Petits, soigneux...


Petits, soigneux
sont les jardins du lettré
herbe-fenêtre-lune

On appelle jardin ces morceaux de nature complétés d'un bâtiment de simple construction, modeste, très ouvert ; jardin, les inspirés dispositifs, les cloisons qui distribuent l'espace – murs blancs et toits de tuiles noires, fenêtres et portes rouges établissant des fonctions très précises, et qui donnent à chacun conformément sa place

Dit ou dessiné
à grands traits de pinceau,
voici le paysage

Suzhou,
le jardin de l'Humble Administrateur
草 (cǎo) - 窗 (chuāng) - 月 (yuè)

Grand Cahier.420.Les jardins sont un langage.036.l'Humble Administrateur.07

Tao Qian


Tao Qian, près de la haie de l'est, se pencha pour cueil- lir les chrysanthèmes, se releva
sereinement afin de contempler au loin
les montagnes du sud

Beau geste, belle manière
d'un amateur de vin et de fleurs de pêcher,

flores de melocoton, bich, phai, bach, that ton
– tels sont les noms vietnamiens de couleurs qui ornent le Têt

Et cette colonie de rescapés de la dynastie des Qin qui vécut un siècle et demi dans la paix, la liberté et l'abon- dance

Voilà un homme qui ne plie pas l'échine pour cinq boisseaux de riz et qui préfère laisser déborder sa fierté du côté méridional

Se contenter d'un petit espace, chaque jour pour son plaisir parcourir son jardin, faire le tour
(l'infini est au détour)
yí bào yèzi brassée entouré de ses bras un pin cen- tenaire

Tao Yuanming admirant les chrysanthèmes
Attribué à Zhao Lingrang (~1100), Dynastie Song (960-1279)

Grand Cahier.418.Les jardins sont un langage.036.l'Humble Administrateur.06

Hushi


Les préposés du bureau dussent-ils ordonner la levée de corvées pour dix mille hommes – des efforts consi- dérables ; dussent-ils provoquer le mécontentement général et précipiter la chute de l'empire, chaque pierre, quelle que soit la taille qu'elle aura, chaque pierre marquée d'un ban- deau de papier jaune, appartient à l'empereur – elle ornera ses jardins

Elles sont
 les pierres
l'âme des jardins
Elles sont
 les pierres
le réceptacle de l'âme
Lorsqu'elles
proviennent
(Pétales
 (apel.les)
 fleurs de calcaire) modelées
du lac Tai

Escarpées, rongées par les vagues, on les nomme cimes de rocher. Celles qu'on aime doivent être maigres et non charnues, percées de tunnels de part en part, de galeries verticales, avec une peau ridée de vieux sage et non lissée, comme Guanyun encapuchonné de nuages

Précipice en montagne, pierre de cire jaune
Huangla Shi, dynastie King, XVIIe siècle
Apel.les Fenosa Volute (1967)

Grand Cahier.417.Les jardins sont un langage.036.l'Humble Administrateur.05

L'ordinaire


Shen Fu, petit homme subalterne, sensible, original de caractère, naquit à Suzhou, fut bon peintre de fleurs. Avec justesse, il exprima quelques faits banals et mourut

Il tint au fil inconstant des jours, des propos limpides, extrêmement concis pour ce qui concerne l'art secret des jardins

Mais ne s'agissait-il que de cela ?

Créer de petits lieux clos dans de vastes étendues et donner l'illusion de la grandeur quand l'espace est restreint, densifier le vide en matérialisant l'irréel, alterner mystère et évidence, les approches faciles et le profond retrait

Ses préoccupations d'
enfant, ses imaginations, elles
se retrouvent
aussi
au détour d'une phrase, à hauteur de mire
d'un poème,
d'un voyage immobile
un dessin,
au pied d'une terrasse envahie d'herbes folles,
dans le creux d'un muret de terre

Où chaque détail finit par devenir un univers, une forêt, une montagne, une vallée

À propos de six récits au fil inconstant des jours
de Shen Fu (1763 / 18[10-25])

Grand Cahier.416.Les jardins sont un langage.036.l'Humble Administrateur.04

Au val de Jante


Ses travaux de ministre achevés, Wang wei se retira, à plus de cent lieues de la capitale et de l'empire, au val de Jante

Quand vint l'automne de sa vie, il ne lui restait plus qu'à peindre et composer de pierres et d'eaux, construire en ses propriétés le paysage, et redoubler son empreinte sur les murs célestes de Chong Fan, le monastère des parfums accumulés

« Plus rien, ni le passage entre les arbres pour les hommes, ni le son de la cloche aux deux tigres affrontés, ni la source qui s'enroue parmi les roches, plus rien n'est reconnaissable »
disait-il

Neige fondue dans la brume,
crêtes enfouies dans les nuages

Le bleu des pins faiblit quand le soleil est rouge
Les ombres de la nuit
ont vidé l'étang de sa substance

C'est un creusement sans fin tendu vers la question du noir. Mais le poète retient, s'il exerce, le dragon vénéneux

Le val de Jante
Hameau de Wangchuan où vécut Wang Wei (699-759)
peint par Wang Yuanqi (1642–1715)

Grand Cahier.415.Les jardins sont un langage.036.l'Humble Administrateur.03

La fonderie des jardins


Ji Cheng écrivit, le premier en son genre, un livre illustre. Il n’existe pas, il n’y a rien de tel où que ce soit

« Savez-vous que la taille
d'un galet de pavage
doit‑être de la taille
d'un
œuf d'oie
pour qu'il ressemble
à un brocart de Shu »

Ji Cheng connaissait tous les arts – peinture&poésie qui sont une seule et même chose, calligraphie, ceux des fleurs et ceux du thé. Il les mêla – les cultiva-t-il ? Non,

mais il construisit son jardin, églogue de pierre et d'eau

« Une brise va naître
du bosquet de bambous
tandis que l'on prépare
les boissons glacées

Quel bonheur
que de vider quelques coupes de vin
en guise de gage
dans un kiosque frais ! »

Guan Tong
Montagnes d'automne à la végétation tardive
(Dynastie Liang post. 907-923)

Grand Cahier.414.Les jardins sont un langage.036.l'Humble Administrateur.02

Suzhou


« De la terre ou du ciel »
Tel est le nom français des montagnes de Sugiu

Marco lorsqu'il descendit vers Quinsai nota que la rhubarbe y pousse en grande perfection et que le gingembre est bon marché. Ainsi pour un gros de Venise, quarante livres de frais et du bon

Il alla jusqu’à compter les six mille ponts de pierres qui surplombent les eaux de la cité. Deux galères pouvaient y passer de front

Il s'étonna du très grand nombre d'habitants, des gran- dissimes quantités de soie, de la sagesse des marchands, de la subtilité des hommes dans tous les arts, magiciens, philosophes et grands mires naturels

Mais de l'ouvrage maniéré des jardins inoubliables
Rien ne dit

Abraham Cresques
Atlas catalan, La caravane de Marco Polo voyageant vers les Indes
(1375)

Grand Cahier.411.Les jardins sont un langage.036.l'Humble Administrateur.01

Vauvert

*


Partir



Il est trois heures
Dans une chambre aux limites de la ville, quelqu'un s'éveille. Il faut se lever. Les paupières sont lourdes et les rêves battent de l'aile
De nouveau, les doutes qui poignent

Mais il est trop tard, c'est l'heure
Couper la sonnerie,
en silence et dans le noir,
se lever, s'habiller

Hier, on a rempli le sac et consulté les cartes. Vérifier qu'on n'a rien oublié. Entrebâiller la porte en silence et partir…

Quand le coup de vent
et la pointe du jour sépareront ciel et terre, ligne bleuissant, là-bas, près de la haie lointaine

Nicolas de Staël
Paysage du midi
(1953)

Grand Cahier.591.Révolvie.035.Vauvert.01 {•••}


Bords de Meuse



Bien ancrée
aux vignes du soleil, la rivière est aussi paisible, entre ses deux talus verts que la tranchée du canal

On passe au-dessus puis au-dessous du pont
On est pris dans les nœuds du village On s’interroge, va-t-on démêler le mystère On ne se prendra pas la tête, malgré le contredit des cartes

Piégé entre quai et parapet, ici perdu là retrouvé, indé- cis en lévitation / pétaradant

au final On est sorti quand même, grimpant avec diffi- cultés par des tunnels
Ah ! Qu’il est beau
le pays
vue

des hauts bords
de la route des alpages

Grand Cahier.558.Révolvie.035.Vauvert.02 {•••}


Transition



L’heure a mûri
bientôt va se jouer un beau match

Ils vont se battre sans vergogne entre les mâts. C'est un jeu de nuages c'est un jeu de go, et dans nos stratégies, des plumes de canard

La patrouille a zébré le ciel, tout ce vacarme est trico- lore. Clignement des lumières, les jaunes les rouges mais aussi les bleu-rose. Le bout du quai nous lancerait-il des signaux ?

Voyez comme ils insistent. Les silhouettes des grands arbres nous surveillent, aux alentours du lac

Il faut toujours les vénérer du coin de l’œil…

Grand Cahier.559.Révolvie.035.Vauvert.03 {•••}


Calcarine



Des deux côtés de la route les blés jaunissent
La terre est un plâtre gris en train de sécher
Il y a à toutes les branches des fruits rouges
Les haies s’enchevêtrent de métal et de baies

Dans la campagne profondément je m’avance
Je pousse à la roue jusqu’au plan de Savonnières
Jusqu’au scintillement des eaux calmes du Cher
Où s’appuieront sur le vent les plus sombres gabares

Il me prend tout d’un coup l’envie de m’arrêter
Immobile, non loin des coteaux, dans les grottes
L’envie de voir, goutte après goutte prendre forme
La robe cristalline des menues objets

Grand Cahier.563.Révolvie.035.Vauvert.04 {•••}


Épopée comique en H mineur



J’aurais dû me douter de la nécessité d’un guide à l’évasion !

J’irai sans peur, j’irai quand même
enfermé à bord d’un tube rudimentaire en train de se remplir de vapeurs essentielles, un tube gris d’une époque cinquan­tenaire qui traversa les Sahara

Panne après trente kilomètres… Une heure à peine, mais ce n’est que le frigo, il a grillé l’alternateur… Dans quoi suis-je donc embarqué ?

Un diable rouge se balance à la fenêtre. Il me gâche la vue ! Allez, j’irai sans peur, j’irai quand même

– elle est ronde la boule avec une boussole –
photographiant des tracteurs verts, montant (perdu dans les Tyrol) jusqu’au lac haut perché

pour redescendre vers les rives du Danube dans la fureur des bielles

Sur vos bras et vos jambes, ils se jettent,, comme ils sont gros, comme ils sont avides, attaquant l’épaule ou la cheville. Et quand les feux s’éteignent, on n’entend plus que les péniches qui bourdonnent,

et pour gâcher le tout, un temps à déchausser les pneus

Grand Cahier.565.Révolvie.035.Vauvert.05 {•••}


Déblais



Relais bleus, filets violets, gaine bakélite
Poutrelles et feuilles mortes, langue de terre

Sucre des bétons électriques qui s’enfuient
Qui s’alignent sur les rails, ou talus qui monte

TGV flèche de biais, verte
Dans la clue des eaux et des cages
Des bricolages sur les prés

Des bouts furieux, du fond des bois
des sons, à la belle ordonnance,
grondent des lointains qu’on entend

Grand Cahier.569.Révolvie.035.Vauvert.06 {•••}


Ce que c’est que le sens



Si cœur premier tourne dans le sens d’une montre
au point x des engrenages paradoxaux
dans quel sens, cœur second
tourne-t-il ?

Diverge-t-il
où va-t-il s’égarer, dragon de Cracovie,
dans la boue, sous la pluie
des Carpates ?

Arrêtées
sur le bord de la route, vous brûlez
aussi bien que mil trois cents
voitures

Mais si cœurs
vous vous enflammez dans les banlieues,
dites-vous – qu’à la tangente alors –
on vous aime…

Grand Cahier.567.Révolvie.035.Vauvert.07 {•••}


Habiter



Chaque jour on s’égare un peu plus
À suivre des chemins de traverse

On va, on avance sans savoir
Chacun souhaite rentrer chez lui

Qui le veut, dans les lointains du monde
Peut bien croire oublier d’être ici

Mais si près du bleu des origines
Que nous reste-t-il encore à vivre

Lorsque la terre, au froid de la roche
Est neige, et se perd en ses hauteurs

Grand Cahier.577.Révolvie.035.Vauvert.08 {•••}


A piece of evidence



(Un élément de preuve) est une absurdité
Une : evidence (obvious) est un jour une clarté
Est clair ce qui est délimité. Certes
Le soi est la définition de la vie
(Un intérieur, un extérieur – une limite
Mais il n'y a pas de parenthèse finale !
L'infini est sans limites
Dieu n'est pas clair !
L'existence… (n’est pas démontrable)
A plus forte raison
La sienne

– Et je parle des raisons du langage,

de ces mots, ces pièces à conviction, de quoi ces morceaux de preuve, sont-ils une évidence
Mais de quelle évidence parle-t-on

car il n’est rien dit de nouveau, le temps
est envie de rester à vif, rapide et constamment dans le repos de la lumière pour ne pas décrocher du dehors
est envie de rester soi-même
le temps, l’invention de la vie qui veut rester sur la vague
la vie, l’invention de l’amour qui se donne et qui donne la vie pour rester dans la rumeur

Le temps, l’invention de la mort
la vie luttant contre la vague
la vague qui déferle

jusqu’à la fin des
temps

Grand Cahier.581.Révolvie.035.Vauvert.09 {•••}


Aiôn



Ce temps,
que nous avons construit
au cours de notre courte existence,
qu’est-il donc

face à la mer
immensément improbable,
instant qui clapote dans la nuit –

face à la mer
sans temps sans lieu sans bord,
qui jamais n’a commencé,
qui jamais n’en finira

Ici,
face à la mer nous voulions qu’il brille...
mais que peut bien vouloir dire – vouloir,
au sillon creusé des peines...

comme une fleur éphémère,
une lueur de luciole
disparue l’instant d’après

Grand Cahier.582.Révolvie.035.Vauvert.10 {•••}


Le reste e(s)t la question



Dîtes-moi ce que sont les nombres ?

Pythagore à Crotone
Nerfs et cerveau d’Alcméon, dîtes-moi

Si tout est nombre

Ce qui suit le plus grand
c’est le rien, précédent
du plus petit
-
entre les deux
il n’y a que des nombres
qui ne sont rien

Pythagore à Crotone
Nerfs et cerveau d’Alcméon, dîtes-moi

Grand Cahier.585.Révolvie.035.Vauvert.11 {•••}


Dis...



Dis-moi,
enfant perché sur le dos d’un homme,

wî-
wala,
wisowiso

Où se cache-t-il
le douroucouli
des écorces noires ?

Sans fin et relégué
au clair de lune,
va-t-il chanter et rappeler

par ses milliers de cris
les rapaces qui dorment ?

Grand Cahier.587.Révolvie.035.Vauvert.12 {•••}


Ressac



Accroché au barreau de l’échelle,
incertain du temps qui reste à vivre –
écoutant, venues de toutes parts

les bribes d’une phrase qui arrive
et nous découvre

accroché, emportées comme akène
au fil du vent (la vague s’enroule et déferle,
l’eau est lisse et reflue –

il est si court le temps)
Les mots bientôt seront oubliés

Cette batture
entre deux paquets de mer
en est l’estrec

À peine a-t-on
compris que déjà, il nous faut
disparaître

Grand Cahier.588.Révolvie.035.Vauvert.13 {•••}


U



plus
tu écriras le mot
sur l’ensemble du ciel moins
tu percevras la
lettre

tu auras
beau de ta flamme en
déchirer le tissu
tu ne percevras
du monde

qu’une déchirure
immense
(incessamment)
qui se creuse et nous
échappe

Grand Cahier.590.Révolvie.035.Vauvert.14 {•••}


Aujourd'hui



Je dis qu’il faut être... veillant
professeur de sensualités

éveilleur des émotions d’une âme endormie

babillard remuant bras et jambes
dans le berceau de la nature

Je dis aussi qu’il faut aimer
la paisible férocité du jour

comme celle des nuits

le jeu continu des couleurs
la profondeur de l’infini

les beautés diverses du monde
la lumière oubliée

qui monte inconnue
des Espaces

le lieu de notre jour et notre unique vue

Grand Cahier.604.Révolvie.035.Vauvert.15 {•••}


Sisyphe



Un poème n’est jamais rien

– mais la plupart du temps, je roule une pierre, j’ai des soucis, j’ai mes affaires. Des petits riens ; je m’en occupe, sans y penser… ou bien je rêve. Et puis j’écris. Cette chose qui va naître, comment pourrait-elle naître pour n’être jamais rien ?

Mais les raisons sont difficiles à démêler, les raisons d’être, de les associer à tous les autres qui sont là, à l’autre

comme il va, comme il passe et qui est un grand mystère

Et cet être cet autre, qui en est l’auteur, est-ce moi est-ce toi, improbable lecteur ? Quand j’écris j’ai toujours en tête un autre qui me lit, et voit mes fautes, là, au lieu-dit à l’insu, m’empêchant d’aller en bien ou en mal où je voudrais…

Et plus tard quand tout est terminé, j’essaie d’oublier mes écrits pour laisser l’autre y revenir, et me lire en toute inconnaissance

Mais chaque fois, il y a (entre deux mots) un rien, un petit rien d’être, un quelque chose qui ne va pas. Il n’est jamais content, jamais !

Je change alors, ajoute un mot, un mot que je regrette un autre et recommence… ad libitum

Il faut pourtant qu’arrive un jour – Ai-je échoué ai-je réussi ? où je ne puisse plus jamais, où je ne puisse plus changer, quoi que ce soit

Il est en moi, dans tout mon être comme un tatouage indélébile, il est en moi la chair du monde

Grand Cahier.626.Révolvie.035.Vauvert.16 {•••}


Paroles



Tout proverbe a ses limites…

Certains diront qu’il vaut mieux
parfois se taire – soit dit
le silence est d’or,

mais d’autres les entendant
affirmeront à l’inverse
la parole est d’or –
est marquée du sceau de l’or –
inscrite en lettres d’or… Oui,

c’est vrai, mais alors
il faut lire entre les lignes
là où il n’y a pas de mots
mais des blancs ou des silences
ou l’absence d’une lettre
sur le clavier ‘azerty’
d’une Corona

Pour ma part je pense
que la poésie est l’or
des mots (

saisis en plein vol…
qu’il faut tamiser longtemps…
pour obtenir à la fin…

une pépite)
qui sera de silence ou
  d’ébahissement

Grand Cahier.635.Révolvie.035.Vauvert.17 {•••}


Ex-voto



Acacia des 4 vents, stylets d'oiseaux, jour dans l'ocre et le rouge. Il a fait froid long- temps. À l'extrémité de la hague tournoient les mots, j'étaye

Oui, je sais, précaire est la cassine – j'entends les trilles et les rondes, jusqu'à vouloir tenter le pas, jusqu'à ce coin perdu, jusqu'à la nuit. Le temps, sévère nous est compté.

Côte normande, Cap de la Hague
(1974)

Grand Cahier.630.Révolvie.035.Vauvert.18 {•••}

Ex-voto


Acacia des 4 vents, stylets d'oiseaux, jour dans l'ocre et le rouge. Il a fait froid long- temps. À l'extrémité de la hague tournoient les mots, j'étaye

Oui, je sais, précaire est la cassine – j'entends les trilles et les rondes, jusqu'à vouloir tenter le pas, jusqu'à ce coin perdu, jusqu'à la nuit. Le temps, sévère nous est compté.

Côte normande, Cap de la Hague
(1974)

Grand Cahier.630.Révolvie.035.Vauvert.18

Paroles


Tout proverbe a ses limites…

Certains diront qu’il vaut mieux
parfois se taire – soit dit
le silence est d’or,

mais d’autres les entendant
affirmeront à l’inverse
la parole est d’or –
est marquée du sceau de l’or –
inscrite en lettres d’or… Oui,

c’est vrai, mais alors
il faut lire entre les lignes
là où il n’y a pas de mots
mais des blancs ou des silences
ou l’absence d’une lettre
sur le clavier ‘azerty’
d’une Corona

Pour ma part je pense
que la poésie est l’or
des mots (

saisis en plein vol…
qu’il faut tamiser longtemps…
pour obtenir à la fin…

une pépite)
qui sera de silence ou
  d’ébahissement

René Barranco
De l'or et des mots
(2017)

Grand Cahier.635.Révolvie.035.Vauvert.17

Sisyphe


Un poème n’est jamais rien

– mais la plupart du temps, je roule une pierre, j’ai des soucis, j’ai mes affaires. Des petits riens ; je m’en occupe, sans y penser… ou bien je rêve. Et puis j’écris. Cette chose qui va naître, comment pourrait-elle naître pour n’être jamais rien ?

Mais les raisons sont difficiles à démêler, les raisons d’être, de les associer à tous les autres qui sont là, à l’autre

comme il va, comme il passe et qui est un grand mystère

Et cet être cet autre, qui en est l’auteur, est-ce moi est-ce toi, improbable lecteur ? Quand j’écris j’ai toujours en tête un autre qui me lit, et voit mes fautes, là, au lieu-dit à l’insu, m’empêchant d’aller en bien ou en mal où je voudrais…

Et plus tard quand tout est terminé, j’essaie d’oublier mes écrits pour laisser l’autre y revenir, et me lire en toute inconnaissance

Mais chaque fois, il y a (entre deux mots) un rien, un petit rien d’être, un quelque chose qui ne va pas. Il n’est jamais content, jamais !

Je change alors, ajoute un mot, un mot que je regrette un autre et recommence… ad libitum

Il faut pourtant qu’arrive un jour – Ai-je échoué ai-je réussi ? où je ne puisse plus jamais, où je ne puisse plus changer, quoi que ce soit

Il est en moi, dans tout mon être comme un tatouage indélébile, il est en moi la chair du monde

André Masson
Le mythe de Sysiphe
(1926)

Grand Cahier.626.Révolvie.035.Vauvert.16

Aujourd'hui


Je dis qu’il faut être... veillant
professeur de sensualités

éveilleur des émotions d’une âme endormie

babillard remuant bras et jambes
dans le berceau de la nature

Je dis aussi qu’il faut aimer
la paisible férocité du jour

comme celle des nuits

le jeu continu des couleurs
la profondeur de l’infini

les beautés diverses du monde
la lumière oubliée

qui monte inconnue
des Espaces

le lieu de notre jour et notre unique vue

Robert William Buss
Le rêve de Dickens
(1875)

Grand Cahier.604.Révolvie.035.Vauvert.15

U


plus
tu écriras le mot
sur l’ensemble du ciel moins
tu percevras la
lettre

tu auras
beau de ta flamme en
déchirer le tissu
tu ne percevras
du monde

qu’une déchirure
immense
(incessamment)
qui se creuse et nous
échappe

Camille Flammarion
L'Atmosphère Météorologie Populaire (Paris, 1888)
Recolorié 2015

Grand Cahier.590.Révolvie.035.Vauvert.14

Ressac


Accroché au barreau de l’échelle,
incertain du temps qui reste à vivre –
écoutant, venues de toutes parts

les bribes d’une phrase qui arrive
et nous découvre

accroché, emportées comme akène
au fil du vent (la vague s’enroule et déferle,
l’eau est lisse et reflue –

il est si court le temps)
Les mots bientôt seront oubliés

Cette batture
entre deux paquets de mer
en est l’estrec

À peine a-t-on
compris que déjà, il nous faut
disparaître

Nicolas de Staël
Plage (Paysage)
1952

Grand Cahier.588.Révolvie.035.Vauvert.13

Dis...


Dis-moi,
enfant perché sur le dos d’un homme,

wî-
wala,
wisowiso

Où se cache-t-il
le douroucouli
des écorces noires ?

Sans fin et relégué
au clair de lune,
va-t-il chanter et rappeler

par ses milliers de cris
les rapaces qui dorment ?

Douroucouli
Michel Guillet
(2015)

Grand Cahier.587.Révolvie.035.Vauvert.12

Le reste e(s)t la question


Dîtes-moi ce que sont les nombres ?

Pythagore à Crotone
Nerfs et cerveau d’Alcméon, dîtes-moi

Si tout est nombre

Ce qui suit le plus grand
c’est le rien, précédent
du plus petit
-
entre les deux
il n’y a que des nombres
qui ne sont rien

Pythagore à Crotone
Nerfs et cerveau d’Alcméon, dîtes-moi

Alcméon (à gauche) et Pythagore à Crotone
Ludovico Graziani
(1991)

Grand Cahier.585.Révolvie.035.Vauvert.11

Aiôn


Ce temps,
que nous avons construit
au cours de notre courte existence,
qu’est-il donc

face à la mer
immensément improbable,
instant qui clapote dans la nuit –

face à la mer
sans temps sans lieu sans bord,
qui jamais n’a commencé,
qui jamais n’en finira

Ici,
face à la mer nous voulions qu’il brille...
mais que peut bien vouloir dire – vouloir,
au sillon creusé des peines...

comme une fleur éphémère,
une lueur de luciole
disparue l’instant d’après

Il y a quelque chose avant l’un qui n’est pas rien, mais l’avant et le quelque chose sont de trop

Zao Wou Ki
Le vent pousse la mer
(2004)

Grand Cahier.582.Révolvie.035.Vauvert.10

A piece of evidence


(Un élément de preuve) est une absurdité
Une : evidence (obvious) est un jour une clarté
Est clair ce qui est délimité. Certes
Le soi est la définition de la vie
(Un intérieur, un extérieur – une limite
Mais il n'y a pas de parenthèse finale !
L'infini est sans limites
Dieu n'est pas clair !
L'existence… (n’est pas démontrable)
A plus forte raison
La sienne

– Et je parle des raisons du langage,

de ces mots, ces pièces à conviction, de quoi ces morceaux de preuve, sont-ils une évidence
Mais de quelle évidence parle-t-on

car il n’est rien dit de nouveau, le temps
est envie de rester à vif, rapide et constamment dans le repos de la lumière pour ne pas décrocher du dehors
est envie de rester soi-même
le temps, l’invention de la vie qui veut rester sur la vague
la vie, l’invention de l’amour qui se donne et qui donne la vie pour rester dans la rumeur

Le temps, l’invention de la mort
la vie luttant contre la vague
la vague qui déferle

jusqu’à la fin des
temps
(pour Maud)

Yves Tanguy
Divisibilité indéfinie
(1942)

Grand Cahier.581.Révolvie.035.Vauvert.09

Habiter


Chaque jour on s’égare un peu plus
À suivre des chemins de traverse

On va, on avance sans savoir
Chacun souhaite rentrer chez lui

Qui le veut, dans les lointains du monde
Peut bien croire oublier d’être ici

Mais si près du bleu des origines
Que nous reste-t-il encore à vivre

Lorsque la terre, au froid de la roche
Est neige, et se perd en ses hauteurs

Lita Albuquerque
Particle Horizon
(2014)

Grand Cahier.577.Révolvie.035.Vauverts.08

Ce que c’est que le sens


Si cœur premier tourne dans le sens d’une montre
au point x des engrenages paradoxaux
dans quel sens, cœur second
tourne-t-il ?

Diverge-t-il
où va-t-il s’égarer, dragon de Cracovie,
dans la boue, sous la pluie
des Carpates ?

Arrêtées
sur le bord de la route, vous brûlez
aussi bien que mil trois cents
voitures

Mais si cœurs
vous vous enflammez dans les banlieues,
dites-vous – qu’à la tangente alors –
on vous aime…

František Kupka
L'Acier Travaille
(1927)


Grand Cahier.568.Révolvie.035.Vauvert.07

Déblais


Relais bleus, filets violets, gaine bakélite
Poutrelles et feuilles mortes, langue de terre

Sucre des bétons électriques qui s’enfuient
Qui s’alignent sur les rails, ou talus qui monte

TGV flèche de biais, verte
Dans la clue des eaux et des cages
Des bricolages sur les prés

Des bouts furieux, du fond des bois
des sons, à la belle ordonnance,
grondent des lointains qu’on entend

Derkovits Gyula
Háztetők - Toits
(1926)

Grand Cahier.569.Révolvie.035.Vauvert.06

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte