*
Le voyageur a dit :
J’ai quitté sur le tard cette bouche d'ombre. J'ai marché très longtemps. La route conduisait jusqu’à cette trouée vers les terres – jusqu’à ce terme. Je débouche de l'ombre en lisière de forêt
Le voyageur a dit aussi :
Le ciel est un fleuve, une masse d'un seul bloc, un seul fleuve d'un bout à l'autre, une même eau, le ciel s’avance tout entier vers les confins du soir
Le voyageur s'attarde près de l'auberge,
on dirait qu’il écoute. Il aperçoit sur la place une fontaine de mélèze. Il boit une eau transparente. Elle est froide, et n’a pas de reflets
Le voyageur demande, le voyageur désire.
Un morceau de pain, le fil d’une musique, une taille à saisir, quelques danses qui l’entraînent, le baume d’un sourire
Le voyageur ne sait pas d’où il vient, sur quel seuil ni vers où il s’en va, il se tient obstinément sur le pas, à l’hui où l’on est, du jour sans rien savoir
Demain peut-être va-t-il partir. C’est sa façon
Reprendra-t-il la route ? au hasard, sans rien choisir, disparaissant dans l’ombre des grands arbres
|
Rose des vents de Normandie |
Grand Cahier.059.Révolvie.034.Le horzain.01
{•••}
|
À ses propos embarrassés...
|
À ses propos embarrassés,
le jeune homme répondit : « Suivez les cairns » puis s’en alla. Qu’y avait-il d’autre à faire ?
Il le vit qui s'éloignait dans la montagne suivant sans hésiter son chemin. Mais lui, perplexe dans son âge resta quelques minutes, à s’interroger encore
Quelle pouvait bien être la signification du parcours qu’il avait pris ? On pouvait percevoir dans leur langue respec- tive, étrange une proximité
Chacun poursuivant sa voie, il redescendit par la brèche, le jeune homme, quant à lui, grimpa jusqu'à toucher la corde d'une étoile
Grand Cahier.062.Révolvie.034.Le horzain.02
{•••}
|
Ce sont bien elles
que je poursuis !
Le croiriez-vous ?
En me voyant ainsi,
me diriez-vous
chasseur ?
Depuis toujours autant qu'il m'en souvienne
je demeure immobile
En mon for intérieur, j'espère
j’attends je m'impatiente
Mon frein je ronge
Ce ne sont qu'intrigues
et mauvais songes
Je suis – semeur de gravité
Je jette des cailloux dans le sentier
du jour. Je siffle je sifflote, prononce bien choisies
quelques syllabes, un nom qui les intrigue
séduisante une note,
qui va les attirer,
que sais-je
me cache en un fourré…
Jusqu’à ce qu’elles y viennent !
Grand Cahier.025.Révolvie.034.Le horzain.03
{•••}
|
Les cheveux que le vent secoua, claquent pleins d'étincelles quand tu les démêles, Ô peigne d'écaille, faiseur d'éclats
*
Otto von Guericke fabriqua une machine électrostatique constituée d'une sphère de soufre tournante. Il la frotta avec vigueur de ses rugueuses mains d'allemand. Il disait : « Les corps attirés par cette courte-boule – s'ils y touchent – s'électrifient, mais elle les repousse alors ! »
Stephen Gray suivi de Jean Desaguliers, protestant, parla d'un effluve qui dans les métaux circule et s'isole, vertu de la matière vitreuse ou résineuse. Il vit la terre immense comme un objet à disperser les charges. Expérimentateur, il suspendit à l'horizontale un jeune garçon par des fils de soie : comme il ap-prochait des pieds nus de celui-ci un bâton électrique, il nota que le visage et les mains attiraient les feuilles du métal conducteur
Charles François de Cisternay Du Fay imita Stephen Gray en utilisant le verre et le copal. Il proposa un fluide vitré et un fluide résineux. Il inventa un électroscope à boules de moelle de sureau, à feuilles d’or et à fils. Il réussit à transmettre le long d'une corde mouillée un courant sur quatre cents mètres de distance
Georg Bose rafistola la machine de Guericke avec du crin de cheval. L'usage d'une brosse lui sembla préférable à la paume de ses mains pour provoquer la sphère de soufre tournante. Il la piqua d'une tige métallique pour ainsi générer, en dehors de la terre, la charge et l'étincelle
Jesse Ramsden remplaça le crin de Bose par des peignes, des coussinets recouverts d'or et la sphère de soufre par un disque de verre. Benjamin Franklin améliora le tout d'un coussin de cuir
Le parallélisme augmentant le rendement énergétique, Johann Gabriel Doppelmayr fut, dit-on, la première victime à succomber à cet éclair de foudre
Grand Cahier.199.Révolvie.034.Le horzain.04
{•••}
|
Nombreux sont les chemins permettant d’accéder à ces lieux, à ces grandes places découvertes – places désertes entourées de porches crottés – surdimensionnés à l’endroit des chevaux, depuis les venelles abruptes avec la rivière en contre-bas jusqu’aux escaliers de bois taillés dans la glaise du coteau
Il avait suivi le décor des anciennes ruelles. Il s'était approprié, numérateur de ses forces, une bâtisse dont l'usage s'est perdu,
un vaste pavillon aux abords d'un jardin de clarté – remuements de vies infimes, âmes et souffles dans les hauteurs, chamboulements de boiseries sonores,
et dans l’ouverture, après les arbres, un avancement de docks, une carène qui se détache, coquille de sable évoquant les cornes de la mer
Il appréciait (il désirait) depuis longtemps, il avait lucide choisi l'excès, l'exubérance, il invitait et déclarait que tous les travaux sont de lumière, que notre effort est une haleine de lumière
Il ne savait faire autrement que – trouver, et voulait le montrer, le tenir dans l’évidence, comme une flamme native
Une réduction eidétique du chien rouge, une laque. Plus rien en lui qui ne relève d'une folie. Il avait gardé le corps nettement tracé, brillamment détaché du fond, les membres bien élancés. Et la tête était posée là, à plat qui vous regarde
Toutes les têtes sont mortelles qui bouillonnent d’un sang noir. Étoupes de cordages qui ressortent et masques de goudron sur la toile. Il avait voulu que le matériau soit brut, la force aveugle, terrassée. Le genou tombant dans la poussière, nécessaire comme une blessure
Exposé au mieux, le jazz cryptogamique, le fluide vert
Et comment l'homme devient le jardin du verbe, une écume libre, une parole lorsque la mer se retire et laisse longues s’étirer les algues
Par la fenêtre solitaire on pouvait voir au loin les crêtes endormies, le coq de feu du soir qui brillait sur la Perrine
Grand Cahier.111.Révolvie.034.Le horzain.05
{•••}
|
Une couleur et des signes
|
I
Si je regarde à la fenêtre ce tableau, dans le vallon- nement des collines, je vois, comme une empreinte laissée dans l’air de la nuit. Douce et mystérieuse une couleur.
Arrêtons-nous pour un instant, laissons remonter des eaux benthiques ces fines bulles de circonstances. Que sur- gisse de cette surface féerique une couleur un ton.
Essentielle couleur de celles qui s'approchent – qui le plus va s’approcher de l’aventure. Il va se produire quelque chose c’est certain. Une couleur visiblement qui se révèle.
Un air, une langue rose au bord de la villa
Tic et tac de l'horloge sonnent doucement depuis le so- leil jusqu’à la lune verte, répétés omniprésents.
Un chiffrier une couleur à l’horizon qui symbolise une pureté
Grand Cahier.395.Révolvie.034.Le horzain.06
{•••}
|
Une couleur et des signes
|
II
Le climat devient parfois tendu
parfois tragique,
c’est le reflet d'une inquiétude,
une jonchée de signes
au pied de la lanterne,
un tapis ravaudé de croix,
blanc,
le regard retourné
souriant de l’infirmière
Une couleur véritable
de celles
que l’on dit métaphysiques.
C’est une chose alors
que de saisir ce qui revient c’est une chose
que de comprendre,
une autre s'arrêter enfin
Grand Cahier.395.Révolvie.034.Le horzain.07
{•••}
|
Allons à l’essentiel.
Allons à cette substance de vérité qui traverse l’éphé- mère
Il disait que tout est là, indécidable, entre la plume suspendue et le livre, dans le silence des paroles – le savoir surpris dans les signes – dans le regard tourné vers cette fuite des lumières
Ce que conter veut dire, c'est de poser dans la lumière une stupeur
Les caissons représentés qui sont ceux de l'école réelle, l’alcôve et l'autel (l'alcôve d'or, sanguine sur le mur et l'ombre d'un christ à bannière) se tiennent substantivement dirais-je, dans la même clarté
Noir sagittaire ou miracle inaperçu. Ils se font face et sont prêts de disparaître, plus écoutant que regardant, l'un et l'autre dans son geste
Sur l'étagère, une collection de bibelots, de livres, une statuette de femme, qui valent autant que le nombre des années
Il y a dans le pays de sa pensée une île, un concentré de mémoire pour les siècles à venir
Les portes enfin sont ouvertes. Le rideau se lève sur des instruments de mesure, des instruments de pesées : temps et cuivres. Une sphère armillaire tourne au-dessus, l'encre s’accumule sur les tréteaux – Ce lettorin prodi- gieusement vide, garni de cuir et clouté de laiton est la roue des lectures
Sabliers jetés, les livres de musique, la populaire et la divine
La fenêtre du savoir répond à la fenêtre du jour annonciateur, coffre lumineux rempli des pointes effilées des ombres
C'est l'évidence si le petit chien frisé d'hermine regarde aussi
Grand Cahier.388.Révolvie.034.Le horzain.08
{•••}
|
Porte rêvée, lointaine, forteresse du rêve. Lieu de mar- bre sur les sables. Le ciel est lumineux, la mer bleu-vert
Regarde, Moqattam !
Comme une fuite de voiliers et de palmes
La ville s'est figée, le spectacle au balcon se déroule. Yeux des kiosques, yeux des belvédères, médaillons, cou- poles, minarets : l'imaginaire
Tapis se défait
Se délite au sol. Une brisée d'os et de membres, chairs blêmes, hypnotiques, démentielles
Harnaché de cuir rouge et de précieux camées, le che- val se cabre, le cavalier
Fixe l'indescriptible et attaque
La mort s'est fichée dans le fond de la gorge
Tombe
Qu'un jeu de formes infatigables, éternellement se tien- ne au-devant de la scène, luise noire une cuirasse et battue la retournée, l'ombre trifide aux ailes d'acanthes vers le néant
Regard ni ne hait, ni ne doute. Colombe du regard, pensif et résolu
Grand Cahier.319.Révolvie.034.Le horzain.09
{•••}
|
Je me souviens de cet endroit précisément, après les marches de l'été les jours, d'un enjambement à vous couper le souffle
en U ou en V,
de ces flèches éteintes jetées plusieurs fois retournées, parfaitement lacées – une attache une rivière
qui forme une boucle un nœud qui se referme alentour – ils ont pour eux sur cet éperon Zytglogge
(ont-ils dit de l'horloge et) les habitations de la Nydegg, le palais
et trois ponts aux trois angles qui surplombent
une eau de glace, une eau précipitée proprement lisse, une langue d'eau froide issue de la montagne
Le vert domine c'est la couleur des pierres, le temps domine dans ses ors, doublement mesuré, assis au centre de la ville. Les rails du tramway vont de fontaines en fontaines jusqu'à la fosse de l'ours
Je me souviens d’avoir vu le lion des Zähringen, un sol- dat bariolé qui se tient sur son style. Le coureur, le tireur, le banneret
Je me souviens d’avoir pris relative l'oblique en m'en- fonçant sous les arcades. Blanche avancée des toits, cisaille à même la rudesse des climats
« Le soleil est intense il transperce aujourd'hui »
Je me souviens avoir fait cette remarque et cherché en dehors des saisons une fraîcheur, les produits obtenus d'un carré de jardin
De ce lieu je dirais qu'il reflète les vertus de l'ordre et du repos, le temps méditatif.
Calés contre la haute jambe du pont, certains hommes du pays jonglent sur l'échiquier, d'autres, nageurs lassés, en bas sous l'écume verte se laissent porter par le flot large
Grand Cahier.070.Révolvie.034.Le horzain.10
{•••}
|
Faut-il que le rouge et le pourpre envahissent leurs joues, que leur parfum se perde au mont Calvaire ou sur les marches d'un temple aztèque. Faut-il que leur tête penche plus bas que terre
Honte, chagrin, tristesse sont le lot des fuchsias dont les fleurs naissent d'une goutte de sang tombé
Mrs Popple n'a jamais craint le froid, non plus qu'Alice Hoffman qui s'habille d'un rien, robe rose et blanche corolle, encore moins qu'Army Nurse (elle, c'est grand calice carmin et bleu col violet) ou simple Barbara
Mais doivent-elles s'exhiber ainsi par tous les temps, les formes ont-elles un psychisme caché ?
Comme le tronc ligneux et décentré (sombre où tout est mort-vivant) d'un prunier sauvage, comme la gueule carnivore à double pendentif et les traits tourmentés des rameaux sur le blanc cassé de la page
Grand Cahier.432.Révolvie.034.Le horzain.11
{•••}
|
Ainsi l’ordonna Louis en 1688,
Loisible est « de planter, cultiver et eslever toutes sortes de simples et plantes nécessaires à la pharmacie »
Le même toujours en 1726,
Nous, Louis, disons par ordonnance « aux capitaines des navires, marchands ou militaires, allant aux Isles de rapporter - comme il fut fait du Magnolia Grandiflore et du Camélia Japonais - toutes plantes médicinales qu'ils décou- vriront en leurs voyages aux longs cours, d'en prendre soin pendant la traversée et de les remettre aux apothicaires »
Ces végétaux seront ensuite testés, rafraîchis aux jardins des plantes d'Angers, de Nantes et de Paris
En ces lieux herborisant, ils serviront, à l'ins-truction de leurs élèves
Et les Maîtres, dans le cliquetis des éprouvettes et le bouillonnement des cornues, fabriqueront la Grande Thé- riaque et la « Confectio de Hyacintho » à base d'opium et d’hyacinthe bien sûr, mais aussi de morceaux de vipères, d'yeux d'écrevisses et de feuilles de dictame de Crète
Tous ces électuaires et remèdes iront en retour garnir les coffres de marine confiés aux chirurgiens embarqués sur les vaisseaux de commerce ou de guerre
Grand Cahier.285.Révolvie.034.Le horzain.NN
{•••}
|
Disperse tes pensées au vent de sable quand l'heure viendra. Cette drôle de chose qui s'approche d'un pas majestueux, c'est le simoun à la démarche roulante
Les yeux te brûlent : brûle ton cœur. Au dehors est le grand vide
Sois patient, d'une patience puissante comme l'océan qui bat la falaise jusqu'à la faire s’effondrer. Que ta volonté soit souple comme une mèche de vent qui se courbe sur la dune
Lent et délicat est le temps refleuri de la rose des sables
Harassé par le blanc imprescriptible, le rouge au loin saignant et l'or pâle des journées, tous ces feuillets qui s'envolent, ces pages coloriées qu'on expédie sans rien savoir (sois tranquille) n'auront pas le destin éphémère de la rosée qui se dépose à l'aube et s'évanouit aux lueurs du soleil
Le désert est en tôle ondulée, le désert est rusé comme un fauve qui bondit avant même, d’avoir eu faim
Grand Cahier.141.Révolvie.034.Le horzain.13
{•••}
|
Après le temps, bien après
l'hiver – endormi, délaissé (quand la lumière est au plus bas), après la neige
sa lenteur indécise, comme une idée sous les grands froids – les espaces figés, les contrastes saillants, les chemins trop marqués –
quand la neige devient
sloche, que les tourbes renaissent – et la glace est grise et l'argile recolle – te faisant chaque fois un peu plus prisonnier
le soleil vient reprendre ses droits – instant turbide où s'accordent le roux et l'or – la macération des sols pour la prochaine levée, l'éclos
Grand Cahier.026.Révolvie.034.Le horzain.14
{•••}
|
Sempre caro mi fu quest'ermo colle,
E questa siepe, che da tanta parte
Dell'ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo ; ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando : e mi sovvien l'eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Così tra questa
Immensità s'annega il pensier mio :
E il naufragar m'è dolce in questo mare.
Et je redis,
Toujours me fut chère cette ferme colline
Et cette haie qui, de toutes parts,
Dérobe à mes regards le lointain horizon.
Mais, solitaire, assis là regardant
L'interminable espace au-delà d'elle,
Et le surhumain silence, dans mon esprit
Se forme une très profonde quiétude ;
Alors, peu s'en faut que le cœur ne défaille.
Et comme j'entends bruire le vent dans le feuillage ;
Cet infini silence, et cette voix, je les compare,
Je me souviens de l'éternel, et des saisons passées,
De celle d'aujourd'hui, présente et vive
Et de son chant. Aussi dans cette immensité
S'abolit ma pensée. Et dans cette mer…
Qu'il est doux le naufrage.
Grand Cahier.380.Révolvie.034.Le horzain.17
{•••}
|
Une étoile scintille au travers de la vitre...
Une larme longtemps persiste au coin de l’œil
Aucun rempart doré n’existe dans la nuit
Aucun mot n’existe, tous les mots sont usés
Le cadre de la vitre est noir infiniment
Nul jamais ne s’appuie au mur d'éternité
L'écart est grand, si prodigieuse est la distance
L'esprit s'endort. Que pourrait-il imaginer ?
Une eau du fond du puits remonte cristalline
Un froid va se loger dans l'angle du jardin
|
Mark Rothko Blue, Green, Brown (1952) |
Grand Cahier.150.Révolvie.034.Le horzain.18
{•••}
|