Inventaire
La chambre, elle est bleue
même le plafond où ne pend aucun lustre
Sur le plancher, les étagères et le bureau s'empilent des livres, un désordre de livres
On orne les murs de cartes lunaires, de photos de Koudelka ou d'icônes, cela pour tromper le vide bleu par des ocres et des rouges
Près de la fenêtre, un diagramme – labyrinthe d'es-caliers inachevés avec le M et la flèche
Une caisse de munitions portant une lampe, le lit (sa couverture en chaude laine), le tiroir de l’office où des âmes innombrables sont mortes, mais scintillent encore… le mur d'en face et la vitre peinte
Tous aux couleurs de l'orange et du soleil
Avec les disques vinyles et la veste noire, il ne resterait plus à dire que ces quelques mots inscrits, tapés à la machine sur des feuilles blanches
et fichés par le travers !
Folie ou démence d'après Victor Hugo (les chants du crépuscule) Benoit Vinadelle |
Josef Koudelka Nord Pas-de-Calais, France (1989) |
Grand Cahier.128.Révolvie.002.Maisons de verre.02
« ... »
Maison de verre
24 fois 40 blocs carrelés. Et encore 24 fois 80 morceaux de verre et plus, scellés dans l'acier
Comme une lanterne japonaise qui flotte dans l'espace, comme une membrane translucide inondée par le soleil, la lune et les étoiles
Une double échelle jaune de flammes soudain l'éveille
Rouge est la signature dans le métal
Machine à vivre
aux yeux de tous. Machinerie de théâtre
pour se mettre en scène, beau navire
de l'âme.
aux yeux de tous. Machinerie de théâtre
pour se mettre en scène, beau navire
de l'âme.
Contre les parois de glace des vannes ouvrent les feux à la cantonade. Étages sur pilotis où le spectacle se déroule
La maison est un décor de verre... de verre et de bronze. La maison est rubis de neige où fleurit l'arbre
31, rue Saint-Guillaume (Paris 7ème) Architecte Pierre Chareau (1928) |
Grand Cahier.121.Révolvie.002.Maisons de verre.01
« ... »
Le bouleau
Il y avait autrefois une porte vitrée avec de grands carreaux de verre de couleurs différentes garnissant le châssis. Cette porte donnait sur une courette endormie dans la noirceur des pierres
Il y avait un bouleau blanc, pas plus gros que le doigt d'un enfant, et six feuilles
Passant la porte un léger soleil cligna de l'œil. Il y avait ronde et vernie une table, un jambon qui venait de Colmar, des raisins minuscules
Un orage annonça une brusque lumière, une eau vive sur les feuilles (très petites les feuilles) quelques gouttes tombèrent. Il y avait les légumes et les fruits du jardin, le bourdonnement des guêpes, et la chatte qui s’ébroue et s’enfuit
Toutes les choses s'arrêtèrent, immobiles. Le bouleau se noya. On pouvait caresser encore dans ce cageot de nuit le peu d'écailles blanches et de vie qu'il avait
Gustav Klimt L'arbre de vie, l'attente et l'accomplissement (1905-1909) |
Grand Cahier.401.Révolvie.002.Maisons de verre.03
« ... »
Il n'y aura pas d'arrêt
La tempête d'hier s'est calmée. Il a plu. Le ciel est gris, l'eau glacée. Le froid, l'humidité
Traversent la maison. Sur les murs, on a collé de longues laisses de papier couleur de soleil mais rien n'y fait. Les meubles sont trop vieux et tristes, usés. Depuis mon enfance, je les vois et les vois s'écrouler
« Précipité lent » dit le chimiste, c'est le temps
Issues de la cage d'escalier, quelques notes pointues persistent ; la radio joue un air de piano qui s'ajoute
Aux battements métalliques du réveil. Le grand verre à musique but d'un trait : plus de coups de marteau, plus de clous dans ma tête
Je m'assois sur le parquet. Ma veste posée sur le dossier de la chaise est mouillée. J'ai marché tout à l'heure dans la rue sans le moindre but. Je me tasse dans un coin, je voudrais oublier
Max Ernst Pochoir l'oiseau bleu (1958) |
Grand Cahier.126.Révolvie.002.Maisons de verre.03
« ... »
L'oubli
Le corps de garde la mer qui donne ce goût d’algues, une soupe épaisse et douce…
Depuis ce sursaut de Loire, je regarde l'en-allée d’une eau grise et large, d’une eau d’acier d’un seul tenant qui s’écoule entre la ville industrieuse – si calme aujourd’hui – entre la ville et moi-même. Il y a cet oubli
Il y a le temps qui passe
L’eau de la rivière entraîne les herbiers
Le reflux de la mer livre aux remords la plage désertée
Je me souviens d’une ville austère bâtie dans les granits (du côté de Bidouane), des grands espaces de pierre et de vent, de l’ombre des tourelles qui s’étendait sur les remparts. Au loin les miettes des falaises d’un pain noir, jetées là pour longtemps
Il n’y eut que quelques mots d’échange, et rien de plus
Ailleurs un peu plus tard, la compagnie des hirondelles, ou des martinets peut-être, leur cadence, là-haut
une main d’herbe comme un signe de fleurs sur la mer
Le temps poursuit sa route, les choses vont mûrir encore, les choses vont s’enfuir bientôt qui s’oublieront
Joan Mitchell The Good-Bye Door (1980) |
Grand Cahier.088.Révolvie.002.Maisons de verre.05
« ... »
Un lacet puis un autre
La route déboule sous les roues, les pneus chuintent.
De la route émane
une forte odeur de bitume – épaisse chauffe ainsi que laisse, et charbonneuse dans l'été.
Un lacet puis un autre.
Poudres et plombs m'assomment, je sue, je m'épou-mone.
J'aspire l'air sec et soleilleux d'une Provence griffée de végétaux.
L'immensité, droit devant stridule comme un tonneau de cigales.
Si l'on se fie à ce qu'indique la pancarte,
on devrait bientôt voir, se desséchant, au détour du prochain talus,
un olivier millénaire, le gris de ses bois confondu avec la roche
Vincent van Gogh Oliviers avec les Alpilles en arrière-plan (1889) |
Grand Cahier.310.Révolvie.002.Maisons de verre.06
« ... »
Dièse
Variation des prés par la baie du soir
Sous la nuée couvent les toits
D'un village brun
– Le jour connaît sa faute
Rouges les laines dans la salle éteinte,
Au creux du foyer brûle en vain
La braise qui varie
– La nuit ouvre le ciel
Sous la nuée couvent les toits
D'un village brun
– Le jour connaît sa faute
Rouges les laines dans la salle éteinte,
Au creux du foyer brûle en vain
La braise qui varie
– La nuit ouvre le ciel
Egon Schiele Wiese mit Dorf im Hintergrund II (1907) |
Grand Cahier.017.Révolvie.002.Maisons de verre.07
Sainte-Colombe
Une fois un père un homme
Inconnu des bords de Saône
D’une époque très austère
Au XVIIème baroque
Irrégulier et fleuri
Voulut (épris d’une viole)
Ajouter une corde u-
Ne septième tessiture
Ajouter d'argent – Un homme
Dans les branches d'un murier
Voulut là construire
son nid
Vanitas (Anonyme) École française, 1er moitié du XVIIème (Réserve du Musée du Louvre) |
Grand Cahier.471.Révolvie.002.Maisons de verre.15
« ... »
La maison est odorante
La maison est odorante, l'amour une clarté
Tout d’abord ils s’étaient engagés
( l’un et l’autre ( l’un envers l’autre (unis tous les deux sous un même toit) celui qui y croyait et celle qui n’y croyait pas )
) mais aujourd’hui que la guerre est défaite, que les chemins du désir sont perdus, que reste-t-il ? Le rouge est estompé, les goûts sont effacés. Les murs ? tagués des derniers âges
Dans le jardin fleurissent le réséda, et des arbres florifères. Des orangers poussent, hauts comme des hommes, leur tête est ronde est couleur
de bronze rangés
– Ce sont des arbres sans vents sous la perfection du ciel qui font le pays ce si calme verger du temps
– mais pour combien encor ?
Botticelli Le printemps (1492) |
Grand Cahier.170.Révolvie.002.Maisons de verre.09
« ... »
L'espérance au jardin s'éternise
Sur le couvert des ardoises qui s'incline,
La griffe d’un oiseau de neige s’endort.
Les corbeaux d’hiver accentuent le contraste,
Leur livrée triste s’agace au bord du toit.
Une cheminée fume. Quelques brindilles
Vont - encore un temps - crépiter dans les flammes,
Rendre l’or d’un été excessif
Les bois de l’hiver ont noirci les chemins,
Les chemins ébouriffés et creusés d'ombres.
Sur la gouttière la neige tourbillonne.
Un souffle très léger de plumes se pose.
Par la lucarne se profile les arbres
Ou la clôture du jardin. La barrière
s'ouvre sur un ciel plus sombre encore
Afro Basaldella Jardin de l'espérance (1958) |
Grand Cahier.042.Révolvie.002.Maisons de verre.10
« ... »
As paredes
Que disais-tu Miguel en ta légende
Qu'y avait-il auprès de ce pommier
Une route une rivière un muret ?
Croque la pomme à pleines dents la dent
fait mal C’est un lieu de conflit un lieu
fermé qui nous sépare un clôture
Mais cette motte de terre au regard
exposée – loin du monde est véritable
L'étoile des pépins guettée des merles
d’un jet retombe entre les doigts de l'herbe
Que disais-tu de ce mur qui protège
des vents d’avril empêche les enfants
de venir quels trésors pouvait-il bien
recelés ? Un orage de septembre
(va-t-il chanter ?) nous le dira peut-être
Piet Mondrian Paysage avec arbres (1912) |
Grand Cahier.086.Révolvie.002.Maisons de verre.11
« ... »
La souricière
Il est de ces lieux clairs modernes décorés d'une netteté clinique high-tech. Voyez cette maison par exemple, elle est du quartier Demi Lune. Ouvert le sas, franchit l'entrée de glace avivée de jaunes tubulures
Vous montez quelques marches que recouvre un dallage de grès – une pierre de texture très serrée, non gélive, dans les tons beiges ; et vous voilà assis, assis dans une salle obscure
La mise en scène au cours métrage est peu prolixe
À voir : le village natal de Saint-Vigor-des-Mézerets, l'établi de l'ébéniste. Une gouache, un copeau de chêne, l'immensité de l'océan. Un personnage solitaire qui marche sur la crête ou bien qui s'accroupit près des nuages
C'est un canard sur lequel la pluie tombe en vain
En résumé le fait du peintre à son travail, ses mo-
ments familiers, ses quelques chaises
ments familiers, ses quelques chaises
Vous le verrez au détour d'un couloir, sur les murs
de l'expo, en reflets vidéo. Le piège est propre. L'artiste
se penche, silencieux et discret. Ignorant les signaux, contournant les barrières, il observe une effigie de bleus
et de rouges qui sont des anthracites
de l'expo, en reflets vidéo. Le piège est propre. L'artiste
se penche, silencieux et discret. Ignorant les signaux, contournant les barrières, il observe une effigie de bleus
et de rouges qui sont des anthracites
Suzana Chasse No Thing X (2019) |
Grand Cahier.311.Révolvie.002.Maisons de verre.12
« ... »
Vivre
J'aimerais qu’il me soit donné de vivre
Dans une maison couverte de lierres
Au jardin tranquille et peu fréquenté
Envahi depuis longtemps d'herbes hautes
J’aimerais me retirer en songeant
Au bonheur de vivre les volets clos
Un soir dans une chambre inattendu
Harcelés de piailleurs catastrophiques
René Magritte L'Empire des lumières (1954) |
Grand Cahier.320.Révolvie.002.Maisons de verre.13
« ... »
Barrage
C’est d’un seul tenant,
– lisse est l'eau le long de la rivière –
on y blanchissait des lins
C’est une eau qui s’avance en masse où les rames plongent en silence
Nous avons dû lutter contre les courants, des berges du matin jusqu’aux rivages espérés
Nos efforts, nos mouvements de bras
ne se sont arrêtés qu’à l’épuisement de la nuit
Le barrage est un écran de brume qui scintille comme un feu de rampe sur la scène devant nous
un théâtre végétal et mortel
Il reste encore une écluse à passer dans le vacarme des eaux bleues. Les berges qui parfois se rapprochent sont enchevêtrées de chant d'oiseaux
Trois barques s'en vont vers le soir, traçant un fin sentier dans l'eau, se perdant
Joachim Patinir Passage du Styx (1520-1524) |
Grand Cahier.343.Révolvie.002.Maisons de verre.14
« ... »
Renoncement
Vous atteindre mes provinces belles c’est vous perdre, que vous soyez natales
ou non. Tout pays me conviendra si j’y trouve
le repos et la nuit du rêve.
Et si je dors et si
je me réveille (je tourne la clef)
la porte qui s’ouvre est une porte réelle
le repos et la nuit du rêve.
Et si je dors et si
je me réveille (je tourne la clef)
la porte qui s’ouvre est une porte réelle
Je n’ai pas de regret. Un rêve est un rêve, il n’est pas fait de chairs. Une tête sans mains ne vaut pas grand’ chose...
Rien que je puisse toucher. Et c’est dans nos mains que s’invente la terre,
unitive, nous offrant liberté. La terre
au visage de violette
dans un ciel mais d'ici
échappée, dégagée, sauvée !
au visage de violette
dans un ciel mais d'ici
échappée, dégagée, sauvée !
Pablo Picasso La dormeuse aux persiennes (1936) |
Grand Cahier.089.Révolvie.002.Maisons de verre.12
« ... »
Un goût
Grand mur blanc,
moellons de soleil jetés
Le mortier sèche et tombe
mangé de lierres
noircis de baies
Et peut-être de quelques roses
Seule une lumière
aux ombres variées
une musique, un air qui traine
pour unique mémoire
Puis le silence
plus vaste que la mer
plus brillant que les neiges
Ô l'immense plaine du bleu sur le toit de cette maison !
Maria Helena Vieira da Silva Mémoire (1966-1967) |
Grand Cahier.093.Révolvie.002.Maisons de verre.12
« ... »
Affleurements
Ce vase à col étroit d'où jaillissent des fleurs
La fine bleuité de cette porcelaine
Les tiges coupées, l'eau surie sa forte odeur
Voici comme à la mort est la vie, souveraine
*
Il reste peu de temps le soir quand l’heur s’en va
Cette porte qui baille est une tombe au cœur
Un manteau de poussière, une triste lumière
Ce léger parfum qui émane d’un linceul
Signale qui fut là dans les tons de l'oubli
*
Les clous de tes souliers s'enfoncent dans les sables
Des groupes de moineaux sautillent par endroits
Des groupes de moineaux pépient comme des miettes
Les vasques sont en fleurs, quatre pigeons s’envolent
Vers les quatre points cardinaux d’une fontaine
*
La peau s'écaille par le sel et par le feu
Les lèvres d’argile s'évasent sur la roue
C’est le potier qui rêve le potier qui songe
Stable et rugueuse matière, elle est Rose terre
Indifférente à la nuit tendre des jardins
Jean Verame Roches peintes de Tafraout en hommage à son épouse défunte (1984) |
Grand Cahier.145.Révolvie.002.Maisons de verre.13
« ... »
La rencontrée
Elles
sont tombées des poches du ciel
les billes bleues, les billes sonores
sur les toits lisses de l’été, le jour s’est brisé
le jour, en de multiples éclats, en pétales
de couleurs, guépard de verre !
L'angle de la rue n'est plus le même
quand tu traverses.
Il y a trop de clarté.
Une motion tendre se libère
douloureuse en moi – une autre meurt
Les jardins foisonnent jusqu'au haut du mur,
rendent leurs roses
On entend dans les cours
des cris lointains
Immobile est dans l'air
le laurier
Shoichi HASEGAWA À la découverte du palais perdu (2015) |
Grand Cahier.171.Révolvie.002.Maison de verre.05
« ... »