Figure


Mon visage est brûlé, où sont-elles
Les attentions d’amour d’une femme

– Aux Pénitents des Mées, il est des angles impossibles où survivent les morts.

Je ne suis plus qu’une plate figure déformée, hiératique et silencieuse

à la façon des fresques d’un dipintore – voûte qui s’en- fonce dans les murs

Elle fut ma joie, elle est mon manque
Je dessine avec mon corps les gestes de l’étreinte qui n’est plus, croix noire

aux caissons diminués, et ornés de rosaces

Je figure les cartes des honneurs des héros de roman, je figure la carte des Prophètes et des crucifiés romains, toutes les cartes, et d’autres plus choquantes, de celles qui nous font

Et c’est pourquoi je trace
des chemins de musique dans mes pleurs
Masaccio
La Trinité - Santa Maria Novella
Florence (1425-1428)


Grand Cahier.685.Intérieurs, Extérieur Voix.045.30

Les étourneaux


Cette voix est une inconnue qui me donne un visage Elle est reconnaissable / aussitôt mais ils se trompent toujours, les mots

Les mots sont-ils des âmes ?
(au-dedans, les mots ont une âme sur laquelle, à distan- ce et pour une bonne qualité psychique, leur sonorité se règle)

Nous débordons de sens et de signes, sans vraiment bien comprendre

Une source est cachée, elle est toujours plus loin, elle est à l’horizon. Mais nous vivons ici, de l’arbre et de la terre
si féconde des morts

Aussi noirs qu’une nuée d’orage, ils fondent, et se bous-culent, on s’installe comme on peut, épuisant les ressour- ces, dégradant les sols raclant l’humus

Chaque jour la troupe se chamaille. Certains à l’appétit vorace s’approprient les places, et proclament leurs envies, tous n’ont pas le même entrain.

On vivote sur l’arbre, on murmure, la nuit tombe. Avec une lenteur immuable, la compagnie s’endort
Søren Solkær
Murmure d'étourneaux
(2021)


Grand Cahier.684.Intérieurs, Extérieur Voix.045.29

Répit


Assis dehors dans la froid, emmitouflé j’écoute l’hiver ce qu’il dit ce matin

et étrangement n’entends que des combats
de chants d’oiseaux

Rien n’est encore décidé,

la sirène d’alarme des humains sur le carreau du toit d’ardoise est silencieuse

– Le cercle suspendu des lettres ballotte dans l’air gelé, le ruban rouge des travaux l’entoure –

En cet instant, rien n’est à craindre
Julius Baltazar
Tempête sur Hu-Tu-Fu
(1993)


Grand Cahier.683.Intérieurs, Extérieur Voix.045.28

Fluence des eaux


Longues laisses près du tombeau / des formes déjà dites
Le cercle des écrits / se ferme noir à l’horizon
Je t’ai cherché coquille écume / tout au long de l’estran –
j’ai voulu parler t’écouter / il n’est plus langue ni oreilles
La rumeur chaque jour / oppressante résonne

laissant œil et main sans recours

Comment pourrait-on dire / tout est disjoint dans le néant
Ce ne sont plus émergeant là / qu’épaves et lambeaux
La poésie n’est plus / cette parole de silences
et de cris – ne dit plus / voudrait dire : être encore
mais il n’est plus de vent / le rouleau de la vague
Luc Dartois
Mer nocturne
(1996-2018)

Grand Cahier.682.Intérieurs, Extérieur Voix.045.D'un autre lisard.27

Eau blanche


Je te retrouve chaque soir
toujours à toi-même semblable

mais pour moi qui t’observe,
eau blanche

tu es chaque fois un peu plus
dissemblable

En toi quelque chose
a changé qui de moi t'éloignes

Et chaque jour je me demande
ce que je vais pouvoir te dire,

que vais-je composer
quel mot vais-je trouver,
quel temps va s’accomplir

(mettrais-je un point final)
vais-je – une fois encore
signer cette aventure ?
Caspar David Friedrich
Der Mönch am Meer
(1808-1810)

Grand Cahier.681.Intérieurs, Extérieur Voix.045.D'un autre lisard.26

L'hôte


Le temps est le barreau de l’échelle
sur lequel nous vivons

Il n'y a jamais rien à gravir ou descendre
car il n’en est point d’autres

Au loin parti et revenu dans ses parages, un être s’inter- rompt incertain sur le seuil

Qui l’accueillera hospitalier qui,
de ce domaine est l’hôte de sa vie,
qui va recueillir ce qu’il a dû vivre

qui lui dira le mot tant attendu ?

Nuit noire quand jaillit la flamme d’un briquet

sous la pression du pouce, les choses prennent forme et peu à peu, la scène

vient à paraître comme en rêve, entière et muette

et parmi les cuirs et les chromes de la salle,
au bord de la fatigue,

l’un peut dire alors à l’oreille qui s’y prête
  – Prenez place...
Max Ernst
Figure zoomorphe
(1928)


Grand Cahier.680.Intérieurs, Extérieur Voix.003.D'un autre lisard.25

Enfance


Si le rêve ne sonne pas dans ta langue,
elle n'est plus ton rêve,
il est sans mérite

Si l'enfance ne sonne pas dans ton rêve,
ce n'est plus elle qui t'anime,
et tu n’es plus personne

Si la langue ne défie pas ton rêve
lorsqu’elle s’exprime, que sera ta vie,
à quoi servira-t-elle

Si l'enfance ne défie pas ta langue
dans ce qu’elle exprime,
ta vie sera morne et d’armes non courtoises
Marc Chagall
Moi et le village
(1911)


Grand Cahier.679.Intérieurs, Extérieur Voix.045.D'un autre lisard.24

Rêve


Le rêve est un impôt
que la vie prélève pour nous

– à s’abandonner ainsi, elle
se délivre de la mort

qui revient chaque soir,
et labeur accompli...

Hommes, vous êtes animaux
et tout comme eux

vous rêvez, pris
dans cet acharnement

de vos pulsions –
de vos désirs,

vous les hallucinez
et se faisant

ils vous orientent
et vous séparent

du chaos, ivres dormant près
de la source qui chante

Odilon Redon
Le Rêve
(1905)

Grand Cahier.678.Intérieurs, Extérieur Voix.045.D'un autre lisard.23

Diogène


Et si je dis, c'est que mon dire
m'y force

Qu’y a-t-il de plus dénudés,
à tous les airs, à toutes les intempéries
que la main,

visage et la voix entraînant

Mais la main qui offre un salut
non celle-là donnant du poing
froide et refermé sur soi-même

habillé d'escarres, très agîté
de sérieuses pensées, escarbillé,
emmitouflé dans les martes jusqu'aux oreilles
,

rien n'y fait car, Diogène je suis,
tout face fragile

et nu, ayant jeté ses vieilles hardes
à tous les vents, exposé aux frimas

... dirais-je de nature ?
loin de l'artifice de vos cages,
des bonnets sur vos têtes

visage toujours voix, répondant
présent à qui s'approche et s'annonce
– ne serait-ce qu'une fois,

différent
Jules Bastien-Lepage
Diogène
(1873)

Grand Cahier.677.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.38

Métaphores


D'un mot tu reprends vie
et revient
vers le cours des eaux
transparentes du ruisseau,

(d'un mot perdu et
retrouvé)
Va-t-il verser des pleurs
sans nous montrer

le chemin
la maison, le motif attendu
– ton visage

Ils sont oubliés
les aléas du voyage,
et les mauvaises nourritures
lorsque la fatigue s’en va...

Que ce repas que tu prépares
nous fasse la coupure
d’une bonne parole,

et pose dans le blanc,
dans son espace une lumière
immarcescible

loin des macules des travaux,
de cette indifférence
des jours ternes et gris,

de nos échafaudages bâtis
contre les murs
du réel
Joachim Patinier "Patinir"
Paysage avec saint Christophe
(~1483-1524)

Grand Cahier.676.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.37

Commencement


Tout d'abord
surgit le houppier du cri
membres et gestes désarticulés

tout le désordre des affects
jusqu'à
ce que soit assouvi, et la faim et la soif

Puis vient la neutralité d'un sommeil
profond, paisible enfin
À nouveau, le retour à l'équilibre

et le flou originel le mi-
discret mi-
continu qui précipite et s'écarte

laissant émerger l'unique fond noir
de l’œil
doublé autant que redoublé

Ensuite viendra le pli
le face-à-face troublé d'amour
qui lentement se détache

  et prend son lieu
et s'ouvre à l'autre en vis-à-vis
– Mais il n'est de commencement que de soi-même –

un premier signe,
la trace laissée d'une courbe
disant une absence (ou un retrait qui s'apprête)

le creusement d'un
recueil
pour l'extase d'un sourire
Odilon Redon
La Coupe du devenir
(1894)

Grand Cahier.675.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.36

La trame


Tout l’univers est vibration,
vitesse
d’une lumière au pli
de sa dévoration –

Mais du monde quelle est
la gamme,

il ne lui manque presque rien
à cette trame in-
temporelle

(fausse vitesse ? ou fosse)

puisque l’effet de masse
est une rotation
qui fusionne autour
de son axe une fois sur / deux
les deux surfaces du réel
en une –

résonance du même à
l’autre et jusqu’à
l’os

Il n’est là rien de criminel

et les points
que nous sommes
s’en retournent là-même
où le tissu de l’âme
enfin, peut librement
se déployer
Gilbert Garcin
Diogène ou la lucidité
(2005)

Grand Cahier.674.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.35

Du pareil au même


Nous débordons de signes
nous débordons de sens

Et si nous nous voilons la face
et cachons notre voix

C'est qu'il ne faut rien laisser
voir ni même entendre

Préférant le vacarme des affaires
tout le remue-ménage qu’il y a

à l'oubli du désastre de vivre

Les autres nous font peur
ces miroirs de nous-même

Trop de nous se révèle
dans le miroir des autres

Et tous nos mots tombent gelés
nous qui toujours fuyons,

oiseaux de flammes
Philippe Casaubon
Lémure
(2019)

Grand Cahier.673.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.34

Lignes


une ligne s’éloigne et se replie infiniment
sur le point de son cercle
toujours dans les trois directions – d’un peu d’un rai, de l’éclat de cette lumière
venue d’autres lignes semblables

car chacune impose à l'autre sa distance
irréductible et
précipite la lumière
en lui donnant une épaisseur, un vague
à l’âme à cet endroit

son espace elle en trace les limites, en un vis-à-vis répété sans cesse pareille à une forêt
de signaux
qui s’en viendront bientôt à lui dire

tout est nouveau sous le Soleil, aujourd’hui
Ana Lima-Netto
Une génération s’en va, une autre s’en vient…
(2021)

Grand Cahier.672.Intérieurs, Extérieur, Voix.045.Corps et visages.33

Notre place au soleil


Nous sommes
   tous

l’autre de cet être qui est là

comptant sur lui
sachant que nous allons mourir

Certains disent : tout doit disparaître
à mon profit à ma seule
gloire

– Tout va-t-il (pour autant) disparaître ?

d’autres ont ce regard qui dévisage

Étroite est la terre,

... et elle
n’est qu'
usurpation ma place / ta place
au soleil…
Duc Hoa Nguyen
City Night, Épreuves de la vie
(2019)

Grand Cahier.671.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.32

Les lettres


Sait-on vraiment d’où elles
proviennent On m’a appris autrefois à les connaître, à aimer leur aspect, sourires déliés et ombres pleines

J'ai posé là sur cette étendue blanche, d'un geste maladroit et l'oreille incertaine, les premiers traits qu'on n'oublie pas

Mais aujourd’hui je compose avec elles,
autant par la voix que
d’une main assurée poursuivant mon regard, cherchant l’intonation ou tapotant du bout des doigts
sur le clavier, poussant toujours la phrase un peu plus loin vers son énigme

Et à chaque étape, à chaque ligne me revienne alors, ces visages qui m’ont traversés et que j'aime, et ces ex- pressions que pour certains j’ai mimés, et qui m’accom- pagnent en silence

formant cette étrange mélodie
ce déroulé d’une estampe hérissée de pointes et creu- sée de précipices, de hautes parois, de coulisses, et de portes dont il faut tourner la clef
Marion Robert
Enfance aux bottes jaunes
(2014)

Grand Cahier.670.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.31

Mille feuilles


On est l'une parmi
des milliers du grand Océan

On est feuille et çà et là

une accalmie dans la tempête
à la crête des vagues

un jour Quelqu’un gravite alors
parcourt les astres

il les énonce dans leur chair
et il se montre voix

d'une parole ou des façons

d’une voix à son tour devenue
féminine,

en l'état de pli et d’abandon

bouche ouverte au dehors
vers le dedans

et qui boit à la source

corps transparent d'une aveuglante
obscurité
Zao Wou-Ki
Hommage à mon ami Henri Michaux
(1999-2000)

Grand Cahier.669.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.30

Au fil de l'aiguille


Et le fil que nous tissons

sans vraiment savoir
  provient des yeux des autres
    (de leur dire)
      de leur sens et des nôtres

il nous structure et nous relie au monde
car nous y fûmes jeté

    un jour sans rien savoir

Et peu à peu se dissipe les nuées
  se forme une texture

    le cri précipite mais l’aiguille ressort

    et noue des liens
      qui nous délivre
        par mots et corps

 rendant visible enfin
la trame invisible dans l'air
  où l'on respire

  liens très forts qui piquent la chair
    et nous donne le son, d'une voix
      son écriture
Jackson Pollock
Number 17A
(1948)

Grand Cahier.668.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.29

Lambeaux


Mais ces lambeaux sont des
  nuages
non des haillons

sont les déchirés de nul corps,
  ou vêtements
qui voudraient le couvrir

sont latence mais
puissance d'où viendront
  coeur

et rotation vers l'origine
de toute substance ou matière

constituant à la fois le sol
sur lequel
  / rien
ne repose, et la façon d’ex-
ister qu'ils ont

Le temps
  n’existe (pas ou à peine)
si nous existons
Christian Ronceray
Lambeaux de nature XXXIX
(2006)

Grand Cahier.667.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.28

Trois images


trouver le trait d'une motion
bien placée dans la phrase (c'est-à-dire autre chose) que la chose attendue

(c’est) trois gouttes de sang sur la neige, longuement méditées, l'oubli de soi l'enfoncement et c'est de l'oie bles- sée le visible à l'extrême

perceval s’effaçant dans le songe, hors de son être, hors de son lieu c’est le verbe à l’appui

l’entrelacs des lettres qui toujours déroute ulysse le coup de vent pour qu’il espère

(c’est) le trait grammairien d’une flèche qui délivre un bref instant ithaque – flèche envoyée à tous les sens rassis, faisant mordre la poussière...

(c’est) l’étoffe brodée qui se déroule enfin du monde

(c’est) le taureau apercevant l’éclat d’une lame dissi- mulée sous la cape

et qui perd l’innocence et la joie
et qui prend peur
… cherchant refuge, bientôt dépouille, à la périphérie de son arène
Markus Lüpertz
Poussin, Stilleben (nature morte)
1989

Grand Cahier.666.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.27

Le taureau


Et la lettre donna au réel
un visage nouveau, un mot qui renaît pour un temps sur l’arène

parmi les volutes
les pleins et les déliés de la cape, d’un trait d’un mou- vement de bras

il cherche le secret

– comme un picasso traçant
sur la paroi les épures
/ successives de la phrase –

Depuis les cornes du museau inversé du A jusqu’à la flamme zébrée de l'estocade

dans le tumulte
et la fureur, taureau n’y verra que le jeu
Pablo Picasso
Corrida de toros
(1934)

Grand Cahier.665.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.26

Le mot


Comment l’usage a-t-il pu
nous faire oublier nous faire

/ perdre le mot

aurait-t-il eu un point de côté

d’avoir tant couru le monde
d’avoir tant sali de bouches

il n’attrape plus la chair des choses

Ramassé de haute lutte,
il descend jusqu’au marais
épuisé au ras des sables

et la marche au désert est très longue

avant que ne surgisse
à nouveau d’un visage la lettre,

pour que vorace la vie enfin ressuscite
Philippe Delaveau, Chant pour Ulysse
Calligraphie de Jean Cortot
peinture de Julius Baltazar
(1992)

Grand Cahier.664.Intérieurs, Extérieur, Voix.045.Corps et visages.25

Naissance


au plus près de la source
– rien ne se dit
il n’est pas de mots
le tout est plein
à satiété, repu

L’avant naître est indicible

et la séparation
– l’immense cri
ne dit rien non plus
ne peut rien dire
ni la présentation,

Simple vis-à-vis d’amour

mais la vue, le désir
– l’éloignement
vers le grand espace,
ils lui viendront
d’un paisible visage

Jeu de l’appel et du nom

d’un guide bienveillant,
– jeu scintillant
d’étoiles, au regard
de l’autre qui
découvre la merveille

des choses non voilées
nommées dans la lumière
Jean-Joseph Crotti
Naissance
(~1926)

Grand Cahier.663.Intérieurs Extérieur Voix.045.Corps et visages.24

Visages


Tous les vivants ont un visage
et ce visage leur fait mal

Chaque visage est nu de peau
ce qui le touche est à l’intime

Dehors les atomes infimes
Là, près du coeur effleurant la

chair, la vibration qui s’étend

Tous les visages sont des signes,
d’autres visages les perçoivent

traçant des lettres sur le monde
disant les mots dedans le monde

Les vivants, dis-tu et les plantes...
Toutes les plantes ont un visage

une frondaison de lumière

Voix mouvante sous le sabot
des juments du vent qui hennissent

gavées du suc de leurs racines
et qui les fixent au fond de l’être
René Magritte
Arbre
(1959)

Grand Cahier.662.Intérieurs, Extérieur, Voix.045.Corps et visages.23

Le tout


Petit enfant ne voit pas, car il est encore

dans la vue,
dans le tout de la vue
puis la sidération s’éloigne, prend forme le désir et sa réponse,
le tout s’émiette,
l’objet paraît

Les yeux convergent, la main appréhende – les yeux, la main – la proie qui alimente

dès lors le tout n’est que vestige

Avec le temps lui viennent les mots, ceux de la souf- france et de la joie, il s’instruit auprès des œuvres prend ce qu’il voit, ce qu’il découvre
d’un regard neuf

il vole, ingurgite il oublie,
papillons morts

Peu à peu en lui-même
le tout se réinvente –

les mots gonflent dans sa gorge et donnent sens au lait de son esprit
Salvador Dali
Paysage aux papillons
(1956)

Grand Cahier.661.Intérieurs Extérieur Voix.001.D'un autre lisard.22

La veilleuse


Il n’est pas de réalité

(qui nous soit présentable)
sans un rendu de langue

Le réel est inatteignable

Les choses s’habillent de mots
qui se retroussent
      / et nous sidèrent
Nous nous taisons afin d’en jouir

Si nous savons qu’il faut
mordre au lait de la mère
le sens qu’elle nous donne
n’est pas le tout du monde

La langue est là qui veille
auprès de l’endormi
Georges de la Tour
La Madeleine au livre
(1630-1632)

Grand Cahier.660.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.21

Vocablerie


Ce monde est un océan de folie
ingéré par une langue démente

Ludion offshore
– sans poteau qui tiendrait la balançoire –

envahi de voraces envies,
ballotté
assailli par la fureur des vagues,
happant l’air

pour éviter la noyade, / sans prise aucune
éperdue par une réalité sauvage

inadmissible
ne réclamant rien

que la rumination d’une vache laitière
dans une géographie aux herbes choisies,

une histoire
reconnue, et un corps désirant
à l'issue
d’une généalogie robuste
Victor Hugo
Les travailleurs de la mer
(1864)

Grand Cahier.659.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.20

La meute


Féroce rassemblée, la meute
à l’orée du bois Clairs, des feux
dénués de sens

/ des feux encerclent la victime

La meute des vagues déferle
sur l’estran, dénuée de bleu
écume aux dents

/ des mots de mort

réapparaissent lentement
où la vague reflue, laissant
les os d’une carcasse

/ halo de lunes sur le sable
Gustave Courbet
La mer orageuse ou La vague
(1869)

Grand Cahier.658.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.19

Le feu


Plus tu t'approches (il en existe encore)
de la bûche dans l’âtre
plus tu t’approches de la flamme
plus elle / brûle ton visage et

davantage en elle
ton cœur en son cœur disparaît L’endroit d’où elle
provient et s’évanouit comme une illusion, comme
un mirage qui tremble dans l’air – s’éloigne
et devient cendre

Plus tu te rapproches du sens, existe-t-il encore
plus celui-ci clarifie ton regard

et davantage en son cœur
disparaît ton cœur L’endroit d’où il
provient et s’évanouit comme une illusion, comme
un mirage qui tremble, etc.

Mais ta main parcourt la page, pour y tracer
les signes d’une cendre

puis vient l’hiver, la nuit, la rafale des jours,
les vêtements mouillés, / l’oubli

alors tu t’assoies sur un banc, une chaise à la table
auprès d’un livre ouvert

Et plus tu suis les lignes de cendre sur la page
à recomposer ainsi la vie, ses meutes, les corps
au sortir d’un rêve

plus ton désir sans fin renaît
et ton oreille entend la bûche qui flambe à nouveau
réchauffant ton visage
Paul Klee
Feuer Abens
(1929)

Grand Cahier.657.Intérieurs Extérieur Voix.044.D'un autre lisard.18

Le lierre


La nuit avance

Quel est ce mur auquel s’agrippe un lierre :
  des phrases l'appréhendent,
  des pensées le descellent
  Chaque mot s’y cramponne

et se nourrit du monde – y fructifie et l’orne Il s’en détache un peu de terre Un précipité

noir de sève, et du souvenir de tant d’âmes
au vieux silence

Et peut-être allons-nous le rejoindre bientôt
dans l’invention des formes non des mots fixés – mais

sur une branche
une greffe une tournure un mouvement qui s’accroît, qui développe ses pousses, décrivant

au cumul des nuages, un nouvel augure augmentant le tempo
Maurice Wyckaert
Lierre grimpant
(1991)

Grand Cahier.656.Intérieurs Extérieur Voix.001.D'un autre lisard.17

Articles les plus consultés


à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte