Convives


On a redistribué les bancs,
recherché des lieux de fraîcheur à la ronde, prolongé la table au mieux
– on s’est tourné vers le dehors

La nappe flotte dans les airs, les miettes se dispersent, c’est un déhanchement d’idées qui dansent
– la nappe claque dans le vent, la nappe éblouissante

L'été brûle à midi dans les cours de cuisine

On a laqué les murs d’un coq, d’un rouge photophore, ciré les murs

L’arrière-cour a blanchi
de tout son poids de graviers

Des guêpes boivent, avides au sang des plats. Chacun discute avec force, animé par cette bousculade

– A la fin du repas quelqu’un
s’emporte. Il va crier.

Serré trop fort, un verre se brise.
Morceaux dans le creux
d’une main

Pierre Bonnard
Carafe, Marthe Bonnard avec son chien
(1915)

Grand Cahier.041.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.09

Garnisons de l'aube


La vitre est froide ce matin,
reblanchie d'un peu de buée.

Des copeaux s’entassent dans un coin,
des paquets d’ombre

Toutes nos affaires
au sol sont en désordre.

Un pan entier du jour a jeté sur la table
ses cahiers gauchis de lumière

Ce sont des battements contre la vitre,
coups de bec ou bien coup d’ailes.

Le pied vacille. Tu t’avances
tu es seul à compter les carreaux de grès

Jean Hélion
Espaces bleus
(1936)

Grand Cahier.038.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.008

Sur le pont Bir Hakeim


La digue pour que rien ne tourne ni ne croule
Dans l’axe une colonie de fleurs sans parfum
Corolles alanguies pailletées d’un or vert

Le gouffre des eaux noircies hurle sous le pont
L'écume crépite jetée des bouches d’ombre
Des ciels volent en éclats s’en vont percuter
Du bout des doigts le reflet changeant des verrières

Filet d’eau pleurant doucement près de la rampe
Minerais en fusion et ciguës aquatiques,
Toxines blanches pour le ventre des poissons

Christophe Botton
Le passage
(1966 -)

Grand Cahier.011.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.07

Sur l'écaille des rives...


Sur l'écaille des rives, toutes les administrations du bien-être surchargent l'ancienne coque et le poids cintre et romps les portées à l'endroit précis d'enchâssement des nouveaux métaux et verres précieux

On peut découvrir sur le dos des tortues des coraux de vieux roses blanchissant leur squelette

On peut voir aussi parfois une orque franchir la passe d’un bond à l’endroit précis où se dorent au soleil veaux de mer et ballons-sirène

Au-dessus des toits briquetés de rouge à l’endroit précis où sont logées les statues de plâtre, déchets des rebords des fenêtres, copeaux charbonneux stridulant de chaleur, la ronde effarante des martinets raye l’acier des cieux

Jason deCaires Taylor
Museo Atlántico Lanzarote
(~ 2017)

Grand Cahier.008.Cahier bleu-vert.001.Ébauches.06

Ressemblances


ou bien Ce sont des pains d'abeilles bourdonnantes
ou bien des guêpes corsetées, tailladées dans le jour, chaque fois plus serrées

Insecte au goût de miel au venin de soleil

Une pêche existe-t-elle ?

une autre une autre encore réellement, de chacune d'elles nous est donnée l'idée, unique l'idée, issue d’elles née d’elles Et vérité pour toutes

Néanmoins existent-t-elles ?

Si je veux savoir indécis étonné
si… je… irrésistiblement traverser une eau claire
si venant d'un parfum doré le soir

il fallait distinguer mi-ombre mi-jour l'alberge mouchetée d’une pêche de plein-vent

Quoi de plus facile qu'une idée

Hans Reichel
Composition n°9
(1940)

Grand Cahier.023.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.05

Phosphores


Vais-je manquer encore cette moitié de moi-même ?

Les reflets du miroir sont endormis Le jour est absent la nuit infinie. Je m’éveille, bien avant que l’aurore ne soit levée, je me lève

J'aime le brusque saut du lit titubant les yeux frottés mi-clos, me préparer
(d'autres moi-même préférant un robuste café)
un thé léger un nuage de lait m'asseoir à la table de travail allumer l'écran

Signifier quelque chose, illuminer c’est sûr mais pour combien de temps ?

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une Feuille,

c'est-à-dire, poser là une image, la situer en un sens re- hausser le degré divaguer dans l'entre-deux des rêves et l'afficher

dans sa lumière, son pixel, avec le mot et l’oubli du point qui s'imposent

Paul Klee
Starker Traum
(1929)

Grand Cahier.020.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.04

Les vitres


Avec la vigueur
soudaine d’un coup de poing
vous dispensez
– vitres au cœur ensoleillé
– vitres délivrées printanières,
assaillies de beauté

tout un jeu de fusées jaunes qui s’enfuient

Si ce jardin liquide est un souci de fleurs,
voyez notre allégresse !

Sous le couvert du mauvais temps
– vitres des jours terreux,
vous vous fanez
rongées par l’ombre lourde des claveaux
et des sales nervures

– Vitres disparues,
voûtes du ciel au regard de travers,
aussi brûlées d’amertume
qu’un vin noir
répandu

Marc Chagall
La fenêtre sur l'île de Bréhat
(1924)

Grand Cahier.015.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.03

Échappée


Il sonne à l'orée chavirant, lourd et tardif sur les campa- gnes de clair repos,
le pas

Promesse quand la croisée nous offre son bouquet d'étoiles, aux noiseraies du calme cœur, d'une vêture.

Mais s'il nomme le lieu
qui le dispose à graver son nom quand les pierres fleurissent en mil ardoises,
lui, le décidant qui déplie le jour, abrupt ;
l'Hôte
qui, sur le seuil de la maison, nous reçoit.
Où prend-il sa stature ?
La terre en ce temps baye et le ciel dévide. Chaque pas frayant est un risque.

Aussi ton emblème sera le visage des sentiers. Effort et joie. L'accueil précaire de leurs destins.
Rien jamais ne s'achève, le dieu est bref.
Une échappée –
simple pas de danse, sous le ciel de la terre, –
de l'homme.
Toujours il se retire.
Écoute et regarde. Il faut garder mémoire. Sauras-tu venir à sa rencontre ? Sauras-tu répondre à sa brusquerie ?

Et sur les campagnes sonne le pas. Entre deux ciels d'orage, l'oiseau chiffre les soleils prochains.
Et le cœur patiente. Et le cœur s'atourne.
Au levant d'une force, un monde se rassemble, ouvrir les lèvres à hauteur de source, boire et le corps vivifié, citer les prodiges vus, inventer les nouveaux luxes,
cela sera notre gloire.

Et remercions le temps car nous sauvons notre éternité.

Enfin que selon sa guise le cœur agisse.

Paul Klee
Hauptweg und Nebenwege
Chemin principal et chemins latéraux
(1929)

Grand Cahier.631.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.02

Voies rompues


Quand le soleil eut brisé la vitre...
Comme un souvenir ancien, comme une idée du pre- mier jour, lente une eau grise et froide, une eau de neige envahit le chemin

– La mer a monté jusque-là, route mouillée

Les mâts balancés, la voile ronde, flaques et talus font un paysage. Le ciel est de glace, batelier muet. Il fait un froid certain. La boue colle au talon, il faut un effort à chaque pas

Le soleil en ressac éclabousse la route

De jeunes ormeaux sans tête sans bras s'alignent, s'en vont droits se perdre jusqu’à cette cassure. La terre est morte à l'horizon, la terre

Aux abords d'un chemin venteux, s’effondre ; s'ouvre la plaine, l'étendue de la ville avec son poids de pierres

On entend, cela vient se briser, le bruit des ateliers, d'un garage aux portes rouges – le travail du fer, bruits des jardins ouvriers, pépiements, draps qui claquent. Rien

La route basse et droite continue vers le centre probable. C'est un après-midi calme qui se perd et la ville imperceptiblement s'étire

Jacques Villon
Paysage aux environs de la Brunié
(1959)

Grand Cahier.001.Cahier bleu-vert.012.Ébauches.01

Contre-feux

*



Quand bien même n'y aurait-il en- core ouverte qu'une seule boutique en ce dimanche au coin retrait le plus dis- tant d'une banlieue il faudrait pousser la porte et demander à l'épicier la boîte d'allumettes qui mettra le feu

Craquer une allumette
IsoBlitz
(2010)

Grand Cahier.190.Refonds.011.Contre-feux.00 {•••}


Que dit la nuit...



Que dit la nuit
des feuilles mortes ?
L'année passée, celles d'avant
pourrissent au fossé. J'ai tant
d'amis perdus de toutes sortes

Que dit le jour ?
Que dit la forte amour des mots
qui va chassant de par le pré
L'arme du temps taille des ans
la chair à l'os

Grand Cahier.266.Refonds.011.Contre-feux.01 {•••}


Fuir, où donc fuir...



Fuir, où donc fuir, l'ami Blaise
De Pevek à Butembo
dont ne fit la périégèse
ni toi, menteur ! ou Larbaud ?

 Car voilà des solitudes
la terre ronde et les trains
stoppés là de lassitude,
l'ombre à l'homme qui n'est rien

Grand Cahier.260.Refonds.011.Contre-feux.02 {•••}


Lorsque demain déchante...



Lorsque demain déchante

les jardins de travers sont en nombre. Ici s'étage. Une route débordée qui tire à l'amour jusqu'à ce clos, cet autre. Charbons éteints. Idées perdues. L'âge rompt les corps, les plie, les tord et l'âme aussi

...Et le feu s'éteindrait ? Mais trop de choses ont traversé, trop de gens sont venus et se sont éloignés. Les retenir, personne ne peut jamais, dire, le sait-on ? Ni rien commettre. Laissons là ces blessures. Quand cela serait que de revivre, rien de mieux !

Nous mangerons encore des fagots de vent

Grand Cahier.321.Refonds.011.Contre-feux.03 {•••}


Une réelle amie ?



L'amour avec fracas, dit-on jeté par la fenêtre, parti cla- quée la porte sur les doigts depuis muré. Plus de regards, et ne désire ni ne convoite puisqu'il n'est d'espoir

J'avance au long de corridors de pierres de rues régle- mentées. Tête neutre sable gris serrée de calculs parcimo- nieux. La vie sèche. D'une rage à vouloir souffler les vitres, péter le ciel en pile de savoirs

Grand Cahier.322.Refonds.011.Contre-feux.04 {•••}


Hier



Le froid m'a pris l'oreille et le thorax. Je ne vis plus que de pierres, quelques souvenirs au bout d'une terrasse étroite et reléguée vers le dernier étage. Gris moineau, ciel étamé

Il en ressort un bruit quand même, un cliquetis de secrétaire

En bas, le sol gronde, passe et repart. Les couleurs sont perdues quand la vie se resserre. Temps sensible brusqué de désirs avec un vol immense, inachevé comme toujours

Grand Cahier.328.Refonds.011.Contre-feux.05 {•••}


Rien qui dépasse



Un souffle emporte la poussière d'un bout à l'autre de la rue. Les trottoirs désertés sont bouillis de soleil

Dimanche de juin aboie de solitude

Qui peut croire en cette fin de millénaire que quelque chose existe encore. La ville est un cache-misère de trop de mailles rabattues, la ville reproduit la ville et se ressemble, identique en chacun de ses points. On empile les fenêtres, on rallonge les heures. Je me penche au dehors,

et regarde par le biais, au défaut de l'enfilade,

inquiet de qui s'en va
Une silhouette indécise, dans une vague de chaleur, un homme qui veut fuir, et qui s'éloigne à disparaître

Grand Cahier.335.Refonds.011.Contre-feux.06 {•••}


Forge



Tu rentres saoul plus grand qu'un soir de banlieue. La bouteille du ciel crache sa lie sur la ville.

Quel mauvais foie !
Au dégoût des lèvres on voit que se prépare un orage.
Tête bouillie dans soupe d'usines.

Ton squelette se souvient du fracas des presses, le cambouis sous le pied, la cadence dans les bras.

Les carreaux du travail tombent. Tu pousses le verrou. Le soleil se coince dans l'étau.

Des vitres fulgurent du béron de la nuit.
C'est une jaunisse de chambres à l'odeur de chaud où d'horribles ménages s'égorgent

Grand Cahier.228.Refonds.011.Contre-feux.07 {•••}


Hors titre



Je hais décidément
cette chambre exiguë,
l'opacité de ces quatre murs
bâtis en pierres de Caen,
de lourds moellons,
et qui boiraient toutes nos larmes
sans rendre un moindre éclat de jour,
un seul sureau.

Je hais ce buffet bas, massif
avec ses portes sombres,
ce buffet vide qui s'adosse au mur,
son marbre vert.

J'avais posé là pour orner,
un vase à col étroit
(tiges coupées, roses qui pourrissent)
mais il s'est brisé.

Les pétales tombés
sont de pâles caresses.
L'eau surie s'est répandue,
les couleurs ont passé.

C'est d'un gris !

Grand Cahier.197.Refonds.011.Contre-feux.08 {•••}


La chambre



Le rire d'une fille emplit
la cour qui moisit
comme la chambre comme le lit

Les moineaux mangent les pierres.
L'orage est passé
du premier soir, l'éclair
qui t'empêcha de dormir

Par l'ultime carreau de la fenêtre
et que l'on ouvre,
l'arête du toit, les tuiles,
l'antenne tournée vers le ciel, ce peu
de ciel entre les murs,
ce ciel qui passe.

Le monde n'a pas d'esprit
Le silence de nouveau les larmes

Un étroit jardin de cardamine
est aquarium sans soleil

Grand Cahier.169.Refonds.011.Contre-feux.09 {•••}


La cloison



Une émeraude à son doigt, sa main
Légère, à peine posée
Sur le guéridon où trônent saintes les images
Elle dit ne pas savoir
Ne plus se souvenir
Mais la vie passe près d'elle et s'entête
Quelle pauvreté !
Le vieux parquet craque sous les petits pas
Tournera-t-elle longtemps encore
Parmi ses meubles de fonction ?
Il lui faudrait sortir, quitter cette cellule
Prendre l'air.
Une raie filtre à travers le rideau tiré
Vient caresser la main, la bague
Et la poussière.

Grand Cahier.198.Refonds.011.Contre-feux.10 {•••}


Qu'aurions-nous pu dire ?



Sous les mêmes travaux la même vie lente
Unit les fermes du bocage
La route nous était familière
La ville au dos
Nous pensions à notre ami
À ses mots à saveur de chemins
Mots de nos joies et peines
Et qui sont de même et parfaite nature
Que ce simple feuillage
Et les herbes vivaces
Nous pensions à cet ami
Qui nous parlait de notre attache
À ce Pays
Et qui maintenant ne nous parlerait plus

  Le vent tombé
    Le jour en son plein
      Sembla vouloir s'arrêter là

Grand Cahier.098.Refonds.011.Contre-feux.11 {•••}


Nous disions encore hier...



Nous disions encore hier que le froid est une énorme loupe. Il reste bien, et nous l'aimons, le détestons, notre signe majeur. L'accoutumance viendra. Tremblent les peaux, la chair ! Nous nous sentons mais l'œil est clair. Laisserons-nous notre langue geler ? À toutes les auberges, on prendra pour offre les plaisirs du repos et, pour dissoudre la pierre, d'ardents alcools produits des meilleures pommes

Dans chaque maison les mêmes contingents de brutalité et de belle mesure. Le ciel a tourné, voilà tout. Aussi buvons à la sévérité du corps !

Grand Cahier.182.Refonds.011.Contre-feux.12 {•••}


Fumée s'élève



Est-ce moi peut-être est-ce un autre
On a rasé la niche rouge
Comme on bouscule un vieux gravier
Déjections miettes blancs tessons
Les oiseaux de l'hiver picorent
Et moi je me souviens de moi

Quel fouillis quel déséquilibre
C'est lieu banal en ce bocage
En ce village racorni
Ton air m'obsède mur fermé
Mur aux fenêtres dispersées
Maison de fausses proportions

Grand Cahier.301.Refonds.011.Contre-feux.14 {•••}


A perdu le goût...



A perdu le goût et demande
Quelqu'un pour jeter un peu de terre, un témoin de cet homme, du choix qu'il fit
D'oublier les étoiles
Et les nuits
Où la pleine lune emplie la nuit

Un dernier souvenir, quelqu'un pour se pencher au-dessus du trou qu'il a creusé et choisi au flanc d'une colline ocre et décharnée, un dernier geste venant de ceux qui restent
À cet être qu'il fut. Appuyé contre le mur, il a grimpé

Jusqu'à n'en plus pouvoir
Et n'a rien pu saisir aux barreaux de l'échelle
Qu'une poussière
De cerises

Marc Chagall
L'échelle de Jacob
(1976)

Grand Cahier.308.Refonds.011.Contre-feux.14 {•••}

A perdu le goût...


A perdu le goût et demande
Quelqu'un pour jeter un peu de terre, un témoin de cet homme, du choix qu'il fit
D'oublier les étoiles
Et les nuits
Où la pleine lune emplie la nuit

Un dernier souvenir, quelqu'un pour se pencher au-dessus du trou qu'il a creusé et choisi au flanc d'une colline ocre et décharnée, un dernier geste venant de ceux qui restent
À cet être qu'il fut. Appuyé contre le mur, il a grimpé

Jusqu'à n'en plus pouvoir
Et n'a rien pu saisir aux barreaux de l'échelle
Qu'une poussière
De cerises

Marc Chagall
L'échelle de Jacob
(1976)

Grand Cahier.308.Refonds.011.Contre-feux.14

Fumée s'élève


Est-ce moi peut-être est-ce un autre
On a rasé la niche rouge
Comme on bouscule un vieux gravier
Déjections miettes blancs tessons
Les oiseaux de l'hiver picorent
Et moi je me souviens de moi

Quel fouillis quel déséquilibre
C'est lieu banal en ce bocage
En ce village racorni
Ton air m'obsède mur fermé
Mur aux fenêtres dispersées
Maison de fausses proportions

Hélène Baumel
Fenêtre sur cour
(1988)

Grand Cahier.301.Refonds.011.Contre-feux.14

Nous disions encore hier...


Nous disions encore hier que le froid est une énorme loupe. Il reste bien, et nous l'aimons, le détestons, notre signe majeur. L'accoutumance viendra. Tremblent les peaux, la chair ! Nous nous sentons mais l'œil est clair. Laisserons-nous notre langue geler ? À toutes les auberges, on prendra pour offre les plaisirs du repos et, pour dissoudre la pierre, d'ardents alcools produits des meilleures pommes

Dans chaque maison les mêmes contingents de brutalité et de belle mesure. Le ciel a tourné, voilà tout. Aussi buvons à la sévérité du corps !

Bernard Remusat
Bégo
(1973)

Grand Cahier.182.Refonds.011.Contre-feux.12

Qu'aurions-nous pu dire ?


Sous les mêmes travaux la même vie lente
Unit les fermes du bocage
La route nous était familière
La ville au dos
Nous pensions à notre ami
À ses mots à saveur de chemins
Mots de nos joies et peines
Et qui sont de même et parfaite nature
Que ce simple feuillage
Et les herbes vivaces
Nous pensions à cet ami
Qui nous parlait de notre attache
À ce Pays
Et qui maintenant ne nous parlerait plus

  Le vent tombé
    Le jour en son plein
      Sembla vouloir s'arrêter là

Fabienne Ruault Lichet
Art postal
(2017)

Grand Cahier.098.Refonds.011.Contre-feux.11

La cloison


Une émeraude à son doigt, sa main
Légère, à peine posée
Sur le guéridon où trônent saintes les images
Elle dit ne pas savoir
Ne plus se souvenir
Mais la vie passe près d'elle et s'entête
Quelle pauvreté !
Le vieux parquet craque sous les petits pas
Tournera-t-elle longtemps encore
Parmi ses meubles de fonction ?
Il lui faudrait sortir, quitter cette cellule
Prendre l'air.
Une raie filtre à travers le rideau tiré
Vient caresser la main, la bague
Et la poussière.
Roger Marcel Limouse
Guéridon avec corbeille de fleurs
(1937)


Grand Cahier.198.Refonds.011.Contre-feux.10

La chambre


Le rire d'une fille emplit
la cour qui moisit
comme la chambre comme le lit

Les moineaux mangent les pierres.
L'orage est passé
du premier soir, l'éclair
qui t'empêcha de dormir

Par l'ultime carreau de la fenêtre
et que l'on ouvre,
l'arête du toit, les tuiles,
l'antenne tournée vers le ciel, ce peu
de ciel entre les murs,
ce ciel qui passe.

Le monde n'a pas d'esprit
Le silence de nouveau les larmes

Un étroit jardin de cardamine
est aquarium sans soleil

Georg Baselitz
Grosse Nacht
(2008-2010)

Grand Cahier.169.Refonds.011.Contre-feux.09

C'est d'un gris !


Je hais décidément
cette chambre exiguë,
l'opacité de ces quatre murs
bâtis en pierres de Caen,
de lourds moellons,
et qui boiraient toutes nos larmes
sans rendre un moindre éclat de jour,
un seul sureau.

Je hais ce buffet bas, massif
avec ses portes sombres,
ce buffet vide qui s'adosse au mur,
son marbre vert.

J'avais posé là pour orner,
un vase à col étroit
(tiges coupées, roses qui pourrissent)
mais il s'est brisé.

Les pétales tombés
sont de pâles caresses.
L'eau surie s'est répandue,
les couleurs ont passé.

Egon Schiele
Prunier, Pflaumenbaum
(1909)

Grand Cahier.197.Revolvie.NNN.L'univers de la chauffe.nn

Rien qui dépasse


Un souffle emporte la poussière d'un bout à l'autre de la rue. Les trottoirs désertés sont bouillis de soleil

Dimanche de juin aboie de solitude

Qui peut croire en cette fin de millénaire que quelque chose existe encore. La ville est un cache-misère de trop de mailles rabattues, la ville reproduit la ville et se ressemble, identique en chacun de ses points. On empile les fenêtres, on rallonge les heures. Je me penche au dehors,

et regarde par le biais, au défaut de l'enfilade,

inquiet de qui s'en va
Une silhouette indécise, dans une vague de chaleur, un homme qui veut fuir, et qui s'éloigne à disparaître

Maurits Cornelis Escher
Relativity, l'escalier infini
(1953)

Grand Cahier.335.Refonds.011.Contre-feux.06

Hier


Le froid m'a pris l'oreille et le thorax. Je ne vis plus que de pierres, quelques souvenirs au bout d'une terrasse étroite et reléguée vers le dernier étage. Gris moineau, ciel étamé

Il en ressort un bruit quand même, un cliquetis de secrétaire

En bas, le sol gronde, passe et repart. Les couleurs sont perdues quand la vie se resserre. Temps sensible brusqué de désirs avec un vol immense, inachevé comme toujours

Pierre Alechinsky
Sur les onze coups de midi
(1993)

Grand Cahier.328.Refonds.011.Contre-feux.05

Une réelle amie ?


L'amour avec fracas, dit-on jeté par la fenêtre, parti cla- quée la porte sur les doigts depuis muré. Plus de regards, et ne désire ni ne convoite puisqu'il n'est d'espoir

J'avance au long de corridors de pierres de rues régle- mentées. Tête neutre sable gris serrée de calculs parcimo- nieux. La vie sèche. D'une rage à vouloir souffler les vitres, péter le ciel en pile de savoirs

Clara Lieu
Chute : Émergence - 2
(2013)

Grand Cahier.322.Refonds.011.Contre-feux.04

Lorsque demain déchante...


Lorsque demain déchante

les jardins de travers sont en nombre. Ici s'étage. Une route débordée qui tire à l'amour jusqu'à ce clos, cet autre. Charbons éteints. Idées perdues. L'âge rompt les corps, les plie, les tord et l'âme aussi

...Et le feu s'éteindrait ? Mais trop de choses ont traversé, trop de gens sont venus et se sont éloignés. Les retenir, personne ne peut jamais, dire, le sait-on ? Ni rien commettre. Laissons là ces blessures. Quand cela serait que de revivre, rien de mieux !

Nous mangerons encore des fagots de vent

Sara Favriau
Où, prologue pour une chimère
(2017)

Grand Cahier.321.Refonds.011.Contre-feux.03

Fuir, où donc fuir...


Fuir, où donc fuir, l'ami Blaise
de Pevek à Butembo
dont ne fit la périégèse
ni toi, menteur ! ou Larbaud ?

 Car voilà des solitudes
la terre ronde et les trains
stoppés là de lassitude,
l'ombre à l'homme qui n'est rien

Zao Wou-Ki
Paysage au soleil
(1950)

Grand Cahier.260.Revolvie.NNN.L'univers de la chauffe.nn

Que dit la nuit...


Que dit la nuit
des feuilles mortes ?
L'année passée, celles d'avant
pourrissent au fossé. J'ai tant
d'amis perdus de toutes sortes

Que dit le jour ?
Que dit la forte amour des mots
qui va chassant de par le pré
L'arme du temps taille des ans
la chair à l'os

Cédric Le Corf
Souvenir de la villa Médicis
(2015)

Grand Cahier.266.Refonds.009.Contre-feux.01

Quand bien même...


Quand bien même n'y aurait-il en- core ouverte qu'une seule boutique en ce dimanche au coin retrait le plus dis- tant d'une banlieue il faudrait pousser la porte et demander à l'épicier la boîte d'allumettes qui mettra le feu

Craquer une allumette
IsoBlitz
(2010)

Grand Cahier.190.Refonds.011.Contre-feux.00

Syllabes

*


Un nouveau regard
s’anime et sur soi se replie
ouvre et libère
à l’intérieur une motion

d’un trait,
complète et dit
le verbe d’une chose –
d’un mot

Jean Fautrier
La Jolie Fille
(1944)

... Donner à jouir à l'esprit humain.

Non pas seulement donné à voir, donné à jouir au sens de la vue (de la vue de l'esprit), non ! donné à jouir à ce sens qui se place dans l'arrière-gorge : à égale distance de la bouche (de la langue) et des oreilles. Et qui est le sens de la formulation, du Verbe.

Ce qui sort de là a plus d'autorité que tout au monde : de là sortent la Loi et les Prophètes. Ce sens qui jouit plus encore quand on lit que quand on écoute (mais aussi quand on écoute), quand on récite (ou déclame), quand-on-pense-et-qu'on-l'écrit.

Le regard-de-telle-sorte-qu'on-le-parle

Francis Ponge - Sidi-Madani
My creativ method (1947-1948)

Grand Cahier.782.Refonds.010.Syllabes.00 {•••}


Nous ne savons penser...



Nous ne savons penser qu'avec des bouts de langue, à chacun de leurs termes, rongés par l'ombre et par l'oubli

Haies de papyrus accrochées dans les eaux troubles – faisceaux de tiges abritant tout un monde sauvage – triangles dénoués en thyrse de jeunesse –

Mainte fois battues, Jadis, sur la table mouillée, lamelles croisées que blanchit le soleil, vous receviez des hommes affairés la marque pour les siècles

Le halo d'une faible lanterne sur la rampe du fleuve s'avance. Ce n'est qu'une petite barque égyptienne, silencieuse dans la nuit, extrêmement étroite et fragile. Tous les mots qui précèdent ont sombré, lentilles d'eau qui s'écartent, insaisissables, fuyantes sans fin

Grand Cahier.160.Refonds.010.Syllabes.01 {•••}


Sans cesse



Que te disent l'os et l'écaille de la tortue piquetés par le feu, Prince, quelle est cette voix qui s’éveille par le travers des signes, aussi neuve que le jour renaissant à chaque fois de ses cendres ?

Le sens aux multiples visages, le même sens, qu'il s'accorde alors, tels ces chiffres sur le socle gravé d'une statue de la déesse dans les grottes d'améthyste

Aujourd'hui que rien failli ne peut plus rien retenir, le temps échappe à toute prise. Qu'est-ce donc là qui bat l'heure à n'en plus finir ? Comment pourrais-tu résister ?

Tiens ta langue, compte les syllabes, tu dois en ajuster précisément le rythme

Un homme peut bien mettre de l'ordre dans ses papiers : d'abord qu'il paye ses quittances ! vider les tiroirs, balayer devant sa porte. Il peut écrire un dernier mot avec de l'encre

Il aura préparé son départ. Les rails, la gare, là-bas la neige

Grand Cahier.147.Refonds.010.Syllabes.02 {•••}


À chaque fois...



À chaque fois que je m'approche, à chaque fois que je m'accoude
C’est le même plaisir immédiat, c’est la même douleur qui s’éveille
Accroché à l'écho d'une voix entendue dès l'enfance, une voix que je rêve, que j'entends, jeune et qui chante légère, ressentie le long du corps ensommeillé
À chaque fois, à chaque phrase déchiffrée, à chaque feuille agrafée de grand format sur le mur de crépi d'une chambre

C'était l'été, je ne me souviens plus des mots, j'en ai même oublié l'émotion. Elle est pourtant vivace, habillée de jachère, incompréhensible, elle venait de
L'oiseau le feurre
L'arme

Et depuis ce jour j'ai tâché de reproduire, dans les temps qui m'étaient impartis, les conditions de sa venue

Grand Cahier.406.Refonds.010.Syllabes.03 {•••}


Pister



Combien de chemins seulement sont invisibles. Ina- perçus, combien perdus malgré cela

Je peux suivre une trace obstinément
sans me tromper jusqu'à des berges de sable,
contourner le rocher rouge,
cueillir un coquillage, une tige d'eau verte.

Selon l'humeur,
poursuivre s'ils traversent
ou renoncer.

Je peux me retirer vers des lieux
aimant l'ombre où le silence repose,
fouler la mâche des feuillages,
débusquer de leur tanière de vieux soleils

Beaucoup de chemins où je vais sont invisibles. Aimés, tant désirés malgré cela

Grand Cahier.032.Refonds.010.Syllabes.04 {•••}


Celui qui s'en va, celui qui reste



De celui qui s'en va que dirai-je ?
S'il est parti, c'est pour trouver,
une chose ou l'autre, légère et dorée
à la manière d'un insecte,
une pince au cœur qui l'aura bousculé

C'est pour prendre le chemin roulant
de ses rêves. Il ira jusqu’au bout
malgré la douleur qui le taraude, il s’y rendra
quand bien même il boiterait.
Longue, incertaine est la route sous les talons

Mais pour celui qui reste s'impose,
la lutte et le maintien
avec l'arrière-plan des souvenirs assumés.
Le rabat du dedans,
le labeur qui macère

Et cet homme penché, attentionné
au rythme de la phrase,
de sa fenêtre où scintillent des lampes, aura toujours
entre des murs chargés de bleus, signes du soir
comme un goût de miel sur la langue

Grand Cahier.034.Refonds.010.Syllabes.05 {•••}


Recours au vent



Après que nous aurons jeté soudain l'hiver au feu les derniers fagots, pierre a gelé – griffes de glace, chandelle au nez, il ne restera que le froid qui heurte la porte par deux fois à hérisser la peau. Le sang se fige dans les veines. Recours au vent

Après que nous aurons l'été ratissé les champs plutôt jusqu'à midi les foins, en nage et fatigué, il ne restera que le soleil qui brûle et qui consume à laisser – de désespoir – tomber par deux fois le râteau. Plus une goutte de salive. Recours au vent

Grand Cahier.022.Refonds.010.Syllabes.06 {•••}


Chasseur en ce temps-là



Chaque matin, j'allais poser de frais délié, attentif à ce qui viendrait s'inscrire, blanches sur les pages de l'aube (grive jocasse ou merle noir parmi les vignes) appâtés par jeux de conséquences et miroirs, mes pièges, mes lacs garnis de gluau, mes rets ; j'allais mais, sans la ruse ça n’allait pas suffire, sans le brisement du silence, car j'imite et fascine d'un souffle au travers du corps, les tromperies d'un appeau ; la besace pleine, j’aurais voulu contenir le chant ! ce mot très haut perché, difficile à surprendre, j’aurais, mais ça n'était jamais ça – ça n'était que duvets dépenaillés, plumes cassées, chair sanglante, chairs tremblantes et chaudes, et à jamais la source ne pourrait l’épuiser. Irrassasié, déçu, le cœur insatisfait, j'allais, c'est sûr, de nouveau me lever tôt, à recommencer la chimère

Grand Cahier.398.Refonds.010.Syllabes.07 {•••}


Entre vaud et valais



De soigneuses plantations
de petites oranges vertes
et de fermes abricots,
tout leur être à n'être pas encore,
vives
enserrés dans la chaleur

J'ai soif et ne peux boire
qu'une eau de chaude réglisse
au fil de routes poussiéreuses,
je marche vers la plus extrême des fatigues

Franc-bord, alpes bernoises,
suivant le cours d'une calme rivière,
j'avise une grotte – à l'entrée
je paye mon écot,
le ticket poinçonné, j'admire

une fontaine figée, j'évite
une méduse de craie, j'enjambe
instable une rambarde –

Touche l'eau
Plat poisson nu sans yeux sous les spots

Grand Cahier.297.Refonds.010.Syllabes.08 {•••}


Si elles n'existaient pas...



Si elles n’existaient pas, il faudrait les inventer. Nous n'avons apporté qu'une substance mauvaise au moulin. Nous ne croyons plus comme autrefois les reconnaître en un regard, passé le seuil des larmes délicieuses. Nous voudrions, après avoir bien réfléchi et ressenti le poids de tout ce temps de silence et de solitude, trouver au bord des mots des choses très légères – des ombres qui filent sur la route, des fumées d'herbes près du talus, des bruits tranquilles, des grappes de fleurs minuscules et sucrées. Comme une voix qui vibre et qui s'apaise et qui s'accorde avec elles

(Nos pensées sont tristes et le songe est amer au cœur qui nous renverse)

Grand Cahier.403.Refonds.010.Syllabes.09 {•••}


Illipé



Pendant la saison des commencements
Des pâles fleurs des corolles, ses yeux
Sont éblouis de soleil. Du réel
Il ne distingue, ou du rêve ou du rien
Il est pressé d'arriver à lui-même
Il suffit d'un souffle léger de vent
Pour qu'il s'anime. Il ne veut pas le perdre
Le trésor, au poing serré de son être
Il va trop vite et parle obscurément

Cet arbre aux fruits n'est qu'ignorance
À la source des larmes qu'il apprenne

Grand Cahier.029.Refonds.010.Syllabes.10 {•••}


J'aurai beau faucher les prés...



J’aurai beau faucher les prés
Cueillir les pommes au pommier
Vertes, rien n’y fera
Le mur va s'écrouler

Ceci pour dire que la terre était belle
Mais qui donc nous retient ?
C’est merveille quand un œil va s’ouvrir
Il y a dieu dit-on, vieille idée
Le paysage s’ouvre et se repose
Mais je préfère ici rassembler quelques pierres
Pour peu de temps

Grand Cahier.061.Refonds.010.Syllabes.11 {•••}


Veille



Vienne la nuit dans sa froideur de reine, s'élargissent les murs

Une aile inverse frappe l'air, la lampe s'allume, blanche dans le bleu des tombes, des sommations infinies d'étoiles

Mais c’est bien elle, qui nous regarde à la fenêtre, nous retient dans l'ordre, et nous oriente

Vers ce point de suspension, lieu que nous aimons d'une géométrie austère

Il n'y a que peu de choses

Une chaise de paille brune, des vêtements d'hiver, le lit, une couverture en chaude laine, l'oreiller de fleurs de cachemire, un livre

Qui fut ouvert ou fut jeté

Grand Cahier.090.Refonds.010.Syllabes.12 {•••}


Oublieuse



Elle est proche parfois si familière, parfois lointaine éva- nouie de forme,

mais de beautés. Nous ne saurons ni ne pourrons jamais la suivre. Elle est toute oublieuse, elle est de ses avis

Laissons-la poursuivre son chemin, n’effrayons pas le silence, écoutons plutôt ce que nous disent les choses – Ne sont-elles pas d’une même innocence ?

Plus soluble qu’un morceau de sucre dans le café de la pensée. Avec des reflets gris argentés autour, anneaux accrochés l'un à l'autre comme rond de fumée

Quand nous disons, dans la foulée du nombre dans une rêverie sauvage, quand nous disons

vraiment selon de nos humeurs la pente, de nos couleurs affectives le penchant, avec l’expérience qui convient à notre âge,

que pourrions-nous espérer d’une rencontre au détour des allées ? si différente – elle qui fut, à jamais restée dans son indifférence

Grand Cahier.031.Refonds.010.Syllabes.13 {•••}


Retour en terre



L'heure est triste, en vérité. Il en est ainsi depuis tou- jours quand l'heure avance. N’être pas là, ne pas y être, n’être pas né serait bien mieux – en dernière extrémité

Mais depuis peu, je regarde et je sais, avec une roue dans le cœur qui commence à tourner, le lieu maintenant où nous sommes

Avant qu’elle ne revienne, il en faudra des cent, des mille et des mille à tourner autour de l'astre, tourner autour de ce point de lumière si paisible dans la nuit

Avant que l'herbe ne repousse, l'infime regain des mots qu’on a perdus, qu’on a oublié depuis longtemps, l'hélio- trope des mots qui ressortent des êtres

C’est ainsi que j'ai vécu, progressant parcourant cette disposition, depuis toujours dans l'obsession que j’en avais, sans aucune haine en vérité, lentement, jusqu’à ce qu’il soit l’heure

Grand Cahier.325.Refonds.010.Syllabes.14 {•••}


Peut-être un verre...



Peut-être un verre, une chaleur de rhum, la déception d'un souvenir toujours dysharmonique, peut-être suffit-il que la radio diffuse une musique

Le sable se creuse. Le sable s'anime d'un crabe, issu de nulle part une bête pour le moins curieuse, une chose articulée, et qui va de travers

Peut-être venait-il du lac, peut-être s'éveillait-il à l'exis- tence comme sèmes de l'eau, si calme si bleu qui, en d'au- tres circonstances eut déroulé une si naturelle gravitation

Grand Cahier.307.Refonds.010.Syllabes.15 {•••}


L'inutile



Écrit-on une chose une seule une fois

Le peu de choses qui nous tient à cœur, peut-être une motion perçue, autrefois entrevue sur un chemin des écoliers, qui va prendre une vie, et pour des années nous laisser désemparé sur le bord, affublé à chercher le nom. On affabule

Dès les premiers coups de vent le chapeau s'envole. Ces brindilles qu'on amasse ont-elles un sens ?

On dérange, on bouscule en vain, l'immensité réduite à rien, on se déplace. L'heure a passé. Il se fait tard. On est gagné par la fatigue, on étouffe à regret un dernier bâillement

« Allez petit, à quoi ça sert de se frotter les paupières ». On s'endort, il est temps

Grand Cahier.379.Refonds.010.Syllabes.16 {•••}


Depuis Lascaux



Marquée des fers des manganèses des couleurs premières, quand l’esprit réchampit de l’ombre – car vrai- semblablement il entend quelque chose – à bout de bras à pousser sa barque vers les abords du Signe

Tracées bien plus tard, dénotées quant à elles – les pattes d’oiseau dans la neige, écailles et coches divines sur les os – relèvent‑elles de l’invisible, d’un fonds de musique sur la mâche des jours ?

Grande est la matière, obscure est la prescience qu'il en a, l'homme grimpé depuis l'Indéchiffrable sur les parois des grottes du réel

Dès l’aube, un geste sans cesse à reprendre, un geste toujours à définir

Grand Cahier.487.Refonds.010.Syllabes.17 {•••}


La feuille



Qu'il soit prorogé dans le lit de l'air ou non, le chant de l'alouette est hors d'atteinte. C'est un souffle qui cligne là-haut

Penchés sur la feuille sans visage, disant les mots d’une voix blanche

Prenez, allez jusqu'à la ruine. Le piège est à placer dans les gorges du loup. Ses mâchoires vont se fermer

Sur ceux qui saignent, et ceux qui hurlent, ceux qui s'avancent en silence des roseaux et offrent prise aux vieux désirs

Aux ombres plus anciennes, les glissantes lumières du palus des morts, les hommes de chiffons

Penchés sur la feuille sans miroir, gageant leurs mots à fond perdu

Grand Cahier.408.Refonds.010.Syllabes.18 {•••}


Au fond des lacs bleus...



Au fond des lacs bleus du Groenland, une algue se nourrissait du fer de la poussière d'étoiles filantes

Et le temps passa. Le soleil de ce côté-ci reprit ses chemins défournés de lumière. On parla de nouveau. Il y avait eu l'immense durée du désert

Qui pouvait savoir ce que serait le dernier, du seul vent chanteur qui épouse la pierre au hameau abandonné, de quelle charge ?

Il fut léger, raya justement le ciel

Grand Cahier.324.Refonds.010.Syllabes.19 {•••}


Ça va aller où la poésie ?



Ça va aller où la poésie ? Enfin quoi ! les araignées trottinent. C'est une nuit d'été qui se termine, qui se termi- ne… Ma jambe glisse hors du lit

- Frais qu'il fait, ma belle, dors ! parmi les draps blancs, les draps bien chaud fourrés de rêves

J'ai la colline à gravir ; quelques arpents de terre où se perdre, malgré les cartes dépliées, les signes judicieux (laies, sentiers, layons aléatoires, points géodésiques, et la croix, et le cercle, et trois points d'une ruine .·. / PF / SP / CT / C / limites) sur projection conique
Conforme de Lambert

Mais j'y suis, je n'ai pas de regrets. Oui, ça va, rien n'est pareil !

Goudron velouté de givre. Un lapin va traverser la route. L'aube violette fuit craintive. En obliquant vers Soleil-Bœuf, on foule tassée la cendre

Ici, proche du ciel, d'un coup de couteau, libre enfin !

Le versant sud-oriental de la klippe de Soleil-Bœuf
vu du SE depuis le col de Combeau
(entre Grande et Petite Autane)

Grand Cahier.274.Refonds.010.Syllabes.20 {•••}

Articles les plus consultés


à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte