Paroles


Tout proverbe a ses limites…

Certains diront qu’il vaut mieux
parfois se taire – soit dit
le silence est d’or,

mais d’autres les entendant
affirmeront à l’inverse
la parole est d’or –
est marquée du sceau de l’or –
inscrite en lettres d’or… Oui,

c’est vrai, mais alors
il faut lire entre les lignes
là où il n’y a pas de mots
mais des blancs ou des silences
ou l’absence d’une lettre
sur le clavier ‘azerty’
d’une Corona

Pour ma part je pense
que la poésie est l’or
des mots (

saisis en plein vol…
qu’il faut tamiser longtemps…
pour obtenir à la fin…

une pépite)
qui sera de silence ou
  d’ébahissement

René Barranco
De l'or et des mots
(2017)

Grand Cahier.635.Révolvie.035.Vauvert.17

Sisyphe


Un poème n’est jamais rien

– mais la plupart du temps, je roule une pierre, j’ai des soucis, j’ai mes affaires. Des petits riens ; je m’en occupe, sans y penser… ou bien je rêve. Et puis j’écris. Cette chose qui va naître, comment pourrait-elle naître pour n’être jamais rien ?

Mais les raisons sont difficiles à démêler, les raisons d’être, de les associer à tous les autres qui sont là, à l’autre

comme il va, comme il passe et qui est un grand mystère

Et cet être cet autre, qui en est l’auteur, est-ce moi est-ce toi, improbable lecteur ? Quand j’écris j’ai toujours en tête un autre qui me lit, et voit mes fautes, là, au lieu-dit à l’insu, m’empêchant d’aller en bien ou en mal où je voudrais…

Et plus tard quand tout est terminé, j’essaie d’oublier mes écrits pour laisser l’autre y revenir, et me lire en toute inconnaissance

Mais chaque fois, il y a (entre deux mots) un rien, un petit rien d’être, un quelque chose qui ne va pas. Il n’est jamais content, jamais !

Je change alors, ajoute un mot, un mot que je regrette un autre et recommence… ad libitum

Il faut pourtant qu’arrive un jour – Ai-je échoué ai-je réussi ? où je ne puisse plus jamais, où je ne puisse plus changer, quoi que ce soit

Il est en moi, dans tout mon être comme un tatouage indélébile, il est en moi la chair du monde

André Masson
Le mythe de Sysiphe
(1926)

Grand Cahier.626.Révolvie.035.Vauvert.16

Aujourd'hui


Je dis qu’il faut être... veillant
professeur de sensualités

éveilleur des émotions d’une âme endormie

babillard remuant bras et jambes
dans le berceau de la nature

Je dis aussi qu’il faut aimer
la paisible férocité du jour

comme celle des nuits

le jeu continu des couleurs
la profondeur de l’infini

les beautés diverses du monde
la lumière oubliée

qui monte inconnue
des Espaces

le lieu de notre jour et notre unique vue

Robert William Buss
Le rêve de Dickens
(1875)

Grand Cahier.604.Révolvie.035.Vauvert.15

U


plus
tu écriras le mot
sur l’ensemble du ciel moins
tu percevras la
lettre

tu auras
beau de ta flamme en
déchirer le tissu
tu ne percevras
du monde

qu’une déchirure
immense
(incessamment)
qui se creuse et nous
échappe

Camille Flammarion
L'Atmosphère Météorologie Populaire (Paris, 1888)
Recolorié 2015

Grand Cahier.590.Révolvie.035.Vauvert.14

Ressac


Accroché au barreau de l’échelle,
incertain du temps qui reste à vivre –
écoutant, venues de toutes parts

les bribes d’une phrase qui arrive
et nous découvre

accroché, emportées comme akène
au fil du vent (la vague s’enroule et déferle,
l’eau est lisse et reflue –

il est si court le temps)
Les mots bientôt seront oubliés

Cette batture
entre deux paquets de mer
en est l’estrec

À peine a-t-on
compris que déjà, il nous faut
disparaître

Nicolas de Staël
Plage (Paysage)
1952

Grand Cahier.588.Révolvie.035.Vauvert.13

Dis...


Dis-moi,
enfant perché sur le dos d’un homme,

wî-
wala,
wisowiso

Où se cache-t-il
le douroucouli
des écorces noires ?

Sans fin et relégué
au clair de lune,
va-t-il chanter et rappeler

par ses milliers de cris
les rapaces qui dorment ?

Douroucouli
Michel Guillet
(2015)

Grand Cahier.587.Révolvie.035.Vauvert.12

Le reste e(s)t la question


Dîtes-moi ce que sont les nombres ?

Pythagore à Crotone
Nerfs et cerveau d’Alcméon, dîtes-moi

Si tout est nombre

Ce qui suit le plus grand
c’est le rien, précédent
du plus petit
-
entre les deux
il n’y a que des nombres
qui ne sont rien

Pythagore à Crotone
Nerfs et cerveau d’Alcméon, dîtes-moi

Alcméon (à gauche) et Pythagore à Crotone
Ludovico Graziani
(1991)

Grand Cahier.585.Révolvie.035.Vauvert.11

Aiôn


Ce temps,
que nous avons construit
au cours de notre courte existence,
qu’est-il donc

face à la mer
immensément improbable,
instant qui clapote dans la nuit –

face à la mer
sans temps sans lieu sans bord,
qui jamais n’a commencé,
qui jamais n’en finira

Ici,
face à la mer nous voulions qu’il brille...
mais que peut bien vouloir dire – vouloir,
au sillon creusé des peines...

comme une fleur éphémère,
une lueur de luciole
disparue l’instant d’après

Il y a quelque chose avant l’un qui n’est pas rien, mais l’avant et le quelque chose sont de trop

Zao Wou Ki
Le vent pousse la mer
(2004)

Grand Cahier.582.Révolvie.035.Vauvert.10

A piece of evidence


(Un élément de preuve) est une absurdité
Une : evidence (obvious) est un jour une clarté
Est clair ce qui est délimité. Certes
Le soi est la définition de la vie
(Un intérieur, un extérieur – une limite
Mais il n'y a pas de parenthèse finale !
L'infini est sans limites
Dieu n'est pas clair !
L'existence… (n’est pas démontrable)
A plus forte raison
La sienne

– Et je parle des raisons du langage,

de ces mots, ces pièces à conviction, de quoi ces morceaux de preuve, sont-ils une évidence
Mais de quelle évidence parle-t-on

car il n’est rien dit de nouveau, le temps
est envie de rester à vif, rapide et constamment dans le repos de la lumière pour ne pas décrocher du dehors
est envie de rester soi-même
le temps, l’invention de la vie qui veut rester sur la vague
la vie, l’invention de l’amour qui se donne et qui donne la vie pour rester dans la rumeur

Le temps, l’invention de la mort
la vie luttant contre la vague
la vague qui déferle

jusqu’à la fin des
temps
(pour Maud)

Yves Tanguy
Divisibilité indéfinie
(1942)

Grand Cahier.581.Révolvie.035.Vauvert.09

Habiter


Chaque jour on s’égare un peu plus
À suivre des chemins de traverse

On va, on avance sans savoir
Chacun souhaite rentrer chez lui

Qui le veut, dans les lointains du monde
Peut bien croire oublier d’être ici

Mais si près du bleu des origines
Que nous reste-t-il encore à vivre

Lorsque la terre, au froid de la roche
Est neige, et se perd en ses hauteurs

Lita Albuquerque
Particle Horizon
(2014)

Grand Cahier.577.Révolvie.035.Vauverts.08

Ce que c’est que le sens


Si cœur premier tourne dans le sens d’une montre
au point x des engrenages paradoxaux
dans quel sens, cœur second
tourne-t-il ?

Diverge-t-il
où va-t-il s’égarer, dragon de Cracovie,
dans la boue, sous la pluie
des Carpates ?

Arrêtées
sur le bord de la route, vous brûlez
aussi bien que mil trois cents
voitures

Mais si cœurs
vous vous enflammez dans les banlieues,
dites-vous – qu’à la tangente alors –
on vous aime…

František Kupka
L'Acier Travaille
(1927)


Grand Cahier.568.Révolvie.035.Vauvert.07

Déblais


Relais bleus, filets violets, gaine bakélite
Poutrelles et feuilles mortes, langue de terre

Sucre des bétons électriques qui s’enfuient
Qui s’alignent sur les rails, ou talus qui monte

TGV flèche de biais, verte
Dans la clue des eaux et des cages
Des bricolages sur les prés

Des bouts furieux, du fond des bois
des sons, à la belle ordonnance,
grondent des lointains qu’on entend

Derkovits Gyula
Háztetők - Toits
(1926)

Grand Cahier.569.Révolvie.035.Vauvert.06

Épopée comique en H mineur


J’aurais dû me douter de la nécessité d’un guide à l’évasion !

J’irai sans peur, j’irai quand même
enfermé à bord d’un tube rudimentaire en train de se remplir de vapeurs essentielles, un tube gris d’une époque cinquan­tenaire qui traversa les Sahara

Panne après trente kilomètres… Une heure à peine, mais ce n’est que le frigo, il a grillé l’alternateur… Dans quoi suis-je donc embarqué ?

Un diable rouge se balance à la fenêtre. Il me gâche la vue ! Allez, j’irai sans peur, j’irai quand même

– elle est ronde la boule avec une boussole –
photographiant des tracteurs verts, montant (perdu dans les Tyrol) jusqu’au lac haut perché

pour redescendre vers les rives du Danube dans la fureur des bielles

Sur vos bras et vos jambes, ils se jettent,, comme ils sont gros, comme ils sont avides, attaquant l’épaule ou la cheville. Et quand les feux s’éteignent, on n’entend plus que les péniches qui bourdonnent,

et pour gâcher le tout, un temps à déchausser les pneus
René Magritte
Tracteur vert
(1965)
Grand Cahier.565.Révolvie.035.Vauvert.05

Calcarine


Des deux côtés de la route les blés jaunissent
La terre est un plâtre gris en train de sécher
Il y a à toutes les branches des fruits rouges
Les haies s’enchevêtrent de métal et de baies

Dans la campagne profondément je m’avance
Je pousse à la roue jusqu’au plan de Savonnières
Jusqu’au scintillement des eaux calmes du Cher
Où s’appuieront sur le vent les plus sombres gabares

Il me prend tout d’un coup l’envie de m’arrêter
Immobile, non loin des coteaux, dans les grottes
L’envie de voir, goutte après goutte prendre forme
La robe cristalline des menues objets

Félix Vallotton
Soirée sur la Loire
(1923)

Grand Cahier.563.Révolvie.035.Vauvert.04

Transition


L’heure a mûri
bientôt va se jouer un beau match

Ils vont se battre sans vergogne entre les mâts. C'est un jeu de nuages c'est un jeu de go, et dans nos stratégies, des plumes de canard

La patrouille a zébré le ciel, tout ce vacarme est trico- lore. Clignement des lumières, les jaunes les rouges mais aussi les bleu-rose. Le bout du quai nous lancerait-il des signaux ?

Voyez comme ils insistent. Les silhouettes des grands arbres nous surveillent, aux alentours du lac

Il faut toujours les vénérer du coin de l’œil…

Raoul Dufy
Deauville
(1938)

Grand Cahier.559.Révolvie.035.Vauvert.03

Bords de Meuse


Bien ancrée
aux vignes du soleil, la rivière est aussi paisible, entre ses deux talus verts que la tranchée du canal

On passe au-dessus puis au-dessous du pont
On est pris dans les nœuds du village On s’interroge, va-t-on démêler le mystère On ne se prendra pas la tête, malgré le contredit des cartes

Piégé entre quai et parapet, ici perdu là retrouvé, indé- cis en lévitation / pétaradant

au final On est sorti quand même, grimpant avec diffi- cultés par des tunnels
Ah ! Qu’il est beau
le pays
vue

des hauts bords
de la route des alpages

Modeste-Jean Lhomme
Bords de Meuse, entre
(1906 et... 2006)

Grand Cahier.558.Révolvie.035.Vauvert.02

Partir


Il est trois heures
Dans une chambre aux limites de la ville, quelqu'un s'éveille. Il faut se lever. Les paupières sont lourdes et les rêves battent de l'aile
De nouveau, les doutes qui poignent

Mais il est trop tard, c'est l'heure
Couper la sonnerie,
en silence et dans le noir,
se lever, s'habiller

Hier, on a rempli le sac et consulté les cartes. Vérifier qu'on n'a rien oublié. Entrebâiller la porte en silence et partir…

Quand le coup de vent
et la pointe du jour sépareront ciel et terre, ligne bleuissant, là-bas, près de la haie lointaine

Nicolas de Staël
Paysage du midi
(1953)

Grand Cahier.591.Révolvie.035.Vauvert.01

Le horzain

*

Le voyageur a dit :

J’ai quitté sur le tard cette bouche d'ombre. J'ai marché très longtemps. La route conduisait jusqu’à cette trouée vers les terres – jusqu’à ce terme. Je débouche de l'ombre en lisière de forêt

Le voyageur a dit aussi :

Le ciel est un fleuve, une masse d'un seul bloc, un seul fleuve d'un bout à l'autre, une même eau, le ciel s’avance tout entier vers les confins du soir

Le voyageur s'attarde près de l'auberge,

on dirait qu’il écoute. Il aperçoit sur la place une fontaine de mélèze. Il boit une eau transparente. Elle est froide, et n’a pas de reflets

Le voyageur demande, le voyageur désire.

Un morceau de pain, le fil d’une musique, une taille à saisir, quelques danses qui l’entraînent, le baume d’un sourire
Le voyageur ne sait pas d’où il vient, sur quel seuil ni vers où il s’en va, il se tient obstinément sur le pas, à l’hui où l’on est, du jour sans rien savoir

Demain peut-être va-t-il partir. C’est sa façon
Reprendra-t-il la route ? au hasard, sans rien choisir, disparaissant dans l’ombre des grands arbres

Rose des vents de
Normandie

Grand Cahier.059.Révolvie.034.Le horzain.01 {•••}


À ses propos embarrassés...



À ses propos embarrassés,
le jeune homme répondit : « Suivez les cairns » puis s’en alla. Qu’y avait-il d’autre à faire ?

Il le vit qui s'éloignait dans la montagne suivant sans hésiter son chemin. Mais lui, perplexe dans son âge resta quelques minutes, à s’interroger encore

Quelle pouvait bien être la signification du parcours qu’il avait pris ? On pouvait percevoir dans leur langue respec- tive, étrange une proximité

Chacun poursuivant sa voie, il redescendit par la brèche, le jeune homme, quant à lui, grimpa jusqu'à toucher la corde d'une étoile

Grand Cahier.062.Révolvie.034.Le horzain.02 {•••}


Minotaure



Ce sont bien elles
que je poursuis !

Le croiriez-vous ?
En me voyant ainsi,
me diriez-vous 

chasseur ?

Depuis toujours autant qu'il m'en souvienne
je demeure immobile
En mon for intérieur, j'espère
j’attends je m'impatiente

Mon frein je ronge
Ce ne sont qu'intrigues
et mauvais songes

Je suis – semeur de gravité

Je jette des cailloux dans le sentier
du jour. Je siffle je sifflote, prononce bien choisies
quelques syllabes, un nom qui les intrigue
séduisante une note,

qui va les attirer,
que sais-je
me cache en un fourré…

Jusqu’à ce qu’elles y viennent !

Grand Cahier.025.Révolvie.034.Le horzain.03 {•••}


Les fées



Les cheveux que le vent secoua, claquent pleins d'étincelles quand tu les démêles, Ô peigne d'écaille, faiseur d'éclats
*

Otto von Guericke fabriqua une machine électrostatique constituée d'une sphère de soufre tournante. Il la frotta avec vigueur de ses rugueuses mains d'allemand. Il disait : « Les corps attirés par cette courte-boule – s'ils y touchent – s'électrifient, mais elle les repousse alors ! »

Stephen Gray suivi de Jean Desaguliers, protestant, parla d'un effluve qui dans les métaux circule et s'isole, vertu de la matière vitreuse ou résineuse. Il vit la terre immense comme un objet à disperser les charges. Expérimentateur, il suspendit à l'horizontale un jeune garçon par des fils de soie : comme il ap-prochait des pieds nus de celui-ci un bâton électrique, il nota que le visage et les mains attiraient les feuilles du métal conducteur

Charles François de Cisternay Du Fay imita Stephen Gray en utilisant le verre et le copal. Il proposa un fluide vitré et un fluide résineux. Il inventa un électroscope à boules de moelle de sureau, à feuilles d’or et à fils. Il réussit à transmettre le long d'une corde mouillée un courant sur quatre cents mètres de distance

Georg Bose rafistola la machine de Guericke avec du crin de cheval. L'usage d'une brosse lui sembla préférable à la paume de ses mains pour provoquer la sphère de soufre tournante. Il la piqua d'une tige métallique pour ainsi générer, en dehors de la terre, la charge et l'étincelle

Jesse Ramsden remplaça le crin de Bose par des peignes, des coussinets recouverts d'or et la sphère de soufre par un disque de verre. Benjamin Franklin améliora le tout d'un coussin de cuir

Le parallélisme augmentant le rendement énergétique, Johann Gabriel Doppelmayr fut, dit-on, la première victime à succomber à cet éclair de foudre

Grand Cahier.199.Révolvie.034.Le horzain.04 {•••}


Le peintre



Nombreux sont les chemins permettant d’accéder à ces lieux, à ces grandes places découvertes – places désertes entourées de porches crottés – surdimensionnés à l’endroit des chevaux, depuis les venelles abruptes avec la rivière en contre-bas jusqu’aux escaliers de bois taillés dans la glaise du coteau

Il avait suivi le décor des anciennes ruelles. Il s'était approprié, numérateur de ses forces, une bâtisse dont l'usage s'est perdu,

un vaste pavillon aux abords d'un jardin de clarté – remuements de vies infimes, âmes et souffles dans les hauteurs, chamboulements de boiseries sonores,

et dans l’ouverture, après les arbres, un avancement de docks, une carène qui se détache, coquille de sable évoquant les cornes de la mer

Il appréciait (il désirait) depuis longtemps, il avait lucide choisi l'excès, l'exubérance, il invitait et déclarait que tous les travaux sont de lumière, que notre effort est une haleine de lumière

Il ne savait faire autrement que – trouver, et voulait le montrer, le tenir dans l’évidence, comme une flamme native

Une réduction eidétique du chien rouge, une laque. Plus rien en lui qui ne relève d'une folie. Il avait gardé le corps nettement tracé, brillamment détaché du fond, les membres bien élancés. Et la tête était posée là, à plat qui vous regarde

Toutes les têtes sont mortelles qui bouillonnent d’un sang noir. Étoupes de cordages qui ressortent et masques de goudron sur la toile. Il avait voulu que le matériau soit brut, la force aveugle, terrassée. Le genou tombant dans la poussière, nécessaire comme une blessure

Exposé au mieux, le jazz cryptogamique, le fluide vert
Et comment l'homme devient le jardin du verbe, une écume libre, une parole lorsque la mer se retire et laisse longues s’étirer les algues

Par la fenêtre solitaire on pouvait voir au loin les crêtes endormies, le coq de feu du soir qui brillait sur la Perrine

Grand Cahier.111.Révolvie.034.Le horzain.05 {•••}


Une couleur et des signes



I

Si je regarde à la fenêtre ce tableau, dans le vallon- nement des collines, je vois, comme une empreinte laissée dans l’air de la nuit. Douce et mystérieuse une couleur.

Arrêtons-nous pour un instant, laissons remonter des eaux benthiques ces fines bulles de circonstances. Que sur- gisse de cette surface féerique une couleur un ton.

Essentielle couleur de celles qui s'approchent – qui le plus va s’approcher de l’aventure. Il va se produire quelque chose c’est certain. Une couleur visiblement qui se révèle.

Un air, une langue rose au bord de la villa

Tic et tac de l'horloge sonnent doucement depuis le so- leil jusqu’à la lune verte, répétés omniprésents.

Un chiffrier une couleur à l’horizon qui symbolise une pureté

Grand Cahier.395.Révolvie.034.Le horzain.06 {•••}


Une couleur et des signes



II

Le climat devient parfois tendu
parfois tragique,
c’est le reflet d'une inquiétude,
une jonchée de signes
au pied de la lanterne,
un tapis ravaudé de croix,
blanc,
le regard retourné
souriant de l’infirmière

Une couleur véritable
de celles
que l’on dit métaphysiques.
C’est une chose alors
que de saisir ce qui revient c’est une chose
que de comprendre,
une autre s'arrêter enfin

Grand Cahier.395.Révolvie.034.Le horzain.07 {•••}


Fingebat



Allons à l’essentiel.
Allons à cette substance de vérité qui traverse l’éphé- mère

Il disait que tout est là, indécidable, entre la plume suspendue et le livre, dans le silence des paroles – le savoir surpris dans les signes – dans le regard tourné vers cette fuite des lumières

Ce que conter veut dire, c'est de poser dans la lumière une stupeur

Les caissons représentés qui sont ceux de l'école réelle, l’alcôve et l'autel (l'alcôve d'or, sanguine sur le mur et l'ombre d'un christ à bannière) se tiennent substantivement dirais-je, dans la même clarté
Noir sagittaire ou miracle inaperçu. Ils se font face et sont prêts de disparaître, plus écoutant que regardant, l'un et l'autre dans son geste
Sur l'étagère, une collection de bibelots, de livres, une statuette de femme, qui valent autant que le nombre des années

Il y a dans le pays de sa pensée une île, un concentré de mémoire pour les siècles à venir

Les portes enfin sont ouvertes. Le rideau se lève sur des instruments de mesure, des instruments de pesées : temps et cuivres. Une sphère armillaire tourne au-dessus, l'encre s’accumule sur les tréteaux – Ce lettorin prodi- gieusement vide, garni de cuir et clouté de laiton est la roue des lectures

Sabliers jetés, les livres de musique, la populaire et la divine
La fenêtre du savoir répond à la fenêtre du jour annonciateur, coffre lumineux rempli des pointes effilées des ombres
C'est l'évidence si le petit chien frisé d'hermine regarde aussi

Grand Cahier.388.Révolvie.034.Le horzain.08 {•••}


Douceur d'Andromède



Porte rêvée, lointaine, forteresse du rêve. Lieu de mar- bre sur les sables. Le ciel est lumineux, la mer bleu-vert
Regarde, Moqattam !
Comme une fuite de voiliers et de palmes
La ville s'est figée, le spectacle au balcon se déroule. Yeux des kiosques, yeux des belvédères, médaillons, cou- poles, minarets : l'imaginaire
Tapis se défait

Se délite au sol. Une brisée d'os et de membres, chairs blêmes, hypnotiques, démentielles
Harnaché de cuir rouge et de précieux camées, le che- val se cabre, le cavalier
Fixe l'indescriptible et attaque
La mort s'est fichée dans le fond de la gorge

Tombe

Qu'un jeu de formes infatigables, éternellement se tien- ne au-devant de la scène, luise noire une cuirasse et battue la retournée, l'ombre trifide aux ailes d'acanthes vers le néant

Regard ni ne hait, ni ne doute. Colombe du regard, pensif et résolu

Grand Cahier.319.Révolvie.034.Le horzain.09 {•••}


Bernoise en 13



Je me souviens de cet endroit précisément, après les marches de l'été les jours, d'un enjambement à vous couper le souffle
en U ou en V,
de ces flèches éteintes jetées plusieurs fois retournées, parfaitement lacées – une attache une rivière
qui forme une boucle un nœud qui se referme alentour – ils ont pour eux sur cet éperon Zytglogge
(ont-ils dit de l'horloge et) les habitations de la Nydegg, le palais
et trois ponts aux trois angles qui surplombent
une eau de glace, une eau précipitée proprement lisse, une langue d'eau froide issue de la montagne

Le vert domine c'est la couleur des pierres, le temps domine dans ses ors, doublement mesuré, assis au centre de la ville. Les rails du tramway vont de fontaines en fontaines jusqu'à la fosse de l'ours

Je me souviens d’avoir vu le lion des Zähringen, un sol- dat bariolé qui se tient sur son style. Le coureur, le tireur, le banneret

Je me souviens d’avoir pris relative l'oblique en m'en- fonçant sous les arcades. Blanche avancée des toits, cisaille à même la rudesse des climats

« Le soleil est intense il transperce aujourd'hui »

Je me souviens avoir fait cette remarque et cherché en dehors des saisons une fraîcheur, les produits obtenus d'un carré de jardin

De ce lieu je dirais qu'il reflète les vertus de l'ordre et du repos, le temps méditatif.

Calés contre la haute jambe du pont, certains hommes du pays jonglent sur l'échiquier, d'autres, nageurs lassés, en bas sous l'écume verte se laissent porter par le flot large

Grand Cahier.070.Révolvie.034.Le horzain.10 {•••}


Buisson de beauté



Faut-il que le rouge et le pourpre envahissent leurs joues, que leur parfum se perde au mont Calvaire ou sur les marches d'un temple aztèque. Faut-il que leur tête penche plus bas que terre

Honte, chagrin, tristesse sont le lot des fuchsias dont les fleurs naissent d'une goutte de sang tombé

Mrs Popple n'a jamais craint le froid, non plus qu'Alice Hoffman qui s'habille d'un rien, robe rose et blanche corolle, encore moins qu'Army Nurse (elle, c'est grand calice carmin et bleu col violet) ou simple Barbara

Mais doivent-elles s'exhiber ainsi par tous les temps, les formes ont-elles un psychisme caché ?

Comme le tronc ligneux et décentré (sombre où tout est mort-vivant) d'un prunier sauvage, comme la gueule carnivore à double pendentif et les traits tourmentés des rameaux sur le blanc cassé de la page

Grand Cahier.432.Révolvie.034.Le horzain.11 {•••}


Aux jardins de Loire



Ainsi l’ordonna Louis en 1688,
Loisible est « de planter, cultiver et eslever toutes sortes de simples et plantes nécessaires à la pharmacie »

Le même toujours en 1726,
Nous, Louis, disons par ordonnance « aux capitaines des navires, marchands ou militaires, allant aux Isles de rapporter - comme il fut fait du Magnolia Grandiflore et du Camélia Japonais - toutes plantes médicinales qu'ils décou- vriront en leurs voyages aux longs cours, d'en prendre soin pendant la traversée et de les remettre aux apothicaires »

Ces végétaux seront ensuite testés, rafraîchis aux jardins des plantes d'Angers, de Nantes et de Paris

En ces lieux herborisant, ils serviront, à l'ins-truction de leurs élèves

Et les Maîtres, dans le cliquetis des éprouvettes et le bouillonnement des cornues, fabriqueront la Grande Thé- riaque et la « Confectio de Hyacintho » à base d'opium et d’hyacinthe bien sûr, mais aussi de morceaux de vipères, d'yeux d'écrevisses et de feuilles de dictame de Crète

Tous ces électuaires et remèdes iront en retour garnir les coffres de marine confiés aux chirurgiens embarqués sur les vaisseaux de commerce ou de guerre

Grand Cahier.285.Révolvie.034.Le horzain.NN {•••}


Le désert



Disperse tes pensées au vent de sable quand l'heure viendra. Cette drôle de chose qui s'approche d'un pas majestueux, c'est le simoun à la démarche roulante

Les yeux te brûlent : brûle ton cœur. Au dehors est le grand vide

Sois patient, d'une patience puissante comme l'océan qui bat la falaise jusqu'à la faire s’effondrer. Que ta volonté soit souple comme une mèche de vent qui se courbe sur la dune

Lent et délicat est le temps refleuri de la rose des sables

Harassé par le blanc imprescriptible, le rouge au loin saignant et l'or pâle des journées, tous ces feuillets qui s'envolent, ces pages coloriées qu'on expédie sans rien savoir (sois tranquille) n'auront pas le destin éphémère de la rosée qui se dépose à l'aube et s'évanouit aux lueurs du soleil

Le désert est en tôle ondulée, le désert est rusé comme un fauve qui bondit avant même, d’avoir eu faim

Grand Cahier.141.Révolvie.034.Le horzain.13 {•••}


En Saskatchewan



Après le temps, bien après
l'hiver – endormi, délaissé (quand la lumière est au plus bas), après la neige
sa lenteur indécise, comme une idée sous les grands froids – les espaces figés, les contrastes saillants, les chemins trop marqués –

quand la neige devient
sloche, que les tourbes renaissent – et la glace est grise et l'argile recolle – te faisant chaque fois un peu plus prisonnier
le soleil vient reprendre ses droits – instant turbide où s'accordent le roux et l'or – la macération des sols pour la prochaine levée, l'éclos

Grand Cahier.026.Révolvie.034.Le horzain.14 {•••}


L'infini



Sempre caro mi fu quest'ermo colle,
E questa siepe, che da tanta parte
Dell'ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo ; ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando : e mi sovvien l'eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Così tra questa
Immensità s'annega il pensier mio :
E il naufragar m'è dolce in questo mare.

Et je redis,

Toujours me fut chère cette ferme colline
Et cette haie qui, de toutes parts,
Dérobe à mes regards le lointain horizon.
Mais, solitaire, assis là regardant
L'interminable espace au-delà d'elle,
Et le surhumain silence, dans mon esprit
Se forme une très profonde quiétude ;
Alors, peu s'en faut que le cœur ne défaille.
Et comme j'entends bruire le vent dans le feuillage ;
Cet infini silence, et cette voix, je les compare,
Je me souviens de l'éternel, et des saisons passées,
De celle d'aujourd'hui, présente et vive
Et de son chant. Aussi dans cette immensité
S'abolit ma pensée. Et dans cette mer…
Qu'il est doux le naufrage.

Grand Cahier.380.Révolvie.034.Le horzain.17 {•••}


Le puits



Une étoile scintille au travers de la vitre...
Une larme longtemps persiste au coin de l’œil
Aucun rempart doré n’existe dans la nuit
Aucun mot n’existe, tous les mots sont usés
Le cadre de la vitre est noir infiniment

Nul jamais ne s’appuie au mur d'éternité
L'écart est grand, si prodigieuse est la distance
L'esprit s'endort. Que pourrait-il imaginer ?
Une eau du fond du puits remonte cristalline
Un froid va se loger dans l'angle du jardin

Mark Rothko
Blue, Green, Brown
(1952)

Grand Cahier.150.Révolvie.034.Le horzain.18 {•••}

Le puits


Une étoile scintille au travers de la vitre...
Une larme longtemps persiste au coin de l’œil
Aucun rempart doré n’existe dans la nuit
Aucun mot n’existe, tous les mots sont usés
Le cadre de la vitre est noir infiniment

Nul jamais ne s’appuie au mur d'éternité
L'écart est grand, si prodigieuse est la distance
L'esprit s'endort. Que pourrait-il imaginer ?
Une eau du fond du puits remonte cristalline
Un froid va se loger dans l'angle du jardin

Mark Rothko
Blue, Green, Brown
(1952)

Grand Cahier.150.Révolvie.034.Le horzain.18

Articles les plus consultés


à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte