Haut & Bas


Un signe d'encre oiseleur
dénote l'infini

*

Ton pas s'en va dans l'ombre du feuillage
L'épouvante comme
un trait qui chante, aigu et noir
traverse tout le siècle
Le soleil est une cage de poussière
oiseleur, un feu de la mémoire
sur les talons du chemin

*

Entre les herbes, une eau de glace,
urgente, précisément
coupée dans la lumière
avec un fin limon d'os,
de graviers blancs,
une eau, peut-être la mère d'un fleuve,
délie ses longs doigts d'or


L'oiseleur

Quand l'oiseleur fut pris au piège
On entendit l'oiseau prier
Pour que l'homme fut libéré
Quand l'oiseleur en liberté
Eut saisi l'oiseau dans le piège
On entendit l'homme chanter
En tuant l'oiseau dans la neige

Maurice Carême


Grand Cahier.037.Refonds.006.Haut et Bas.00

L'oiseleur


Un signe d'encre, oiseleur
dénote l'infini
Ton pas s'en va dans l'ombre du feuillage
L'épouvante comme
un trait qui chante, aigu et noir
traverse tout le siècle
Le soleil est une cage de poussière
oiseleur, un feu de la mémoire
sur les talons du chemin
Charles Lapicque
Portraits II
l'oiseleur (1962)

Grand Cahier.030.Refonds.006.Haut et Bas.00

Printemps, cheval

*

Tuerie de shôgun



Bashô dans ses voyages, dignes d'un Grand Tour, avait jugé suffisamment raffiné son cheval qui urine et n'avait pas dédaigné lui écrire un haïku :

Tiques poux et puces,
À l’octroi pisse un cheval
Nuit à mon chevet

René Sieffert ne signifie pas l'endroit et traduit à minima ainsi :

Les puces et les poux
et le cheval qui urine
près de mon chevet

Nicolas Bouvier, autre voyageur plus explicite, fournit le lieu et le sens mais en dehors du texte et dit, Shitomae – barrière du pisseur :

Puces et poux mordait
La nuit j’entendais le cheval
Pisser auprès de mon chevet

Ce ramené dans la langue des noms célèbres apparaît bien impropre et pour nous, contraire par excès de pro- saïsme. Il convient d'y préférer la ramenée de l’histoire, Mais que pouvons-nous comprendre du nom cité de l'octroi – si nous ignorons la légende :

Aussi offrons un Requiem pour le petit frère qui sou- lagea sa vessie en cet endroit pourchassé par les guerriers de Yoshitsune

Grand Cahier.486.Refonds.005.Printemps, cheval.01 {•••}


Vers l'intérieur



Je ne l'ai jamais vu cette station de gare, reliée droite au monde par une voie unique, traversant les chaumes pourris de pluie des terres du nord‑ouest

Je n'ai pourtant pas oublié le vert assourdissant de la colline, avec une herbe grasse au sortir de la nuit – une herbe – avec le trèfle que j’aime dedans

… Les abords étaient encombrés de troncs équarris, couverts d'un tapis de sciure qui sent fort …

J'ai marché vers le bourg, incertain dans les âges. J'ai remonté la rue. Il y avait là des hommes portant sur l'épaule de grandes houes. De nombreux détails me disaient quelque chose :

L'épanchement des saules, en or et blanc, le parsemé des pâquerettes, une lessive aux couleurs intenses sur un fond d'herbe mouillée. Dans une grange, l'odeur des cornes brûlées, une sellerie où l'on teignait les cuirs

Et vers les collines, de lourds chevaux de plomb, des chevaux noirs tirant vers le bas le paysage, chacun hennissant comme un contre‑point – avec une herbe à la note profonde, absorbés par ce même trèfle

Grand Cahier.158.Refonds.005.Printemps, cheval.02 {•••}


Grand chien noir



S'il traversait chaque jour les grands herbages de la ville, c'est pour se rendre à son travail
... Ou bien venait y voir les déboulées de liberté d'un grand chien noir

Un voile persistait depuis des années devant ces yeux. Il s'étonnait : toutes ces masses plombées du ciel qui passaient, combien de fois passeraient-elles encore ?

Il arrivait aussi que cela s'anime autrement, comme une déchirure, avec des gouffres de vent. La foule alors se dispersait dans le saccage. Une boule blanche énorme s'en allait rebondir jusqu'au bord de la piste

Certains après-midi, il pouvait suivre au loin, crinière noir ployant sur l'encolure, les courses lissées d'un sulky emportait par le feu d'un pur-sang

L'hiver, l'eau glacée débordait les digues et s'endormait là pour un temps. Le médaillon du lac reflétait calme tout l'espace. L'air se figeait dans le bleu-gris. Il allait falloir attendre

Et puis il y aurait le retour du plus inespéré. Une même fuite verticale. Un toit par milliers de cerfs-volants. Happé vers le haut, par le vent, dans la plus belle exubérance des couleurs

Grand Cahier.338.Refonds.005.Printemps, cheval.03 {•••}


Fuir



Pour quelle raison se fiait-il à ces marques ? Jaunes, tracées à flanc de montagne de loin en loin sur le tronc d'un chêne. Le chemin qu'il s'obstinait à suivre s'avérait improbable. Lorsqu'il atteindrait la ligne des crêtes, pourrait-il trouver dans la paroi rocheuse un passage, une brèche lui donnant accès à l'autre côté ?
Il en doutait
Mais il continuait d'avancer, glissant sur la terre grasse, les feuilles mortes, la pierraille affleurant

Il ne voulait pas voir sur sa droite la grande horloge comtoise qui battait les minutes, ni, jeté sur les hauteurs, les grammes du soleil

Je ne crois pas qu'il fuyait, d'ailleurs peut-on fuir ! Le monde est étroit, instantanément atteignable aussi vaste soit-il et peuplé

Ce n'était pas là son premier départ. Il y avait eu d'autres parcours. Il connaissait bien ce pays, il y possédait quelques maigres arpents de bois dans une géographie complexe de ravins et de pâtures. Il se souvenait, comme en pointillé sur une carte, d'avoir gravi cette colline, enjambé ces barbelés, puis contourné le plateau d'en face pour redescendre par les combes, jusqu'au village demeuré in- visible ; quelques masures abandonnées, une route impra- ticable qui se fondait en un sentier de ronces, un semis de graviers

Il n'oubliait pas – proche, étrange, au détour d'un bosquet alors qu'il longeait un ruisseau frais sous le couvert – l'œil de biais d'un cheval blanc

Grand Cahier.337.Refonds.005.Printemps, cheval.04 {•••}


Cheval de coeur



Le pré, la mesure, le simple échange
Ou les propos qu'un homme tient
– Le vert est tendre –

Pour une femme si légère auprès de lui,

Le pré semé de boutons d'or
Sous les pas sans regrets foulés,
De pâquerettes qui vous disent
La variété du sentiment,
De trèfles aux courbes parfaites,

Le trèfle de la langue aux justes inflexions,

Ceci, les propos de l'amour,
Une femme qui rit et qui penche la tête,

Le pré, les ruades aussi,
Sont les pavanes du printemps

Vassily Kandinsky
Couple à cheval
(1907)

Grand Cahier.338.Refonds.005.Printemps, cheval.05 {•••}

Cheval de cœur


Le pré, la mesure, le simple échange
Ou les propos qu'un homme tient
– Le vert est tendre –

Pour une femme si légère auprès de lui,

Le pré semé de boutons d'or
Sous les pas sans regrets foulés,
De pâquerettes qui vous disent
La variété du sentiment,
De trèfles aux courbes parfaites,

Le trèfle de la langue aux justes inflexions,

Ceci, les propos de l'amour,
Une femme qui rit et qui penche la tête,

Le pré, les ruades aussi,
Sont les pavanes du printemps

Vassily Kandinsky
Couple à cheval
(1907)

Grand Cahier.196.Refonds.005.Printemps, cheval.05

Fuir


Pour quelle raison se fiait-il à ces marques ? Jaunes, tracées à flanc de montagne de loin en loin sur le tronc d'un chêne. Le chemin qu'il s'obstinait à suivre s'avérait improbable. Lorsqu'il atteindrait la ligne des crêtes, pourrait-il trouver dans la paroi rocheuse un passage, une brèche lui donnant accès à l'autre côté ?
Il en doutait
Mais il continuait d'avancer, glissant sur la terre grasse, les feuilles mortes, la pierraille affleurant

Il ne voulait pas voir sur sa droite la grande horloge comtoise qui battait les minutes, ni, jeté sur les hauteurs, les grammes du soleil

Je ne crois pas qu'il fuyait, d'ailleurs peut-on fuir ! Le monde est étroit, instantanément atteignable aussi vaste soit-il et peuplé

Ce n'était pas là son premier départ. Il y avait eu d'autres parcours. Il connaissait bien ce pays, il y possédait quelques maigres arpents de bois dans une géographie complexe de ravins et de pâtures. Il se souvenait, comme en pointillé sur une carte, d'avoir gravi cette colline, enjambé ces barbelés, puis contourné le plateau d'en face pour redescendre par les combes, jusqu'au village demeuré in- visible ; quelques masures abandonnées, une route impra- ticable qui se fondait en un sentier de ronces, un semis de graviers

Il n'oubliait pas – proche, étrange, au détour d'un bosquet alors qu'il longeait un ruisseau frais sous le couvert – l'œil de biais d'un cheval blanc

Paul Gauguin
Cheval blanc
(1898)

Grand Cahier.337.Refonds.004.Printemps, cheval.04

Météore


Avant que d'entrer tout de go par la fenêtre avec ces yeux de loutre vive, tes toques du vent, tes fourrures, laisse ! que je tourne la tête trop soudain
Le temps

Je te salue, sort incertain du soir qui sombre. La boîte a roulé du monde empli d'un bruit d'os

L'aurai-je aimé l'éblouissante eau bleue du ciel, solide sur les toits sonnant comme bille qui bondit, et tant, qu'aux pavois de la fête je te hisserai
Météore !

Albrecht Dürer
Melencolia I
(1514)

Grand Cahier.261.Refonds.003.Ighizan.12

Grand chien noir


S'il traversait chaque jour les grands herbages de la ville, c'est pour se rendre à son travail
... Ou bien venait y voir les déboulées de liberté d'un grand chien noir

Un voile persistait depuis des années devant ces yeux. Il s'étonnait : toutes ces masses plombées du ciel qui passaient, combien de fois passeraient-elles encore ?

Il arrivait aussi que cela s'anime autrement, comme une déchirure, avec des gouffres de vent. La foule alors se dispersait dans le saccage. Une boule blanche énorme s'en allait rebondir jusqu'au bord de la piste

Certains après-midi, il pouvait suivre au loin, crinière noir ployant sur l'encolure, les courses lissées d'un sulky emportait par le feu d'un pur-sang

L'hiver, l'eau glacée débordait les digues et s'endormait là pour un temps. Le médaillon du lac reflétait calme tout l'espace. L'air se figeait dans le bleu-gris. Il allait falloir attendre

Et puis il y aurait le retour du plus inespéré. Une même fuite verticale. Un toit par milliers de cerfs-volants. Happé vers le haut, par le vent, dans la plus belle exubérance des couleurs

Raoul Dufy
Le champ de courses, Ascot
(1937)

Grand Cahier.338.Refonds.004.Printemps, cheval.03

Vers l'intérieur


Je ne l'ai jamais vu cette station de gare, reliée droite au monde par une voie unique, traversant les chaumes pourris de pluie des terres du nord‑ouest

Je n'ai pourtant pas oublié le vert assourdissant de la colline, avec une herbe grasse au sortir de la nuit – une herbe – avec le trèfle que j’aime dedans

… Les abords étaient encombrés de troncs équarris, couverts d'un tapis de sciure qui sent fort …

J'ai marché vers le bourg, incertain dans les âges. J'ai remonté la rue. Il y avait là des hommes portant sur l'épaule de grandes houes. De nombreux détails me disaient quelque chose :

L'épanchement des saules, en or et blanc, le parsemé des pâquerettes, une lessive aux couleurs intenses sur un fond d'herbe mouillée. Dans une grange, l'odeur des cornes brûlées, une sellerie où l'on teignait les cuirs

Et vers les collines, de lourds chevaux de plomb, des chevaux noirs tirant vers le bas le paysage, chacun hennissant comme un contre‑point – avec une herbe à la note profonde, absorbés par ce même trèfle

Franz Marc
Pferde in Landschaft - Chevaux dans le paysage
(~1911)

Grand Cahier.158.Refonds.004.Printemps, cheval.02

Tuerie de shôgun



Bashô dans ses voyages, dignes d'un Grand Tour, avait jugé suffisamment raffiné son cheval qui urine et n'avait pas dédaigné lui écrire un haïku :

Tiques poux et puces,
À l’octroi pisse un cheval
Nuit à mon chevet

René Sieffert ne signifie pas l'endroit et traduit à minima ainsi :

Les puces et les poux
et le cheval qui urine
près de mon chevet

Nicolas Bouvier, autre voyageur plus explicite, fournit le lieu et le sens mais en dehors du texte et dit, Shitomae – barrière du pisseur :

Puces et poux mordait
La nuit j’entendais le cheval
Pisser auprès de mon chevet

Ce ramené dans la langue des noms célèbres apparaît bien impropre et pour nous, contraire par excès de pro- saïsme. Il convient d'y préférer la ramenée de l’histoire, Mais que pouvons-nous comprendre du nom cité de l'octroi – si nous ignorons la légende :

Aussi offrons un Requiem pour le petit frère qui sou- lagea sa vessie en cet endroit pourchassé par les guerriers de Yoshitsune

Katsushika Hokusai
Portrait de Matsuo Bashō
(~1830-1944)


Grand Cahier.486.Refonds.004.Printemps, cheval.01

Intensités

*

Die Sonnenblumen

Ihr goldenen Sonnenblumen,
Innig zum Sterben geneigt,
Ihr demutsvollen Schwestern
In solcher Stille
Endet Helians Jahr
Gebirgiger Kühle.
...

Les tournesols

Ô tournesols dorés,
Avec ferveur, prêt à mourir,
Ô très humble sœur
Dans un tel silence
Prend fin l'année d'Hélian
D'un froid de cimes
...


Je me souviens...


1.
Je me souviens que nous allions,
l’un à côté de l’autre nous cacher vers les hauts, dans la touffeur des combles

Brûlante venait la soif,
comme les griffes du Tigre sur une peau tendue, comme une poussière
d'Egypte dans les rayons du sel

L'ascenseur tirait à l'infini les corps patients ; je me souviens que nous mourrions,

que la faim nous prenait aux claires-voies du désir. Chairs tuméfiées sur les parpaings du temps

Grand Cahier.052.Refonds.004.Intensités.01 {•••}


On plie le corps...


2.
On plie le corps contre un bois de charpente
On blesse le cœur qui cogne trop vite
La peau va s'érafler. Une écharde,
un peu de sang va pénétrer dans la poussière
La bouche se ferme et s’ouvre, on halète
C'est à se mordre la langue

La guerre va s'aggraver malgré les larmes

Les faims et les soifs,
elles vont grossir, elles vont enfler encore
Les ballons couleur de soleil vont éclater,
vont se crever
Qu'il rie, ou qu'il acclame,
qu'il mette à sac tous les édits !

La barre du jardin a versé où l'ortie foisonne

Grand Cahier.053.Refonds.004.Intensités.02 {•••}


Roche des Rames


3.
Aspiré par le dehors

je descends la roche des Rames
que la bruyère
recouvre, traverse la rivière et,

saisi par l'inutile énervement du jeu,
les bras battants, me précipite
sous les hêtres d'un versant troué

Combien de secondes
va‑t‑il falloir attendre
avant le ploc dans le gouffre sans fond ?

Je tire au pistolet de poing,
incohérentes et mortelles
trois balles qui sifflent dans l'air

L'une d'entre elles
abat dans un éclat de lumière
un triste pluvier. Bourre

de plumes que l'eau de la cascade emporte

Grand Cahier.054.Refonds.004.Intensités.03 {•••}


Roberto Matta
The Unthinkable
(1957)

Intensité


3.
Aspiré par le dehors

je descends la roche des Rames
que la bruyère
recouvre, traverse la rivière et,

saisi par l'inutile énervement du jeu,
les bras battants, me précipite
sous les hêtres d'un versant troué.

Combien de secondes
va‑t‑il falloir attendre
avant le ploc dans le gouffre sans fond ?

Je tire au pistolet de poing,
incohérentes et mortelles
trois balles qui sifflent dans l'air.

L'une d'entre elles
abat dans un éclat de lumière
un triste pluvier. Bourre

de plumes que l'eau de la cascade emporte

Roberto Matta
Fragment de Watchman, What of the Night ?
(1968)

Grand Cahier.054.Refonds.004.Intensité.03

Intensité


2.
On plie le corps contre un bois de charpente.
On blesse le cœur qui cogne trop vite.
La peau va s'érafler. Une écharde,
un peu de sang va pénétrer dans la poussière.
La bouche se ferme et s’ouvre, on halète.
C'est à se mordre la langue

La guerre va s'aggraver malgré les larmes

Les faims et les soifs,
elles vont grossir, elles vont enfler encore.
Les ballons couleur de soleil vont éclater,
vont se crever.
Qu'il rie, ou qu'il acclame,
qu'il mette à sac tous les édits !

La barre du jardin a versé où l'ortie foisonne

Roberto Matta
The Unthinkable
(1957)

Grand Cahier.053.Refonds.004.Intensité.02

Intensité


1.
Je me souviens que nous allions,
l’un à côté de l’autre nous cacher vers les hauts, dans la touffeur des combles.

Brûlante venait la soif,
comme les griffes du Tigre sur une peau tendue, comme une poussière
d'Egypte dans les rayons du sel

L'ascenseur tirait à l'infini les corps patients ; je me souviens que nous mourrions,

que la faim nous prenait aux claires-voies du désir. Chairs tuméfiées sur les parpaings du temps

Roberto Matta
S'unir par les plaisirs
(1982)

Grand Cahier.052.Refonds.004.Intensité.01

Ighizan

*

Chien rouge,


Chien qui se mord, fauve qui grogne, folie tournante que le poil d'une idée raidit, touffes de pensées que la rage reborde

Je plains ta vie restreinte à son grillage de rosiers

Chien mordre
Chien d'avril perdu
Chien réel dans sa fiente
Chien qui happe et qui se blesse, chien
Sans issue

Ton maître dit qu'il t'aime, qu'il te laisse croupir là pour ton bien. D'ailleurs cela suffit n'est-ce pas, où irais‑tu courir, vers quels espaces libres de la cour ?

Tourne, ton maître te nourrit, tourne, ton maître t’apaise, d’un peu de sa parole, des lippées de ses franches. Il t'aime, dit-il. Il t'aime...
Franz Marc
Der rote Hund
(1911)


Grand Cahier.110.Refonds.003.Ighizan.01 {•••}


Le bois de sa tête...



Le bois de sa tête, après des siècles, penche. Casque de biais, cuirasse faussée, fils dormants. L'épée tombe des mains, la rondache inutile. Clouée, les bras ballants, toute de cuivre, la marionnette sicilienne, comme déhanché sca- rabée dans le jour vert

Des ruines d'Agrigente, l'un sur l'autre versés, deux cha- piteaux mêlent à l'acanthe un fouillis de lierre. Une sauge rutile. A propos de légende, la lucarne s'enflamme

Jusqu’à disparaître pour nos yeux lisons les pages d’histoires et de féeries, le toit sera le dernier carré d'om- bres. Sommeil sur des coussins de laine, rouges et bleus de mille nuits

Grand Cahier.269.Refonds.003.Ighizan.02 {•••}


Il court...



Il court –
il court au travers des champs
d’herbes mauvaises,
remués de vents et de soleils d'après‑midi –
hurlements de cristal, rayures
dans toute l'étendue
du bleu

Ighizan souffre,
Ighizan pleure au pied de l'arbre.
Sa fuite est improbable,
vers où pourrait-il fuir ?
Il pleure.
Les cercles du ciel
doucement s'engrènent

– Passe la tête et vois
le très grand vide,
animent les astres,
détache une pomme Ighizan.
Aussi longtemps qu'il le faudra, ouvre
une blancheur.
Géomètre puisque tu sais,
aux environs du cœur, donne-nous
l'exacte mesure

Grand Cahier.109.Refonds.003.Ighizan.03 {•••}


Ighizan en ces lieux...



Ighizan en ces lieux songe.
Il pose un genou,
son corps se délasse,
au point noué d'un tapis de Tunis.

Une musique tourne, fait la roue,
s'y mêle une tristesse et le désir
qui va, qui s'agrandit.
Sa tête d'aube libère
une envolée de merles blancs

Dans le grenier, parmi
les feuillets de pluie, les feuillets
de soleil, roi vêtu d’encre et de papier
chaque jour, Ighizan resonge.

Nul ne sait jusqu'où il s'en ira,
nul ne sait s'il franchira.
Grossi de menaces,
tout le ciel se prépare.
Un fin cheveu noir borne sa tombe

Grand Cahier.108.Refonds.003.Ighizan.04 {•••}


Une fois



Une fois, tu perdis le sens, tu perdis la vue – Ighizan. Méconnaître expose au pire.

Une fois
le ciel se déchira. Tu voulus t’enfuir pour oublier – courir jusqu’à en perdre le souffle, par-delà les haies jusqu’au bout, jusqu’au pied de cet arbre isolé

Tu levas les yeux Ighizan et, ce que tu vis ce fut, de la douleur la parfaite figure. Car d’elle aussi
tu reçus consolation !

Le métal argenté d'une aile se déploya, les miroirs de son vol sur les champs dévastés. Comme un feu d'herbes piétinées, effacé d’un seul coup par une salve trop violente

Une fenêtre s'ouvrit au jour
Et déclina…

Son cri est un cri d'astres morts

Tu l'écoutes dans les jardins perdus de mai, sur les sentiers qui sont des rêves bleus dans l'âme

Grand Cahier.151.Refonds.003.Ighizan.05 {•••}


Dès qu'il eut ouvert les yeux...



Dès qu'il eut ouvert les yeux, Ighizan au cœur d'hélian- the se sentit abandonné. Il s'arrêta sur le seuil, refusa le cours des jours, ne voulut pas donner suite à sa vie. Seul au monde, plus aucun mot dès lors ne sortit de sa bouche

Et pourquoi donc alors – critique et physiologue – avoir aimé si fortement ?

Les étoiles tombèrent, figues vertes, ou gouttes d’or sous les rafales du vent. Le ciel se déroula, dans la rue, les ruisseaux charrièrent une eau de glace. La flamme bleue de son esprit fut ardente douleur au long des murs gris de la ville

Chacun de ses pas foulait d'étranges fleurs, les parfums vieux, des sons lointains naissant, le monde se nomma

Près des toits calmes qui verdirent, parut, battante l'aile et solitaire, la forme rouge d'un corbeau. Son cri âpre creva les airs légers où rien ne bouge

Grand Cahier.161.Refonds.003.Ighizan.06 {•••}


Silhouette



Tu marchais depuis longtemps sous le feuillage, des boues fagnardes collées à tes souliers. Ighizan. Le sol gelé se délitait de tous côtés – sanglantes zébrures de glace, inventions de signes sans comprendre – ce n'était plus qu’un ciel de grisaille. Chaque rideau de branches, de ronces était une souffrance, raies de flammes dans ta chair

Mais tu marchais, peut-être hésitant revenant parfois sur tes pas mais tu marchais

Tes yeux peu à peu s'habituèrent à l'ombre ; ton corps se fit indifférent au froid moussu, à l'humidité qui imprégnait tes vêtements ; ton sang devint plus vif

Enfin arriva le jour où

Toi, bête sombre couverte de lichens, de larves et de toute cette moisissure, toi la bête pouilleuse, tu vis briller la harpe des hauts arbres

Le chant des oiseaux fut un autre chant, aux notes stridentes, aux gouttes de lumière

Tu entras dans la chaleur, dans cette blancheur qui mit un essaim d'abeilles dans ta tête

Ta tête sonnante du jour

Grand Cahier.129.Refonds.003.Ighizan.07 {•••}


Grenier blanc



Le toit, sa pente double tournée, (est-ce un torse, une barque dormante au puits du ciel ?) le toit s'adosse à la colline, grenier blanc

Renversé dans le jour dans les profondeurs de l’azur dans les cercles alentour entr’ouverts, il repose avec l'ardoise de ses mots

De sa bouche lentement s'exhale un souffle

Une musique l’environne, une musique l’emporte, c’est une eau ressurgi du côté de la source. Il est ailleurs, il écoute. Le temps mesuré va remplir tout l'espace

Il a vu – comme un défi lancé aux lois de la pesanteur et de l'optique, des étages de livres sous le verre, des mondes sans y croire, des fragments de paroles étrangères – il a vu de ses yeux des éclats de lumière traverser la distance, se refléter dans une forêt de lierre et de lilas

Le clavier des couleurs sur la toile est plus nuancé, fait plus danser l'âme que l'air

Tapis de rouges tissé où se pose le pas, laine des margelles de pierre, feuillets de mille nuits

Il cache son visage au creux d'épais coussins. Le jour par la lucarne décline avec lenteur

Grand Cahier.168.Refonds.003.Ighizan.08 {•••}


Sous des ciels froids et bleus...



Sous des ciels froids et bleus par les chemins de chaque jour, un homme à la marche cassée comme une marionnette allait sans trop savoir

Voulait-il fuir,
sentait-il à l'intérieur
une inquiétude,

s'évader d'une douleur
par la poussée de quelque excès ?

Homme grimpé sur son échafaudage d'os, que ton reflet se brise ! Corps de chiffons qui se déchire en ses éclats de glace

Au bout du fil une pensée, un fond de musique peut-être

Grand Cahier.329.Refonds.003.Ighizan.09 {•••}


C'est une fin du jour...



C'est une fin du jour. L'ombre de l'ami s'éloigne. Tu restes, visage blême sur le seuil gelé de la porte

Ce sont tristesse et larme d'or comme pointe une étoile. Éternité, la nuit revient. Tu tournes le pas, la porte au jardin calme se ferme
Dans la maison nocturne la vitre a fleuri. Qui s'ap-proche ? Toutes les boiseries craquent, les planchers vernis

Sur le carreau du poêle en faïence blanc ourlé de bleu le corps se tasse. La marche brûlante et le froid qui pénètre les chambres font trembler jusqu'aux os

Grand Cahier.136.Refonds.003.Ighizan.10 {•••}


Barque étoilée



Une rivière de fleurs secrètes coule dans sa main
Dans son cœur qui bat
Le monde se tait. Il traverse la ville
Ses yeux rougis ont vu le jour
Sonnant, contre le talus peuplé de visages morts
Ses deux sœurs, soleil et nuit, l'accompagnent
O douloureuse pierre !
Ce que l'une détruit, l'autre le sauve
Là-bas veille un tendre amour
Il s'arrête devant la porte, la maison de verre
S'inclinant
Il trace dans le chemin une ligne et le mot
Phénix
Comme il franchissait d'un pas
Lointaine, une chambre bleue fut prise de flammes


Grand Cahier.137.Refonds.003.Ighizan.11 {•••}


Météore



Avant que d'entrer tout de go par la fenêtre avec ces yeux de loutre vive, tes toques du vent, tes fourrures, laisse ! que je tourne la tête trop soudain
Le temps

Je te salue, sort incertain du soir qui sombre. La boîte a roulé du monde empli d'un bruit d'os

L'aurai-je aimé l'éblouissante eau bleue du ciel, solide sur les toits sonnant comme bille qui bondit, et tant, qu'aux pavois de la fête je te hisserai
Météore !

Grand Cahier.261.Refonds.003.Ighizan.12 {•••}


L'offrande n'a pas de fin...



L'offrande n'a pas de fin, elle abrite en elle une pulpe divine

Voici des attiers, des bibaciers, des goyaviers qui pous- sent à hauteur de l'amandier en plein vent

Ces fruits verts de la grosseur d'une poire sont des plants d'Amérique, on les sert comme les figues, en hors-d'œuvre, on les offre au dessert, non pour les manger salés mais pour en faire une pâte crémeuse, la mêlant de sucre et de jus de citron galet

Que doit-on préférer la crème de la zatte ou l’avocat ? Une datte de Saint-Paul, ou bonne et lourde une mangue de la partie du vent ?

Les yeux sont une pulpe candide au supplice

Paul Gauguin
Nature morte avec des mangues
(1893)

Grand Cahier.142.Refonds.003.Ighizan.13 {•••}

L'offrande n'a pas de fin...


L'offrande n'a pas de fin, elle abrite en elle une pulpe divine

Voici des attiers, des bibaciers, des goyaviers qui pous- sent à hauteur de l'amandier en plein vent

Ces fruits verts de la grosseur d'une poire sont des plants d'Amérique, on les sert comme les figues, en hors-d'œuvre, on les offre au dessert, non pour les manger salés mais pour en faire une pâte crémeuse, la mêlant de sucre et de jus de citron galet

Que doit-on préférer la crème de la zatte ou l’avocat ? Une datte de Saint-Paul, ou bonne et lourde une mangue de la partie du vent ?

Les yeux sont une pulpe candide au supplice

Paul Gauguin
Nature morte avec des mangues
(1893)

Grand Cahier.142.Refonds.003.Ighizan.12

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte