Chemin, l’écheveau du chemin se dévide vers la gauche, inaperçu parmi la poudre des rochers, des écailles anguleuses hérissées de touffes de pins sauvages, une forme peut-être et vague un rêve de dragon dans la brume
De biais l'emprunte un homme que suit le plus petit des hommes son portefaix
Au détour d'une paroi de papier (elle s’évanouit de blancheur, la tête fière) la quille d'un village surgit dans le clairsemé des baumes, le désordre des nuées
Est-ce un casque, des bois râcheux de guerrier qui s'avancent, des toits peints de sang courbés comme des sabres ?
Terrés de frayeurs dans leur nid de chaumes et de branches, les hommes disparaissent, ne se voient plus ; rien ne se voit plus que la peur
Les buissons crissent d'aragnes. Le pinceau a tracé dans le ciel déchiqueté d'orages, tout un jeu de plans effondrés involontaires, de plis dans l'air, d'œils‑de‑kami, de froissements
Sous les arbres noircis qui l'ombragent, le chemin, c'est aussi parfois la fraîcheur du ruisseau, le lait d'un serpent dans les anfractuosités de la terre, un enfant, un vieillard aux longues manches traversant le pont de pierres
C’est une rampe qui s'incline, un rideau qui coulisse et qui s'ouvre, une autre vue, des branches qui percent à même la roche fleurie. Le damier des joncs envahissant l'espace des eaux plates
Jusqu'aux mâts détourés, jusqu’à ces quelques pavillons frais badigeonnés ; les hommes s'affairent, marchandent sous l'auvent ; une barque se perd dans les vapeurs du lac
Huang Gongwang Habiter dans les monts Fuchun (Yuan, 1347-1350) |
Grand Cahier.123.Refonds.001.Solitudes.11
Les portefaix se lassent
et leurs bras abandonnent les fardeaux
balots de jour ficelés dans de mauvaises toiles à matelas
Les quais s'étirent
et ce sont de longues dalles de hantise
pavés-fantômes
dont chaque aspérité est le souvenir d'un os
Michel Leiris
Savannah, Haut mal (1943)
et leurs bras abandonnent les fardeaux
balots de jour ficelés dans de mauvaises toiles à matelas
Les quais s'étirent
et ce sont de longues dalles de hantise
pavés-fantômes
dont chaque aspérité est le souvenir d'un os
Michel Leiris
Savannah, Haut mal (1943)