et que tout se relève

– Piquet là planté –
mais il est trop tard

Face au
reflux,
n’est mal
château

qui
tienne
Henri Rivière (1864-1951)
Estampe N° 5 L'écume après la vague
1892 (Tréboul - Bretagne)

Grand Cahier.767.Cahier bleu-vert.Perditions.15

Les fleurs du moment


Abeilles de fer
aiguilles d’argent
vous enrichissez
vos ruches du miel
des fleurs de sang vert,

nourrices de retour épuisées
par le sang jaune

Libellules
– de fer et de mort –
quadrige d’ailes
au sang noir dévastant
la fleur des eaux

Cervelles de cuivre
et de silice, triangles parfaits
de symétrie, fleurs
d’étincelles
au miroir des temps

vous êtes une même nature
animale-humaine
Odilon Redon
Fleur de sang
(1895)

Grand Cahier.766.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.20

Tanière


L'univers
et ses milliards de temps et d’espaces

contenu dans
son maintenant insaisissable

n'est qu'un petit endroit qui s'agite,
un petit endroit neuronale
dans ta cervelle
où dehors et dedans
s'entremêlent : rouille et cendre

Et ce n'est que rarement
que tu fréquentes ces circuits
trop occupé par l'atelier de ton corps,
par la courbe des chemins
qu'il emprunte

Et des rencontres éphémères,
ces autres corps
qui le distraient,
le nourissent
et parfois l'égarent

Mais dis-toi bien qu'un jour
ce petit réduit si

vaste sera ta
tombe

Fu Baoshi de Xinyu
Rêveur (1942.1945)
La royauté est passée sous nos yeux,
comment situer l’espace infini
Cheng Sui

Grand Cahier.765.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.19

Arrêt sur image


La vie bouge elle aime
le mouvement qu'elle inventa une fois pour toutes, et à jamais

et lorsque tout se fige

pour moi sur ce banc assis
au bord de cette blancheur froide et matinale
où rien ne diffère

qu'y a-t-il à voir en dehors de moi-même
de mon temps de vivre

ai-je peur
de ce silence, de cet exécrable espace
de désolement

quand les images ne sont plus
comme au cinéma
l'une après l'autre substituées – si grand est leur nombre à chaque instant
Paul Cezanne
Homme assis
(1905/1906)

Grand Cahier.764.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.18


Le désir


est un phénix au
nom rouge ou palmier

ou doigt de lumière

paume d’une main
fertile
  alliance
victorieuse donnant
miel et vin

chimères
et poussière
du pain s’entourant
d’une douceur
de lait

le désir
est frondaison ou-
verte au soleil
ou fermée

sur sa nuit
d'une profondeur
immémoriale
Katsushika Hokusai
Phénix fixant les huit directions
(1818)

Grand Cahier.763.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.17

Le buisson


C'était une route
impossible
incertaine sans marque et sans
appui je le savais

il eut été
préférable de suivre
la courbe je l’aimais, aux plis
nombreux

- qui les pousse à l’infini mais
blessé j'ai pris

car il n’est d’autre vérité que le hasard
(l’itinéraire n’est pas tracé) il n’y a que des cairns et c’est à dire peut-être ici ou là différemment

et d’un pas j'ai franchi a-
percevant une clarté
le buisson de cette impasse
Jacob Isaacksz van Ruisdael
Le Buisson
(1649/1650)

Grand Cahier.762.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.16


Le plus petit morceau


qui soit

incommensurable
unique et innombrable
unique et chargé de la toute
puissance de son être dans une lumière
qu'il ne peut voir

s'il était seul

quel espace occuperait-il
occuperait-il tout l'espace

mais de quel

espace s'agit-il, celui
de sa lumière ?

et comment espace et lumière
seraient-ils sans les autres

et qu'est-ce donc
qui s'alterne puisqu'il est seul ?
Hans Hartung
T1982-U1
(1982)

Grand Cahier.761.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.15

Parturition


Ne sois pas dans l'embarras
devant cette débauche de viscères

nu,
couvert d'urines,
(edere) il vient d'être édité
du sexe de sa mère
qui le projette

mais qu'est-ce à dire : mettre au jour ?

Symptôme isolé maintenant
qui se dresse encore
fébrile sur ses pattes
et souillé

petit animal jeté là dans la vie
pour mourir
tu ne sais rien du jour

du réel
étonné à jamais flottant
illocalisé
Stanley William Hayter
Parturition
(1939)

Grand Cahier.760.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.14

Cheval


Et du cheval conserve sa fraternité
non la bêtise

observe les autres
avec son oeil qui tourne de côté

mais conserve pur (c'est-à-dire, fait briller de ses crins) et le jour et la nuit

ensemble et sans mélange, alterne

dompte sa fougue,
qu'il ne fuit pas !

Et que la vie
devienne
Franz Marc
Der Turm der blauen Pferde
La tour des chevaux bleus
(1913)

Grand Cahier.759.Intérieurs, Extérieur Voix.004.Demeures.13

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte