Maison de verre

*


Inventaire



La chambre, elle est bleue
même le plafond où ne pend aucun lustre

Sur le plancher, les étagères et le bureau s'empilent des livres, un désordre de livres

On orne les murs de cartes lunaires, de photos de Koudelka ou d'icônes, cela pour tromper le vide bleu par des ocres et des rouges

Près de la fenêtre, un diagramme – labyrinthe d'esca- liers inachevés avec le M et la flèche

Une caisse de munitions portant une lampe, le lit (sa couverture en chaude laine), le tiroir de l’office

où l'on trouve des âmes / innombrables et mortes, mais qui scintillent / encore...

le mur d'en face et la vitre peinte
Tous aux couleurs de l'orange et du soleil

Avec les disques vinyles et la veste noire, il ne resterait plus rien à dire que ces quelques mots inscrits, tapés à la machine sur des feuilles blanches
et fichés par le travers !

Benoit Vinadelle
Folie ou démence d'après Victor Hugo (les chants du crépuscule)
(~2016)

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Maison de verre



24 fois 40 blocs carrelés. Et encore 24 fois 80 morceaux de verre et plus, scellés dans l'acier

Comme une lanterne japonaise qui flotte dans l'espace, comme une membrane translucide inondée par le soleil, la lune et les étoiles

Une double échelle jaune de flammes soudain l'éveille

Rouge est la signature dans le métal

Machine à vivre
aux yeux de tous. Machinerie de théâtre
pour se mettre en scène, beau navire
de l'âme.

Contre les parois de glace des vannes ouvrent les feux à la cantonade. Étages sur pilotis où le spectacle se déroule

La maison est un décor de verre... de verre et de bron- ze. La maison est rubis de neige où fleurit l'arbre

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Le bouleau



Il y avait autrefois une porte vitrée avec de grands carreaux de verre de couleurs différentes garnissant le châssis. Cette porte donnait sur une courette endormie dans la noirceur des pierres

Il y avait un bouleau blanc, pas plus gros que le doigt d'un enfant, et six feuilles

Passant la porte un soleil léger cligna de l'œil. Il y avait ronde et vernie une table, un jambon qui venait de Colmar, des raisins minuscules

Un orage annonça une brusque lumière, une eau vive sur les feuilles (très petites les feuilles) quelques gouttes tombèrent. Il y avait les légumes et les fruits du jardin, le bourdonnement des guêpes, et le chat qui s’ébroue et s’enfuit

Toutes les choses s'arrêtèrent, immobiles. Le bouleau se noya. On pouvait apercevoir encore dans ce cageot de nuit le peu d'écailles blanches et de vie qu'il avait

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Il n'y aura pas d'arrêt



La tempête d'hier s'est calmée. Il a plu. Le ciel est gris, l'eau glacée. Le froid, l'humidité

Traversent la maison. Sur les murs, on a collé de longues laisses de papier couleur de soleil mais rien n'y fait. Les meubles sont trop vieux et tristes, usés. Depuis mon enfance, je les vois et les vois s'écrouler

« Précipité lent » dit le chimiste, c'est le temps

Issues de la cage d'escalier, quelques notes pointues persistent ; la radio joue un air de piano qui s'ajoute

Aux battements métalliques du réveil. Le grand verre à musique but d'un trait : plus de coups de marteau, plus de clous dans ma tête

Je m'assois sur le parquet. Ma veste posée sur le dossier de la chaise est mouillée. J'ai marché tout à l'heure dans la rue sans le moindre but. Je me tasse dans un coin, il faudrait oublier

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L'oubli



De ce ressaut,
je ne vois qu’une eau grise, une eau d’acier d’un seul tenant qui s’écoule entre moi-même et la ville industrieuse

il y a cette improbable conjugaison des termes
et le temps qui passe
l’eau d’une rivière entraînant les herbiers, une eau qui reflue délivrant des remords

Alors je me souviens d’une cité austère
bâtie dans les granits

– le corps de garde la mer
qui donne ce goût d’algues, une soupe épaisse et douce...

les grands espaces de pierre,
le vent, l’ombre des tourelles
s’étendant sur les remparts.

De la falaise au loin,
les miettes d’un pain noir, jetées là pour longtemps

Il y eut quelques mots d’échange, et rien de plus.
Ailleurs un peu plus tard,
une main d’herbe
comme un signe d’océan

Le temps poursuit sa route, les choses vont mûrir, les choses vont s’enfuir encore
puis s’oublieront

Grand Cahier.088.Révolvie.031.Maison de verre.05 {•••}


Un lacet puis un autre



La route déboule sous les roues, les pneus chuintent

De la route émane
une forte odeur de bitume – épaisse chauffe ainsi que laisse, et charbonneuse dans l'été

Un lacet puis un autre

Poudres et plombs m'assomment, je sue, je m'épou-mone. D'autant j'aspire
l'air sec et soleilleux d'une Provence griffée de végé- taux. L'immensité, droit devant stridule

comme un tonneau de cigales

Si l'on se fie à ce qu'indique la pancarte,
on devrait bientôt voir, se desséchant, au détour du pro- chain talus,

un olivier millénaire, le gris de ses bois confondu avec la roche

Grand Cahier.310.Révolvie.031.Maison de verre.06 {•••}


Dièse



Variation des prés par la baie du soir
Sous la nuée couvent les toits
D'un village brun

– Le jour connaît sa faute

Rouges les laines dans la salle éteinte,
Au creux du foyer brûle en vain
La braise qui varie

– La nuit ouvre le ciel

Grand Cahier.017.Révolvie.031.Maison de verre.07 {•••}


Sainte-Colombe



Une fois un père un homme
D’une époque très austère
Au baroque XVIIème
Irrégulier et fleuri
À l’insu des bords de Saône,
(d’une viole épris) voulut

Y ajouter une corde
Septième – une tessiture
Ajouter d'argent – un homme
Dans les branches d'un murier
Là voulut construire

son nid

Grand Cahier.471.Révolvie.031.Maison de verre.08 {•••}


L'espérance au jardin s’éternise



Sur le couvert des ardoises qui s'incline,
On entend la griffe d’un oiseau de neige.
Les corbeaux d’hiver accentuent le contraste,

Leur livrée triste s’agace au bord du toit.
Une cheminée fume. Dans le foyer
Vont crépiter pour un temps quelques brindilles,

Rendre les flammes d’un été excessif

Les bois de l’hiver ont noirci les chemins,
Les chemins ébouriffés et creusés d'ombres.
Sur la gouttière la neige tourbillonne.

Un souffle très léger de plumes se pose.
Par la lucarne se profile les arbres
Ou la clôture du jardin. La barrière

S'ouvre sur un ciel plus sombre encore

Grand Cahier.042.Révolvie.031.Maison de verre.10 {•••}


As paredes



Que disais-tu Miguel en ta légende
Qu'y avait-il auprès de ce pommier
une route une rivière un muret ?

C’est un lieu de conflit un lieu fermé
qui nous sépare et nous enclos. La dent
fait mal. Croque la pomme à pleines dents

Devant le monde au regard exposée
cette motte de terre est véritable
L'étoile des pépins guettée des merles

d’un jet retombe entre les doigts de l'herbe
Que disais-tu de ce mur protègeant
des vents d’avril, empêchant les enfants

d’y venir, et quels trésors pouvait-il
recelés ? Un orage de septembre
nous le dira peut-être ? Et va chanter

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La souricière



Il est de ces lieux clairs modernes décorés d'une netteté clinique high-tech. Voyez cette maison par exemple, elle est du quartier Demi Lune. Ouvert le sas, franchit l'entrée de glace avivée de jaunes tubulures

Vous montez quelques marches que recouvre un dallage de grès – une pierre de texture très serrée, non gélive, dans les tons beiges ; et vous voilà assis, assis dans une salle obscure

La mise en scène au cours métrage est peu prolixe

À voir : le village natal de Saint-Vigor-des-Mézerets, l'établi de l'ébéniste. Une gouache, un copeau de chêne, l'immensité de l'océan. Un personnage solitaire qui marche sur la crête ou bien qui s'accroupit près des nuages

C'est un canard sur lequel la pluie tombe en vain

En résumé le fait du peintre à son travail, ses moments familiers, ses quelques chaises

Vous le verrez au détour d'un couloir, sur les murs de l'expo, en reflets vidéo. Le piège est propre. L'artiste se penche, silencieux et discret. Ignorant les signaux, contour- nant les barrières, il observe une effigie de bleus et de rouges qui sont des anthracites

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À l'abandon



Qu’il me soit donné un jour de revivre
Dans cette maison couverte de lierres
Avec son jardin tranquille et désert
Envahi depuis longtemps d'herbes hautes

Retiré qu’il me soit donné de vivre
Seul un soir au bonheur des volets clos
N’attendant plus personne seul en songe
Harcelé de piailleurs catastrophiques

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Barrage



C’est d’un seul tenant,
– lisse est l'eau le long de la rivière –
on y blanchissait des lins

C’est une eau qui s’avance en masse où les rames plongent en silence

Nous avons lutté / contre les courants nous avons espéré / des berges du matin jusqu’aux derniers rivages
Nos efforts, les mouvements de nos deux bras
ne se sont arrêtés qu’à l’épuisement, à
l’arrivée de la nuit

Le barrage est un écran de brume qui scintille comme un feu de rampe sur la scène devant nous

comme un théâtre végétal et mortel

Il reste encore une écluse à passer dans le vacarme des eaux bleues. Les berges qui parfois se rapprochent sont enchevêtrées de chant d'oiseaux

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Renoncement



Vous atteindre mes provinces belles c’est vous perdre. Et tout pays me conviendra, qu’il soit natal ou non
si pour un temps j’y trouve
un havre de paix et la nuit du rêve

Si je dors et si
je me réveille (je tourne la clef)
la porte qui s’ouvre est une porte réelle

Je n’ai pas de regret
Un rêve est un rêve, il n’est pas fait de chairs. Est une tête sans mains qui ne vaut pas grand’ chose...

Rien que je puisse toucher. Or, c’est dans nos mains que s’invente la terre,
unitive, nous offrant liberté. La terre

au visage de violette
dans un ciel mais d'ici
échappée, dégagée, sauvée !

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Un goût



Grand mur blanc,
moellons de soleil jetés
Le mortier sèche et tombe

mangé de lierres
noircis de baies
Et peut-être de quelques roses

Seule une lumière
aux ombres variées
une musique, un air

pour unique mémoire

Puis le silence
plus vaste que la mer
plus brillant que les neiges

Ô l'immense plaine du bleu sur le toit de cette maison !

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Affleurements



Ce vase à col étroit d'où jaillissent des fleurs
La fine bleuité de cette porcelaine
Les tiges coupées, l'eau surie sa forte odeur
Voici comme à la mort est la vie, souveraine

Il reste peu de temps le soir quand l’heur s’en va

Cette porte qui baille est une tombe au cœur
Un manteau de poussière, une triste lumière
Ce léger parfum qui émane d’un linceul
Signale qui fut là dans les tons de l'oubli

Les clous de tes souliers s'enfoncent dans les sables

Des groupes de moineaux sautillent par endroits
Des groupes de moineaux pépient comme des miettes
Les vasques sont en fleurs, quatre pigeons s’envolent
Vers les quatre points cardinaux d’une fontaine

La peau s'écaille par le sel et par le feu

Les lèvres d’argile s'évasent sur la roue
C’est le potier qui rêve le potier qui songe
Stable et rugueuse matière, elle est Rose terre
Indifférente à la nuit tendre des jardins

Grand Cahier.145.Révolvie.031.Maison de verre.17 {•••}


Extinction du monde



La nuit débouche du plus bas, du fond du pré, la nuit monte comme une eau, envahit l’espace

Le soleil glisse au bois quelques derniers ciseaux, un rayon court en biais jusqu'en haut des rues, s’égare

dans les étages, puis s’échappe d’un coup par les toits. Le soleil

ne brille plus que sur un coq
disparait dans l’indis-
tinc
t

Grand Cahier.221.Révolvie.031.Maison de verre.18 {•••}


Guépard de verre



Billes sonores, billes
tombées
dans les poches du ciel
sur les toits lisses de l’été,
le jour s’est brisé le jour,
en de multiples éclats en pétales
de couleurs

Je te rencontre ici
à l'angle acéré de la rue
Plus rien qui soit pareil
il y a trop de clarté
une tendre motion se libère
et lorsqu’une douleur
me traverse – une autre meurt

Les jardins foisonnent, bondis-
sent par-dessus le mur,
rendant leurs roses
On entend dans les cours
des cris lointains. La maison nous accueille
Immobile est dans l'air
le laurier

Shoichi HASEGAWA
À la découverte du palais perdu
(2015)

Grand Cahier.171.Révolvie.031.Maison de verre.19 {•••}

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte