Bay Area

*


Bay Area, suivi de
Point Zéro


I

À peine s'était-elle repliée que déjà il faisait nuit

L’aile avait tracé dans le ciel une courbe, une blanche vapeur elle avait suivi les feux qui brûlaient dans la baie

Ce fut comme une pulsation vitale qu'elle aurait étraquée, une écaille de nacre échouée sur les bords

Vers l'Ouest, à l'extrême pointe des terres, où le jour se termine

Cyclamor, glycymeris med, haliotide exposés à la gran- de rumeur océane

Ce fut un flamboiement minéral sur les collines déser- tes, les champs d'ocre et de brumes

– elle avait, elle avait que … déjà

Ne voyant plus rien sortir du soufflet rouge, arrimé à l'étroitesse d’une surface poussiéreuse … il allait falloir recommencer
II

De nouveau s’écarter du sol, décoller, reprendre une distance, s'arracher du poids des jours

– enfant sur la carlingue –

Envisager de haut une ligne arrondie, percevoir du ter- reau les infimes détails

Revenir une fois
toucher la piste au point Zéro

C'est façon de remercier
de dire …
après

Richard Diebenkorn
Cityscape #1, San Francisco
(1963)

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Désert



Je marche ne respire, je marche sans reliefs – la brume est sous le pont

Rouille de 37 Golden Gate

Pétales de roses jetés
Hommage à (Ophélie) Novak
J’arrive au bout

La mort soudaine. Chaque voile
Angle aigu triangle aperçu dans le vent de glace, trois bornes j'irai – je marche

Est-ce Cadillac 55 ou GAZ 69 qui passe ?

Le chuintement et l'humeur du Pacifique

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Avancée des empires



L'herbe que l'espagnol trouva sur la colline était la sarriette mentholée Yerba Buena, yé !

Herbe autrement rêveuse d'un arrondi végétal aux senteurs de houles, de lamiers blancs

Mais il fallut le lent passage des jours, et l'acharnement des chasseurs de loutres marines – russes, anglophones – avant que ne tombe l'orgueilleux avant-poste

...s’efface des rives
du Très Grand Océan

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Nob Hill



Parmi les bougainvillées grimpants, rouges et violettes, au flanc du coteau de ciment, j'empruntais sans hésiter le câble

Près d’Embarcadero sur Market Street. Il me tracta comme il convient, jusqu'à l'à-pic

Je pus voir tour à tour
Notre-Dame de l'Isle, de Ghiberti la double porte, les meubles vernissés de Chine, et les sobres fleurs du Japon

Ils étaient tous là, réunis sous la bannière étoilée de l'Ouest

À l'instant je me crus – Nabab – louant sur la colline une chambre au Mark Hopkins avec vue, Lillie, sur Coit et Paradis

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Clay



En ce temps-là, je logeais dans le décor de quatre planches d'une painted lady de Clay

Je voulais me rendre à Lombard Street

Voulu aussi m'informer des lacets de fleurs (Dahlias, fleurs d'écume, fleurs sauvages, fleurs pastel) des briques roses implacables qui serpentent sous le soleil, demander les origines
à un couple corseté de mœurs anglaises

… But
"He don't speak english !!"

Je dus m’enfuir dépité vers les docks, descendre Hyde Street en courant, pousser une porte vers Fisherman's Wharf

Où je vis, à propos de cerfs-volants, un pied-noir d'Alger (rouge ou vert) parlementer dans un français plus qu'improbable avec une indienne qui d'un geste haut ajustait sur l'épaule son kaccha sari

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Reproduction



Sur une carte d'un acre et demi, j'allais

Parti de San Francisco Port vers Embarcadero (pier forty one) je pris le traversier jetant une bouée rouge et blanche près d'Alcatraz

Je débarquais pour voir – des travaux de l'US Corps of Engineers – le flux et le ressac, une maquette où l'on transite

Plus complexe que les herbes salées du roc millénaire Saint-Michel

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Sausalito



Que sont les pans de bois devenus alambiqués sur l'eau, hippies vivant bohème de fleurs, passées vieillottes froissées ?

« Une barque chapeautée de rouge et de vert (un soupçon de cage) un oiseau de sorcière, des fenêtres dégingandées endormies sur des barges, le drapeau étoilé du capitaine – œil de poisson bleu canard et silo venu des plaines repeint dans les tons gris, cheminées de zinc usines clinquantes, habitats le long des quais en bois de séquoia »

Dégagées des fumées, mangées de fric et pauvres liens sans risque ni corps sont les communautés virtuelles aujour- d'hui

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Hyatt



Ici ou là, trouver l’Hyatt, pianiste perdu dans l’immensité d’un hall – Caverne de fête à la double triple… échelle étincelante d'ascenseurs

Puis rechercher en bas de la rue, l'adresse d'un lieu qui n'a pas d'enseigne. Pousser des portes, franchir les sas du labyrinthe vertical imaginaire, enfin

Trouver l'issue
Déboucher vers les vingtièmes

Étage d'une salle sans terrasse pour s'attabler sans espoir, regarder au travers des grandes baies le jour qua- drillé

Disparaître dans un luxueux dallage de béton d'aciers et de verre

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La japonaise



Ne dites plus une parole mais regardez vers l'intérieur. Non, parlez plutôt mais d'autres choses (invisibles toutes pensées vers ce point tournées)
Et vous serez désir

Angélique en arbres, il existe en plein cœur de la ville un jardin d’aralia ou d'érables. Aurea magnifiques, aloe, dasylire, bois-bouton près d’une source. Ni le but ni l'interdit mais le flambeau
Azalée véritable
Cerisier de beauté sous le Pont demi-lune

Elle est étrange cette idée de Norvège qui nous vient

car c’est un pays de collines – courtes herbues ba- layées par le vent, un pays de violence aux couleurs du granit, des ocres telluriques – je dirais, vignes surgies dans le désert
Soleil perdu mer
Méditerranée
Brume qui suit dans la minute aussi glacée que Nord

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Chinatown



Un jour je devais me retrouver avec ce peuple très an- cien matérialiste, fuyant l’année du coq ou l’autre qui dévide dans les rues ses clichés superstitieux en grands caractères fou et koei

à marcher entre les murs de briques et les échelles de fer, tout droit sortis d'un film italien baroque n'roll

Je devais me retrouver dans cette enclave historico-incoercible, avec des Hans pour le moins, dont l'ascendance doit remonter jusqu’à l'époque des Printemps et des Automnes,

avec des vieux qui ne s’en laissent pas

Ô, conter
Potiches factices,
et les joueurs de dés !
en bleus perpétuels

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J'ai de cette époque...



J'ai de cette époque une photo, une prise de vue, de celles saisies à la volée,

De haut en bas ou de bas en haut, je ne sais plus
et tombée par hasard

Comme une balle surgie d'un golf près de Legion of Honor (où j'appréciai à leur juste valeur les placards recons- titués d'un intérieur XVIIIème)

On y voit deux hommes s'affairant, perchés sur le toit d'une maisonnette blanche badigeonnée de crésol – ses lattes de bois franc sont pré-vernies

Et dans le calme d'une rue ensoleillée
un jouet d'enfant

Accostée à son trottoir une voiture de l'espèce améri- caine en fleurs dont on a surbaissé le châssis

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Berkeley



Je pris le Bart près de Powell, – venu de Millbrae s’en allant vers Richmond, je filais au rythme des bandes jaunes sur le quai – puis descendis sous l’eau, pour déboucher

Tube galvanisé de glaces plastiques, de l’autre côté de la baie

Il y avait sur ces pentes studieuses un campanile blan- châtre et l’empoutrerie haut perché d’un carillon. (C’est à rapprocher, à retenir … c’est identique … mais je ne le sus que bien plus tard)
De cet ersatz nullement ne m'étonnais

Puits de feu, laiterie d'aluminium Ô leptonique laiterie que je cherchais !

Et les zigzags et les fumées et les claquements élec- triques, le ciel était lourd et chargé. En m’enfonçant plus loin, aurais-je trouvé peut-être un lieu, à ces forces une origine ?

Jamais il ne me fut permis de percer le mystère

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Décidément,



je préfère le panache d’une échappée sur les ailes quand l’équipe est soudée, à ce déroulement de calculs, à ces combinaisons aussi savantes soient-elles

Vous ne devriez pas tergiverser ainsi

Nous avons vu des torses des épaules sur-dimension- nés et des regards acérés sous le treillis des casques

… Analysé le même front de lignes très complexes

Vous ne devriez pas vous rembrunir, tout peut arriver encore

Il ne s'agit que d'établir, d'aménager le combat, de sa- vamment dissimuler la balle

Mais à Stanford mais à MemChu

Je n'entendis rien dans les Mausoles, pas un seul en- chaînement, aucune ciacona de Buxtehude
30 et une fois en mi variée

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Cappuccino



Cappuccino j'avais bu, dans un bar au décor adapté mais non point de climat

Et quitté le quartier de North Beach pour me rapprocher de Financial

Rue en pente
œil
mystique
blasonné de pub
au-dessus de
Volgs…à la blanche – « Pure Glacier Water »
Entamé discussion canadienne
sur les nerfs et
le sang
des
tatou-
és

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Je te salue petit homme...



Je te salue petit homme des moulins et du ca- nal des eaux

Que fais-tu là dans ces finistères ? Depuis combien de temps vis-tu dans la tranquillité de ce parc, en lisière de cette jungle et de ces serres ?

À quoi cela peut-il bien servir de tourner tes ailes inutiles ?

Avec quel pain de quel blé, pourrais-tu nourrir les foules ?

Sur ce territoire de vignobles et de sequoias, balayés de pluies, de tempêtes grises. Houles mortes Pacifique

Dutch Windmill
Golden Gate Park

Grand Cahier.452.Parallèle 37.026.Bay Area.15 {•••}

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte