Le pli


C’est un pli entre la pensée et le langage

C’est un homme asséché allongé sur le sol
et un autre debout qui est là, regardant

Ce sont deux lèvres de sang près de la syrinx
déchirant le silence :

Gorge ouverte dans l’air,
douze roses qui chantent

Celui qui se souvient est trompé par la forme,
par l’os blanc de l’oubli

Il se coupe le cou au soleil de l’écrit
– au besoin impérieux que se taise la voix

Sa phrase silencieuse,
sublime et symétrique en a presque les traits
Pablo Picasso
La mort de l'Arlequin
(1905)

Grand Cahier.655.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.16

La langue


Je prononce un mot, est-il un
monde à lui seul, ni onde
ni corpuscule – un parmi des milliards – reflet de celui-ci

voix tournant aux résons de sa propre folie
machinal bruit de langue
dérouté de sa voie

ou bien ressort-il de la chair
qui est d’échange et de partage

qui donne, à soi cédant à l'autre
– désassemblés

de la noue des cris et des jeux
la guise d’un statut

une limite un horizon sur cette terre, à la façon d’un signe, avant que nous mourrions
Jean Antoine Watteau
Embarquement pour Cythère
(1718)

Grand Cahier.654.Intérieurs Extérieur Voix.001.D'un autre lisard.15

La dent


Au commencement était le heurt le choc la percussion de l’une à l'encontre de l’autre

L’impossible partage ou l’union improbable
en un même point du motif

d’où l'inconnaissance

puis vint le premier son qui fut prononcé et dit
à satiété

– enfant qui scande sa première formule et goûte la chose avec sa dent fragile –

mais peu à peu
il en vint d’autres, plus aptes
à remâcher, après le coucher de la fauche

car la scie dévore
et l’enchaînement de ses dents pénètre la chair traçant le fin sillon du sens jusqu’à l’aubier

enfin le marteau de l’âge y
marque ses lantures –

pour qu'y fleurisse le mot

qui écrouit la chose
en y trouvant son lieu
Ivan Klioune
Autoportrait avec une scie
(1914)

Grand Cahier.653.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.14

Surréel dérèglement


Celui qui pose sa marque par écrit
aime à réintroduire

– en ces temps épuisés de faunes, et de goules gor- gées de chasse et d’artifices –

la bête sauvage où toi, lisant tu trouveras
la sédimentation phonique et acoustique de l’ancienne profération,
lecteur aux mœurs zoologiques, la bête sauvage

la bête de Lascaux

sans que l’on puisse te guider,
trop occupé à deux doigts de la mort, à panser –

débarrassée de ses vers, la plaie qui saigne
garnie de coupes
– et de rimes intérieures

et tu tambourineras sur ce vaisseau, privé de mâts, de gouvernail et de rames –

car, l’écrit feule comme un tigre blessé
dont le penser farouche est acculé en ses derniers retranchements
et vient crever la prison du silence
Yashima Gakutei (David Bull)
Guerrier et tigre
(2000)

Grand Cahier.652.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.13

Taiseux


S’il parle,
c’est face à face avec les choses
mais

en silence Personne
pour le distraire
si ce n’est le réel lumineux
qui n’est rien,

qu'une frise musicale au fond de ses yeux
mais il a fait le vœu de s’y dissoudre en se taisant et, morceau de nature

de n’être plus que rêve ou

pomme chue trop mûrie de soleil, assourdie – dans l’herbe chaude et la mollesse du soir

Sous une lumière incandescente
gît le réel sans forme
dans l’énormité du silence

Comme une énigme de chair,
comme une angoisse muette –

il se fait face
à l’effroi, asservi
Paul Cézanne
Pommes vertes
(1872)

Grand Cahier.651.Intérieurs Extérieur Voix.001.D'un autre lisard.12

Hérisson cannibale


Seul, se réencoquillant, croquevillé, mis

en boule absolument près du fruit nu de son
corps – là, protégé de sa famille et des guerres
incessantes que se font les autres – parlant
du monde délabré qu’ils ont – lisant il use
des armes du langage, hérissé de piquants

Lorsque finit le jour (passé dans son terrier)
vient la nuit où il peut se repaître des chairs
de ces sortes de bêtes dont il régurgite
élytres, coquilles et poils, réécrivant
le monde à sa façon, abordant le rivage

de la mort où le flot de sa langue s’évase
Carol Rama
encre et oeils-de-poupée
Bricolage (1967)

Grand Cahier.650.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.11

Grenouille


un peu trop jeune, qui n’aime pas l’agitation du monde, le tumulte des armes
ou les corps bousculés

ni le huilé rouage des cervelles, ni les affres et les eaux troubles des naissances,

tu préfères, illusoire et factice, venir clapoter sur les ri- vages d’une île aux trésors, une île à l’horizon qui, légère ...

ou sous les arcades d’un pont – Millau superbe, aisé- ment carrossable (pour quelques-uns qui t’ignore et qui t’enjambe

– gobes-tu la mouche ou est-ce toi
que l’on gobe

mais si le brusque rayon de soleil qui perce aujourd’hui les nuages et lustre cette bouture de peau grenue et verte, à demi sortie de l’eau
– sais-tu demain ce qu’elle

sera lorsque l’été aura séché toutes les flaques, et grillé les brins d’herbes derrière

lesquels tu te caches, grenouille aux doigts agiles, et à l'oeil bien ciré
Roberto Matta - L'éblouissant hors-la-loi
« El dónde en marea alta » du cycle « El proscrito deslumbrante »
(1966)

Grand Cahier.649.Intérieurs Extérieurs Voix.044.D'un autre lisard.10

Stomachique


Que cherchons-nous Quel tour magique
que dirons-nous Espion de cette médecine

irrésistiblement bouillie de nos terreurs
ou bien rôtie dans l’expression des sentiments

De la langue elle extrait les sucs les plus digestes

et concocte les préparations les meilleures
que peuvent supporter nos estomacs rassis

Une peine d’amour Une malédiction
d’autant bien préparées d’autant mieux digérées


de ce monde Casser le bloc de prose
fait de glace et de feu

et se servir l'après-midi
Un alcool poétique
bien frappé
Paul Klee
« D’où viennent les œufs et le bon rôti »
(1921)

Grand Cahier.648.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.09

Jamais l'un sans l'autre


Nous avons lu avant d’avoir jamais écrit
Nous lisons lorsque nous écrivons Nous, lisant ce que nous écrivons

espérant que vous nous lirez

Nous sommes lu(s parfois) après avoir écrit
Nous écrivons (parfois) après vous avoir lu

Nous sommes toujours lu(s) d’après
ce que nous avons écrit
Nous écrivons toujours d’après
ce que nous avons su lire

Car,
soudain de toute cette boue s’abstrait un sens

D’elle, nous extrayons notre aliment,

et notre corps charnu s’élance et il se couvre de feuil- lages, avec nos pieds enracinés profondément

dans le réel de cette boue

Et peu à peu se construit tout un lieu nourrit par l’obs- curité en-dessous S’érige un lieu propice, ce lieu de notre corps qui se recouvre d’un feuillage

pour peu qu’un rythme vienne, un son, une forme

• (à ce point, tout un monde)

Mais ceci n’est qu’un jeu
un jeu pour vous distraire, pour vous mener ailleurs, et surtout loin d’ici

ou peut-être vous donner aussi, à votre tour l’envie d’un corps
Mohammed Kacimi
Dans l'atelier de l'artiste
(1993)

Grand Cahier.647.Intérieurs Extérieurs Voix.044.D'un autre lisard.08

Y a-t-il quelqu'un ?


si futile si faible Lecteur
aujourd’hui

qui ne pense (si ne pense) qu’à s’abstraire
d’une réalité maintenant
réduite à ses reflets – à
son neutre

tous ils sont reliés par les mêmes signaux
appauvris, happés par les flots
d’une réalité qui n’est plus
que virtuelle

lecteur émoussé et futile, et qui pou-
sse l'image

le monde alentour se désagrège assaillit
de tous côtés par une agitation
vorace

langue défigurée / obstructions sans transfert
noyautée de mots d'ordre
et d'actions,

dirait Lautman, émotiques semblants
sons, éjections,
martè-
le-
ments pics à blanc
Mais

Œils ils ont, et ne verront
Oreilles ils ont, et ne ouïront
Bouches ils ont, et ne parleront
Nez ils ont, et n’odoreront
Mains ils ont, et ne tasteront
Pieds ils ont, et jamais n’iront
André Masson
Le Jour ni l’Heure - Panneau-masque
pour l’Origine du monde
(1955)

Grand Cahier.646.Intérieurs, Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.07

Pic & poésie


Qu’est-ce donc
si ce n’est cet angle très aigu, ce coup de bec attirant l’attention
vers quoi ?
vers quel autre, vers quel ailleurs
– et qu’elle trouve

(pic épeiche, pic noir) en son bruit

Précise est l’attaque au fouissement progressif
partant de l’écorce rude / jusqu’à
la tendresse de l’aubier

Sa tête est solide elle résiste à l’expérience
lui donnant sensible et charnue
sa nourriture et celle
de ses petits

assouvissant
leur faim

Spectacle éployé d’une dévoration joyeuse,
cri sans plumes
à la peau si fragile
mais qui bientôt, là aussi prendra son envol

pour perpétuer les conséquences
d’un choc nouveau et meurtrier

Viviane Arsenault
L’envol
(2018)

Grand Cahier.645.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.06

Dénaître


La mort n’est la mort
que pour les vivants

pour les morts elle
n’est rien d’autre

que le néant
S’ils pouvaient

renaître (
et le voir et l’entendre mais
)

mais il n’en est rien
la vie se déchire, voilà tout

nous ne lirons plus jamais
plus jamais nous ne dirons puis

nous ) sortons (
hors de l’espace et du temps
Frantz Metzger
Acte n°4 Un souffle...
Cycle (2014)

Grand Cahier.644.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.05

Le signe


Rien n'est montré de ces trois gouttes
Le signe se retrousse,
robe révèle et ne dérobe

Sa présence s'efface, le lévrier du temps s’élance, poursuivant une trace, flairant avide

ce qui fut après qu’il s'est retiré, or il n’est plus là, ce qui sera, quand
– de retour à lui-même il vivra son absence

lorsqu'en réalité, le signe se déchire

le réel ni dehors ni dedans, le rien, le peu qui reste se montre

nu sous le gel, jeté là au sortir du temps
alors que rien n'est plus à dire,

stupéfait

LA GENTE FU FERUE EL COL,
I SEINNA .III. GOTES DE SANC
QUI ESPANDIRENT SOR LE BLANC,
SI SANBLA NATURAL COLOR.

Chu Teh-Chun
Composition n°62
(1960)

Grand Cahier.643.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.04

Anagnose


Dès que je lis
Ulysse est de retour,

va bientôt raconter ses voyages. De tant de péripéties traversés

d’une ancienne cicatrice

lentement sous les reflets de la lampe, les souvenirs vont remonter, eau sourde
eau froide et chaude versées
eau pour les soins et pour les libations
eau muette et peu à peu

va reconnaître, va resurgir de l’ombre son visage. Tout revient de l’invisible, la blessure et la proie, la proie et le chasseur, le récit qu’il en fait, arrêté dans les mots, le lecteur qui les lit… qui devient le chasseur

et qui revit la prise et la mort de la proie

Mais sur tes écrans, ignorant submergé d'images, qui chasse le chasseur. À son tour, qui devient la victime quelle emprise ?
Franz Marc
Tierschicksale
(1914)

Grand Cahier.642.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.03

Gemmes


D’autres langues prends les gemmes sers-toi Accueille- les Assieds-toi et lit

Leur aspect a l'aspect d’une autre pierre, un caillou aussi noir que du carbone

Ces feux tu ne peux les voler / puisqu'ils ne brillent que chez eux

Là-dessus ton cœur achoppe,

cette pierre
de carbone

si tu la désires
jamais dictionnaire

ne te dira
comment t'y prendre
pour égriser

Abnie ton être et pourchasse

Chaque mot est une proie – et par emboîtements suc- cessifs des godets de la noria, compose

déracine ton âme, soumets-toi aux petits riens de l’objet inaccessible Ils se fixeront de manière inaltérable

D’une autre langue, effigie nouvelle / autre source au cr-istal de ses eaux
Pierre Soulages
Peinture 186x143 cm,
23 décembre 1959

Grand Cahier.641.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.02

Petite idole

PAREILLE LECTURE N'A PAS UN SIÈCLE
ET ELLE A DÉJÀ CESSÉ

Pascal Quignard,
Petits Traités II

Il fut un temps où le texte
à haute voix, se lisait
voix clairement dirigée

vers le cercle des égaux

Puis vint le temps du lecteur
silencieux, immobile / ne lisant que pour soi-même /

On le contempla lisant,
muet, chevrotant des lèvres, / le nez, les yeux absorbés, /
loin du monde, anéantis / par ses volumes blanchâtres /

On s’étonna, on en rit puis s’installa, progressive

une gène

– Pourquoi en lui gardait-il autant le poids du silence,
combien de temps pourra-t-il résister loin de ses proches ?

On en vint à l’admirer,
petite idole immobile ;
pour un temps la vénérer…

Aujourd’hui, sur tes écrans
↑ parmi les fureurs virtuelles,
↑ la déchéance des mots
↑ et des liens évanescents,
↑ magnétiques – par milliards

qui t’agite,

marionnette sans savoir ?
Incendie de pacotilles,

pauvre bois consumé sur les autels du soir
Joan Jordà (1929-2020)
La liseuse
(ciment - env. 2002)

Grand Cahier.640.Intérieurs, Extérieur, Voix.044.D'un autre lisard.01

Science


Cet ultime élément, d’une éternelle
durée, à peine plus

qu’un photophore,
ce quoi d’agglutiné trois fois,
cet indémêlable protos,
et la spirale de ces frères sont-ils
tous

des dieux-pó tournoyant un peu
d’un angle et ½ (en deux tours,
depuis longtemps matière,
et pourquoi donc ?) traînés
dans l’eau claire ou précipité
d’un hasard flamboyant…

mais, c’est un moi toujours
dans l’espace et le temps
qui le dit le perçoit

l’Univers

par la lucarne de ses yeux
et par l’aiguille de son ouïe

à la dérobée – toutefois
infime de l'immense, immense de l'infime,
ni accèdant que par
le toucher grossier de ses mains

Et qui brait comme un âne !

Roberto Matta
X-space and the ego
(1945)

Grand Cahier.637.X.Y.Z.00

Quelques intranquillités

*


Penso às vezes que nunca sairei...



Je me dis que jamais je ne pourrai partir d’ici, je me dis que je ne partirai pas avant d’avoir fini, je partirai toujours trop tôt, je me dis que je devrais l'écrire

Mais il me faudrait l’éternité...

NÃO O PRAZER, NÃO A GLÓRIA, NÃO O PODER: A LIBERDADE, UNICAMENTE A LIBERDADE

Je n’aime pas les plaisirs répétés jusqu’à l’ennui, les fai- blesses glorieuses qui se perdent dans l’oubli. Et je déteste trop la mort pour aller amonceler les cadavres du pouvoir

La liberté seule m’agrée, la liberté loin des platitudes et des banalités de l’humain

PASSAR DOS FANTASMAS DA FÉ

Le réconfort de la foi ne vaut pas le prix de ses fantô- mes. Et que dire des abstractions de la raison qui nous gâche un si beau voyage

UM DESDÉM CHEIO DE TÉDIO POR ELES,

Si loin de nous, si loin de nous que tout cela

QUE DESCONHECEM QUE A ÚNICA REALIDADE PARA CADA UM É A SUA PRÓPRIA ALMA, E O RESTO ...

Faisons table rase, décapons le vernis des bontés, la nécrose des sidérations sociales. L’art seul nous libère.

Une phrase bien construite…

Michel Maurice
Les exils - suite 7 (2009-2010)

Grand Cahier.609.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.01 {•••}


Une bruine de soleil



OLHO, COMO NUMA EXTENSÃO AO SOL QUE ROMPE NUVENS, A MINHA VIDA PASSADA

Une bruine de soleil soudain
traversant les nuages
expose la ville indubitable la ville
où je vis au grand jour

À la surface remontent
bien des indécisions de mon passé
Une chose est certaine pourtant, celle
que l’on voit depuis le pont
qui enjambe
une eau toujours nouvelle

Cette ville où je suis et qui m’est inconnue
– Sans mémoire,
étranger ne sachant pas comment
il a pu parvenir
jusqu’ici –

Car s’ignorer soi-même c’est vivre,
s’affairer c’est le lieu du penser. La seule pensée le seul souci pour la plupart. Mais cette bruine d’un seul coup
lustrale
c’est notre motion

Notre monade la plus intime et la plus extrême, terre ouverte tout autant que fermée
Le cri remonté du fond de l’âme

SABER DE SI, DE REPENTE, COMO NESTE MOMENTO LUSTRAL, É TER SUBITAMENTE A NOÇÃO DA MÓNADA ÍNTIMA, DA PALAVRA MÁGICA DA ALMA

Grand Cahier.610.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.02 {•••}


Extérieur



O SILÊNCIO QUE SAI DO SOM DA CHUVA ESPALHA-SE,
NUM CRESCENDO DE MONOTONIA CINZENTA,
PELA RUA ESTREITA QUE FITO


Le sommeil qui naît des bruits de la pluie s’enfonce De tout le poids de sa monotonie grisâtre Dans le lit de la rue dans l’obscur

J’essaie de me tenir éveillé, debout contre la vitre

Mais cette chute effilochée d’une eau m’entraîne Vers ces fonds où n'existe plus rien où il n’est plus rien à éprouver Ni les pensées ni les joies communes Ni les fortes distinctions qu’apporte

l’en-dehors au cœur. Et que reste-t-il de l’être alors ?

face à la tristesse de la pluie extérieure Les lointains disparus aux vallées encaissées Le frais et le rose multiple des montagnes

SER QUALQUER COISA QUE NÃO SINTA O PESAR DE CHUVA EXTERNA,
NEM A MÁGOA DA VACUIDADE ÍNTIMA...
PERDER-SE ENTRE PAISAGENS COMO QUADROS
NÃO-SER A LONGE E CORES...


Grand Cahier.612.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.03 {•••}


Choses du temps



O AMBIENTE É A ALMA DAS COISAS
CADA COISA TEM UMA EXPRESSÃO PRÓPRIA, E ESSA EXPRESSÃO VEM-LHE DE FORA. CADA COISA É A INTERSECÇÃO DE TRÊS LINHAS, E ESSAS TRÊS LINHAS FORMAM ESSA COISA: UMA QUANTIDADE DE MATÉRIA, O MODO COMO INTERPRETAMOS, E O AMBIENTE EM QUE ESTÁ...


Une chose affirme ses aîtres sous le halo d’une lune rousse. Si la pente des nuages est à la pluie, que nous dit‑elle des lendemains, avec l’expérience de son âge, proprement des environs ?

Assise à la fourche trifide du chemin, ayant même part – très spirituelle bien entendu autant que matérielle mais vivant dans le milieu qui lui convient et que, familier nous connaissons

Ou que nous croyons connaître car au bout du compte, au dehors elle nous échappe

Elle dont je tairai le nom – est le morceau d’une matière qui cause en moi une impression

Cette impression se compose des idées – qu’elle est d’une matière – que j’appelle sous cet aspect d’un nom – auquel est associé des buts et des usages

Cette chose n’est pas seule. Non. En elle se reflète, avec elle ou contre elle d’autres choses qui vivent, et la transforment, et lui confèrent une âme, allant ou venant de l’extérieur

Et nous, nous ne voyons que la lumière de tout cela – dans le jour, le petit jour où nous sommes, un parmi les autres constatant le signe et la couleur qu’elle a

Ses taches et ses éraflures – fruit du fouet des herbes du temps et qui forment toutes ensembles, le nombre le plus intime de son être

Grand Cahier.616.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.04 {•••}


Enfance



UM MOMENTO ME SENTI ALTO, COMO
A CRIANÇA NUM BALOUÇO,
CADA VEZ DESSAS TIVE QUE DESCER

À ce moment de notre enfance
Qui monte au ciel des balançoires
Tout est possible,
rien n’est réel
Et si parfois la chute arrive
On se relève on recommence
Ce n’est qu’un jeu un trop de vie
Une douleur sans conséquence

Que signifie en ce moment,
Le mot « dehors »
cette jetée d’exil
Il est alors sans expérience
On le bouscule ? Il recommence
À s’envoler dans la merveille
De tout le jour, dans la lumière
D’un grand soleil chargé d’idées

De tant de vies imaginées
Il rêve encore on voit briller
Tous les possibles dans ses yeux

Grand Cahier.620.Alentour de Soares.003.Quelques intranquillités.05 {•••}


D'une conscience



L’homme saura-t-il
un jour
  décrire
la géographie de sa conscience,
historien

dépoussiérer, établir éclairer
d’un nouveau jour
des archives
de sensations
Créer pour la cuisine ou le laboratoire (entre chimie et alchimie) – d’une bouilloire
de ses mots,
d’une cornue
de ses sens

Alliage réfléchi de bronze et de glaive – le plus parfait
des instruments
d’où sortira ce miroir de nos rêves
avec la précision, la consistance et l’éclat d’une matière d’un or réel
générant son propre espace
sa propre histoire
créant une dimension nouvelle,
aux autres s’ajoutant, un monde

ensembles
aussi bien vivants, dans une réelle égalité

... EM NÓS UM ESPAÇO REAL COMO O ESPAÇO QUE HÁ ONDE AS COISAS DA MATÉRIA ESTÃO, E QUE, ALIÁS, É IRREAL COMO COISA.

NÃO SEI MESMO SE ESTE ESPAÇO INTERIOR NÃO SERÁ APENAS UMA NOVA DIMENSÃO DO OUTRO.


Grand Cahier.638.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.06 {•••}


À chaque fois



ABRO A JANELA PARA O VER. NÃO O VEJO AINDA. SAIU.
TEVE, PARA COMIGO, O DEVER VISUAL DE SÍMBOLO;
ACABOU E VIROU A ESQUINA.
SE ME DISSEREM QUE VIROU A ESQUINA ABSOLUTA,
E NUNCA ESTEVE AQUI,
ACEITAREI COM O MESMO GESTO COM QUE FECHO A JANELA AGORA.


Chaque fois
que j’ai voulu bâtir, usant du matériau de mes rêves, par habitude machinant ce beau symbole qui vise le grand autre

chaque fois
surgissait de cette immensité, un vide une béance ouverte plus avant, qui me bousculait comme une marion- nette, comme un pantin par le travers, pauvre bout de chif- fon ballotté par le vent

Je me trouvais à chaque fois
un peu plus désarmé, vacant au hasard dans les rues désertes, ne sachant plus quels étendards hisser des prochaines batailles

À chaque fois
je n’ai pu retenir pas même une fleur, une fleur sanglan- te des marais, baignée d’une eau de clair de lune

Marchant avec difficulté,
ignorant aveuglé, chaque fois m’enfonçant plus avant dans la boue et la tourmente des roseaux

Grand Cahier.621.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.07 {•••}


Le vieil homme



AGORA MESMO, QUE ESTOU INERTE NO ESCRITÓRIO,
E FORAM TODOS ALMOÇAR SALVO EU, FITO,
ATRAVÉS DA JANELA BAÇA,
O VELHO OSCILANTE


Lorsque la vie s’arrête,
que les collègues sont partis manger, inerte

en face du bureau là-bas sur le trottoir,
ne reste plus que ce vieil homme, je
l’observe par la vitre
indifférent –
attentif à l’inexistant – ne connaissant de la justice,
que l'injustice

Bientôt, son regard sans plus rêver / se détourne,
à jamais il s’écarte des hommes

Ce qu’il fut dans sa vie, quelle importance !
Parti et revenu, aucun bâti, aucun oukase qui fut dit, jamais n'a résisté au temps. Les rêves jusqu’au bout
sont épuisés

Je le vois lentement s’éloigner
disparaître
dans un angle absolu,
son devoir de symbole accompli. Se pourrait-il dès lors qu’il n’ait jamais vécu ?

Grand Cahier.622.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.08 {•••}


Cœur tors



ESTAS PÁGINAS, EM QUE REGISTO COM UMA CLAREZA QUE DURA PARA ELAS, AGORA MESMO AS RELI E ME INTERROGO.

Les pages perdues où je consigne / Ces quelques instants de mon passé / Je les lis parfois et m’interroge / Sur leur poids de sens et de possibles

À quoi ont-elles bien pu servir / A qui serviront-elles encore / Qui était celui qui écrivait

Suis-je moi-même lorsque j’écris / Disparu depuis long- temps plus loin / Absent. Où suis-je en cet instant, /
cœur
/ tors,
brûlé, épuisé de lumière / Comme le tournesol drama- tique / Homme là-haut distinguant mal les / Aîtres des vivants dans la vallée

COMO ALGUÉM QUE, DE MUITO ALTO, TENTE DISTINGUIR
AS VIDAS DO VALE ...


É NESTAS HORAS DE UM ABISMO NA ALMA
QUE O MAIS PEQUENO PORMENOR ME OPRIME / COMO UMA CARTA DE ADEUS.


Ainsi je me contemple moi-même / Paysage indistinct très confus / Brouillard dans l’âme – nu accablé

Comme une lettre d’adieu qu’on ferme / Sous l’étouf- fement des conclusions

Perpétuellement je me réveille / À l’envi de crier à tue-tête / Ressortissant d’un sommeil profond

Allant d’une sensation à l’autre / Comme le cortège des nuages / parsemant de soleils reverdis / l’herbe tâchée d’ombres des prairies

Grand Cahier.624.Alentour de Soares 043 Quelques intranquillités 09 {•••}


Destin



BASTA-NOS, SE PENSARMOS,
A INCOMPREENSIBILIDADE DO UNIVERSO;
QUERER COMPREENDÊ-LO É SER MENOS QUE HOMENS,
PORQUE SER HOMEM É SABER QUE SE NÃO COMPREENDE.


Me voici sur le toit, et je suis seul au monde
devenu étranger

Voir, c’est être éloigné lucide et arrêté –
Analysons cela

À trop voir on s’aveugle, on en perd le langage
les choses se retirent

Être homme, c’est savoir l’incompréhensible
et le sans-fond de la boite

Il y a des paquets qui sont bien ficelés,
nulle part adressés

Il y a des couteaux ou des clefs pour ouvrir

Il y a (des autres) les livres qu'on me tend
mais leurs pages sont blanches

ou remplies de poussière, et il faut les récrire

– L’émotion est dehors dans la clarté, multiple
– L’émotion est dedans unitive et profonde

Une pensée revient. S’écoule une rivière

Grand Cahier.639.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.10 {•••}


Préfère



O PERFEITO NÃO SE MANIFESTA
O SANTO CHORA, E É HUMANO

DEUS ESTÁ CALADO


Tu me dis que le parfait
Jamais / ne se manifeste

Préférer le saint qui pleure
au dieu taiseux, inhumain,
Au monstre d’indifférence

Disons que décidément
L’absolu n’existe pas

Oui, préfère au monstre d’in-
différence, inhumain, au
dieu taiseux le saint qui pleure

De longtemps je te l’accorde

Rien, je crois n’a plus de vie
Dans ces sortes d’infinis

Grand Cahier.625.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.11 {•••}


Si vivre...



Si vivre était de se tenir à la fenêtre
Éternellement immobile

Comme un panache de fumée
Si vivre était toujours

Ce même instant crépusculaire
Venu endolorir la courbe des collines

Si vivre était du moins
Ne rien commettre aucune action

Ne rien permettre
À nos lèvres blanchies du péché d’un seul mot

Si vivre était
Pouvoir tenir cet impossible

COMO UM FUMO PARADO, SEMPRE, TENDO SEMPRE
O MESMO MOMENTO DE CREPÚSCULO


Pablo Picasso
Table devant la fenêtre à Saint-Raphaël (1919)

Grand Cahier.603.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.12 {•••}

Si vivre...


Si vivre était de se tenir à la fenêtre
Éternellement immobile

Comme un panache de fumée
Si vivre était toujours

Ce même instant crépusculaire
Venu endolorir la courbe des collines

Si vivre était du moins
Ne rien commettre aucune action

Ne rien permettre
À nos lèvres blanchies du péché d’un seul mot

Si vivre était
Pouvoir tenir cet impossible

COMO UM FUMO PARADO, SEMPRE, TENDO SEMPRE
O MESMO MOMENTO DE CREPÚSCULO


Pablo Picasso
Table devant la fenêtre à Saint-Raphaël
(1919)

Grand Cahier.603.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.12

Préfère


O PERFEITO NÃO SE MANIFESTA
O SANTO CHORA, E É HUMANO

DEUS ESTÁ CALADO


Tu me dis que le parfait
Jamais / ne se manifeste

Préférer le saint qui pleure
au dieu taiseux, inhumain,
Au monstre d’indifférence

Disons que décidément
L’absolu n’existe pas

Oui, préfère au monstre d’in-
différence, inhumain, au
dieu taiseux le saint qui pleure

De longtemps je te l’accorde

Rien, je crois n’a plus de vie
Dans ces sortes d’infinis

Jérôme Bosch
La tentation de saint Antoine (Prado, Madrid)
(~1490)

Grand Cahier.625.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.11

Destin


BASTA-NOS, SE PENSARMOS,
A INCOMPREENSIBILIDADE DO UNIVERSO;
QUERER COMPREENDÊ-LO É SER MENOS QUE HOMENS,
PORQUE SER HOMEM É SABER QUE SE NÃO COMPREENDE.


Me voici sur le toit, et je suis seul au monde
devenu étranger

Voir, c’est être éloigné lucide et arrêté –
Reprenons l'analyse

On s’aveugle à trop voir, on en perd le langage
les choses se retirent

Être homme, c’est affronter l’incompréhensible,
le sans-fond de la boite

Il y a des paquets qui sont bien ficelés,
sans adresse à personne

Il y a des couteaux ou des clefs pour ouvrir

Il y a les livres (des autres) qu'on me tend
mais leurs pages sont blanches

ou remplies de poussière, et il faut les récrire

– L’émotion est dehors dans la clarté, multiple
– L’émotion est dedans unitive et profonde

Une pensée revient. S’écoule une rivière
Jacques Pasquier
Chrysalide
(2003)

Grand Cahier.639.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.10

Cœur tors


ESTAS PÁGINAS, EM QUE REGISTO COM UMA CLAREZA QUE DURA PARA ELAS, AGORA MESMO AS RELI E ME INTERROGO.

Les pages perdues où je consigne / Ces quelques instants de mon passé / Je les lis parfois et m’interroge / Sur leur poids de sens et de possibles

À quoi ont-elles bien pu servir / A qui serviront-elles encore / Qui était celui qui écrivait

Suis-je moi-même lorsque j’écris / Disparu depuis long- temps plus loin / Absent. Où suis-je en cet instant, /
cœur
/ tors,
brûlé, épuisé de lumière / Comme le tournesol drama- tique / Homme là-haut distinguant mal les / Aîtres des vivants dans la vallée

COMO ALGUÉM QUE, DE MUITO ALTO, TENTE DISTINGUIR
AS VIDAS DO VALE ...


É NESTAS HORAS DE UM ABISMO NA ALMA
QUE O MAIS PEQUENO PORMENOR ME OPRIME / COMO UMA CARTA DE ADEUS.


Ainsi je me contemple moi-même / Paysage indistinct très confus / Brouillard dans l’âme – nu accablé

Comme une lettre d’adieu qu’on ferme / Sous l’étouf- fement des conclusions

Perpétuellement je me réveille / À l’envi de crier à tue-tête / Ressortissant d’un sommeil profond

Allant d’une sensation à l’autre / Comme le cortège des nuages / parsemant de soleils reverdis / l’herbe tâchée d’ombres des prairies
Salvador Dali
Les Efforts stériles
Cenicitas \ Petites cendres
(1927-1928)

Grand Cahier.624.Alentour de Soares.043.Quelques intranquillités.09

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte