*
Traversée
|
Rebord de ma fenêtre embouteillée
de tant d'accidents verts et vivants encore
de tant d'événements passés
qui se tiennent là / immobiles et prêts à bondir
sur la proie que je suis
Yeux bleus rayons
fascinants qui régnaient /
je vous demande merci
Ah, si je fus pour un temps – imperator
inutile et oisif
jamais je n'ai voulu
arracher son butin au monde,
voyageur
j'ai traversé les âges, impénitent et sans but
de tant d'accidents verts et vivants encore
de tant d'événements passés
qui se tiennent là / immobiles et prêts à bondir
sur la proie que je suis
Yeux bleus rayons
fascinants qui régnaient /
je vous demande merci
Ah, si je fus pour un temps – imperator
inutile et oisif
jamais je n'ai voulu
arracher son butin au monde,
voyageur
j'ai traversé les âges, impénitent et sans but
André Lhote La fenêtre à meneaux à Mermande (1940) |
Grand Cahier.741.Dispersion.019.Baumes et regrets.01
{•••}
|
Ce corps
|
Apprends à vivre avec ce qui te heurte, ce qui te touche et se colle à ta peau.
En bonne intelligence. Elles sont...
Elles ont été si longues ces années !
Laisse les aigreurs, les mauvais sentiments. Tiens-toi dans le retrait, observe et te dégage, il est temps.
Vois comme il progresse dans son âge, comprends ce corps chaleureux si présent dans sa douleur. Qu’il s’en aille où il veut, quand bien même
ce serait vers le mal inéluctable.
De toutes les façons
tu souffriras de ses insuffisances, de sa réclame. Prends comme il va,
son chemin sué de pierres
Grand Cahier.327.Dispersion.019.Baumes et regrets.02
{•••}
|
Partage
|
Plus le temps poussera son wagon suivant la douce oblique du rail – « Chauffeur, largue l'attelage » et la vie s'en va, grincent les eaux blanches – irrémédiable à ce point d'inertie
Et plus je paraîtrai ton semblable
Ta façon de choisir, échelle et mesure aussi bien, toutes les choses que tu aimes et celles-là qui te révoltent, je ne peux rien en dire. À chacun son effort. Le butoir est au bout
Mais il y aura eu pour le moins – avant que tout s'effondre, la lutte et le maintien, avec l'arrière-plan de nos souvenirs assumés
Grand Cahier.243.Dispersion.019.Baumes et regrets.03
{•••}
|
Regrets
|
On a remisé le jour au placard à l'heure où je vous parle, jeté bas la veste
À force de travail, les copeaux sont tombés. L’espace est dégagé mais la forme produite, fut-elle bien décidée ?
À force de vouloir, sais-je encore si je sais ?
Il faudrait oublier, recommencer dès le début, mettre ses pas dans les pas déjà passés, éviter d’avoir connu,
dévoiler à nouveau le grand jour
Grand Cahier.259.Dispersion.019.Baumes et regrets.04
{•••}
|
Il nous manque le temps...
|
pour atteindre au dehors
Nul jamais n’ira plus loin que soi-même
L'âge aussi vrai que l'enfance viendra
Du puits de lune où se trouvent les morts
Rien à craindre, ou à fuir – rien que reflet
Des profondeurs d'encre et de solitude
Quand la mer illusoire est sans refuge
Vaste pampa ouverte aux vents des cieux
Où l'homme n'est qu'une tête d'épingle
Plantée dans l’origine, et durement
L'âge aussi vrai que l'enfance viendra
Du puits de lune où se trouvent les morts
Rien à craindre, ou à fuir – rien que reflet
Des profondeurs d'encre et de solitude
Quand la mer illusoire est sans refuge
Vaste pampa ouverte aux vents des cieux
Où l'homme n'est qu'une tête d'épingle
Plantée dans l’origine, et durement
Grand Cahier.326.Dispersion.019.Baumes et regrets.05
{•••}
|
L'inattendu
|
L'inattendu va revenir ce soir arbres si noirs. Il suffit d'un peu de vent, d’un léger déplacement. Un mot je suis, deux mots je tombe, et déjà désemparé
L'inattendu va refleurir, va ressortir de l'opacité du grand sommeil. Nous ne sommes plus qu’une machine verticale tournée vers le rien, recherchant à sa manière un ton, une simple note comme elle est
L'horloge rampe symétrique et nous surprend chaque jour sur le travail, à répéter les mêmes mots, à tracer les mêmes lettres. L'inattendu est au détour d'une route effondrée
Écoute la syrinx, mécanique divine perforant l'étendue
Grand Cahier.287.Dispersion.019.Baumes et regrets.06
{•••}
|
Ta chance
|
Que te plaise le jet de dé sinon que rien ne change !
Un jeu,
ce n’est qu’un jeu, le chiffre du hasard ou la lettre d’un enfant adressé au jour,
sans fin sous les voûtes du temps,
la lettre n’a pour lui de sens, ne dit jamais rien de son fait, sans mise ou tenue mais le gain est très considérable
Et le plaisir est bien de voir
cette faible lueur devenir une somme d’étoiles
– figure qui se forme et s’affirme
Plus tard cependant les feuilles de l’été, si long soit-il, finiront par tomber et brunir. Le temps passe imperceptible, va
du souvenir jusqu'à l'oubli. C’est aussi indubitable que le ciel assombri de demain
Grand Cahier.275.Dispersion.019.Baumes et regrets.07
{•••}
|
Bout du monde
|
Quand voudrez-vous partir ?
Sera-ce demain si se lève le vent
qui vous agrée
Voyez des bateaux à quai les œuvres mortes. À deux pas du centre leurs mâts immobiles
plus rien ne bouge. Le temps s'est arrêté. Aujourd'hui s’est endormi, demain peut-être
Le souhaitez-vous ?
Sait-on jamais quel sera
l’ampleur de la vague, jusqu'où elle
portera, douce une pluie
s'est mise à tomber
Grand Cahier.217.Dispersion.019.Baumes et regrets.08
{•••}
|
Fragments
|
Toutes ces paroles échangées
et toutes ces pensées en vrac sont ordinaires
L’océan se retire,
et toutes ces pensées en vrac sont ordinaires
L’océan se retire,
selon le rythme et la scansion. La marée qui descend allonge les varechs
Bleus ou bruns, j’ai oublié
quelle était la couleur de tes yeux
quelle était la couleur de tes yeux
Chacun à sa manière attendait beaucoup de ce voyage. Dis, est-ce encore loin Florence ? Ou bien Venise où s'ar- rêtent les trains
L'équilibre du rail marquera notre action.
Je vous salue grandes frayeurs. Le désastre est au bout c'est certain
Plus j’avance et plus je m’éloigne à
chaque instant librement tourné vers l’éphémère
Fuyez blancs évadés !
chaque instant librement tourné vers l’éphémère
Fuyez blancs évadés !
Grand Cahier.288.Dispersion.019.Baumes et regrets.09
{•••}
|
Une heure
|
Il existe chaque soir une heure au moins, si l’on y prête attention, vague et solitaire, une heure à surseoir
Quand la poussière des souvenirs amassés de tant d’amis à sa manière s’est figée
Une heure dans la pénombre des volets fermés, au temps suspendu, quand les meubles prennent vie, parlent et grandissent
Qu’on n’y prenne garde. C’est aussi vrai que sont vrais les contes pour enfants qui n’en finissent jamais
Grand Cahier.302.Dispersion.019.Baumes et regrets.10
{•••}
|
Étoile devant
|
Maisonnette peut être que fleur de saison
Ruine toujours
– Mon clos, ma toute noire
Je t'abandonne et je jette l'anneau
S'enfouisse !
Bague d'or en terre, vipère
Comme éclair venu de traverse me guérisse
Des beaux visages du bonheur
D'éternité de mort ensemble
Ruine toujours
– Mon clos, ma toute noire
Je t'abandonne et je jette l'anneau
S'enfouisse !
Bague d'or en terre, vipère
Comme éclair venu de traverse me guérisse
Des beaux visages du bonheur
D'éternité de mort ensemble
Grand Cahier.283.Dispersion.019.Baumes et regrets.11
{•••}
|
Amie
|
qui arrive ou qui s'éloigne
de ton royaume
y gagne la part du rêve
et l'ivresse où mes yeux
s'accordent
aux tiens, est le don
d'une force nouvelle
tourné vers des futurs
nous nous sommes racontés
(dans) nos rêves nous
qui avons résidé longtemps
et pourchassé ensemble
de ton royaume
y gagne la part du rêve
et l'ivresse où mes yeux
s'accordent
aux tiens, est le don
d'une force nouvelle
tourné vers des futurs
nous nous sommes racontés
(dans) nos rêves nous
qui avons résidé longtemps
et pourchassé ensemble
Grand Cahier.740.Dispersion.019.Baumes et regrets.12
{•••}
|
Anecdote
|
Madame Pereira
me fait part de l'étrange vérité d'un vol,
de sa découverte et
de sa résolution fortuite –
Nous échangeons nos sacs
mais
ce qu'elle me dit de cette affaire
(du triste sort d'un écolier)
je ne l'écoute pas
– Ah, le parfum de Nocibé qu'elle a !
À défaut du rêve, un porto numéroté
« Càlem Velhotes Fine Tawnies »
sera ma récompense,
Madame Pereira
me fait part de l'étrange vérité d'un vol,
de sa découverte et
de sa résolution fortuite –
Nous échangeons nos sacs
mais
ce qu'elle me dit de cette affaire
(du triste sort d'un écolier)
je ne l'écoute pas
– Ah, le parfum de Nocibé qu'elle a !
À défaut du rêve, un porto numéroté
« Càlem Velhotes Fine Tawnies »
sera ma récompense,
Madame Pereira
Grand Cahier.358.Dispersion.019.Baumes et regrets.13
{•••}
|
Vieille mère...
|
Vieille mère, aujourd'hui, que dis-tu ?
• Le genou me fait mal. La charge est trop lourde. C'est des sueurs et de ronds boulets noirs qu'on ressort à pleins seaux
Et la vie ?
• Aime pas la fileuse, elle nous a
Qu'elle est belle pourtant !
• Eh bien, cours-y donc !
• Le genou me fait mal. La charge est trop lourde. C'est des sueurs et de ronds boulets noirs qu'on ressort à pleins seaux
Et la vie ?
• Aime pas la fileuse, elle nous a
Qu'elle est belle pourtant !
• Eh bien, cours-y donc !
Grand Cahier.253.Dispersion.019.Baumes et regrets.14
{•••}
|
Couteau du gel
|
Vous marchez à des fins extrêmes
N'y voyez pas
Mais vous marchez
Le quai de blocs glisse
Énormes sous la semelle
L'océan vous parle
D'une voix basse non comprise
Étroite la jetée, pontons qui s'étrécissent
Pressez-vous, pressez-vous
C'est l'embâcle !
Un corps flasque sur la vague se balance.
Vous avancez.
L'eau le ciel s'unissent gris
N'y voyez pas
Mais vous marchez
Le quai de blocs glisse
Énormes sous la semelle
L'océan vous parle
D'une voix basse non comprise
Étroite la jetée, pontons qui s'étrécissent
Pressez-vous, pressez-vous
C'est l'embâcle !
Un corps flasque sur la vague se balance.
Vous avancez.
L'eau le ciel s'unissent gris
Grand Cahier.284.Dispersion.019.Baumes et regrets.15
{•••}
|
Cendres
|
Gisant là quelqu’un
sur le socle inerte
d’une casemate
aux murs blancs
froide est la Provence
février revient
sans air, sans l’odeur
des lavandes
Quelqu’un lèvre blanche
la bouche entr‘ouverte
n’a plus rien à dire
et se tait
Quelqu’un s’est éteint
laissant épuisé
son seul et unique
vêtement
sur le socle inerte
d’une casemate
aux murs blancs
froide est la Provence
février revient
sans air, sans l’odeur
des lavandes
Quelqu’un lèvre blanche
la bouche entr‘ouverte
n’a plus rien à dire
et se tait
Quelqu’un s’est éteint
laissant épuisé
son seul et unique
vêtement
Grand Cahier.611.Dispersion.019.Baumes et regrets.16
{•••}
|
Ici, prend fin
|
une vie,
grande plage déserte
où émerge
trois ou qua
tre rochers de granit
Keremma
disent-ils
lorsqu’ils disent son nom
une cendre
au creux d’un
poing serré, dispersée
un village
une blan
cheur immémoriale et
quelques dunes
une gran
de plage que je nomme
Keredith
et d’avel
vras, une ty nouvelle
an Aot
grande plage déserte
où émerge
trois ou qua
tre rochers de granit
Keremma
disent-ils
lorsqu’ils disent son nom
une cendre
au creux d’un
poing serré, dispersée
un village
une blan
cheur immémoriale et
quelques dunes
une gran
de plage que je nomme
Keredith
et d’avel
vras, une ty nouvelle
an Aot
Et de grand vent, une maison nouvelle sur la grève (1954 - 2023) |
Grand Cahier.772.Dispersion.019.Baumes et regrets.17
{•••}
|