Arrêt sur image


tôt
en ce matin mérité de fraîcheur, je suis
retourné devant le grand
cercle

aux carillons suspendus dans le vent

Micas rouges
et noirs, gris et blancs tracés de lettres illisibles,
qui se balançaient, oscillant
pour personne

– les mots l'emportent-ils
sur les images qui s'estompent,
et disparaissent
quel récit se cache condensé

en cet instant fatidique au cœur d'icelles –

image conséquente,
que nous dit ta « prosopopée »
qui brille ou s'assombrit,
schéma de ton âme / vérité ou théâtre
Sonia Delaunay
Autoportrait
(1916)

Grand Cahier.737.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D aurait dit.28

Démarcation


Je ne suis pas ce figuier-lyre
mais le suis
dans sa lumière

Beau chien blanc
magnifique animal assoiffé
qui lape la rivière devant soi

Poisson qui sort de son monde gobe
une mouche, et retourne

un lézard apparaît
sur la pierre
au soleil

Tous les trois
sont liés, en rapport agglutinés
les uns aux autres

Mais aucun des trois n'est seul
devant les autres

Comment voir / la signature
des choses
sans la fausser, sans y mettre son cancel

Comment les laisser être
puisque c'est nous (qui les voyons
dans leur lumière)
et seulement

Joan Miró
La naissance du monde
(1925)

Grand Cahier.736.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D aurait dit.27

Plain-chant


Je ne suis pas, ni le veut / ce figuier-lyre
qui veille
sous la lumière

Je ne suis pas cet animal qui dort
au fond de sa tanière

et qui ne sort de ses tuyaux
que pour survivre (et que pour tuer)
retournant y dormir une fois rassasié,

mais d'autre qu'y a-t-il
à faire
lorsqu'on est apaisé,
que le jour nous assomme

Sort-il véritablement quand je dis qu'il sort. Qui ren- contre-t-il, qui pourrait-il rencontrer
lui qui n'est jamais seul,
toujours pris dans son réseau de nerfs

Comment pourrait-il voir
ce qui, venu d'ailleurs précipite
en un point

et prend son temps pour exister

Obscure, aveuglante énergie de la source
et qui trouve / appuyée
à la rambarde / son lieu et sa tonalité

Cela résonne alors à chaque étage et parcourt la cage d'escalier qui l'entoure

Comment pourrait-il jouer le jeu
en sachant qu'il va perdre
La main guidonienne
UPenn, Ms. Codex 1248, f. 122r

Grand Cahier.735.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D aurait dit.26

Imaginateurs


Nous sommes tous ancrés dans ce monde, ancrés à proximité les-uns-des-autres, sans pouvoir nous détacher, tous nous voulons nous échapper,

tous apparemment libres nous détonnons mais,

l'imaginateur ne vous déplaise est à l'arrêt, et s'échap- per à toute vitesse n'est que broutilles !

qui donc choisit le monde ?
le monde qui est là et qui en est la somme
il n'est pas ancré, lui
si ce n'est sur le fond,
   déchiré
du néant

nom d'oiseau agrippée à la roche / bernacle à cinq valves / oie bernache aux doigts coupés, chum invasive / crabe orangé qui menace / douloureux poisson qui claque et qui se tord / pris par le métal ou par la poche d'eau

méfiance on vous prend si vous pêchez on vous pêche

mais les filets sont apaisés, et pour un temps la barque est pleine (la petite barque chargée qui, de tout son poids, oscille)

toute cette exubérance, elle va partir à la décharge, et sans fin, le cycle recommence : ancrage et des-ancrage des roches, désencrage des lettres, fin de la trace

J.M.W. Turner
La Plage de Calais, à marée basse,
des poissardes récoltant des appâts
(1840)

Grand Cahier.734.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D aurait dit.25

Cultiver


Mais quel ennui d'être à ce point / chercheur d'ombres
et d'artifices / bousculé par le vent

mais quel oubli du corps ! du corps
vivant
en son milieu
parmi les êtres et les autres

le corps
nu, vivant sexué

Il faudrait irriguer de nouveau, rafraîchir
à l'intime du regard
pour que soit féconde enfin,
toute une science –

Rentrer, au seul jardim (enclos végétal et vert)

garder raison et calme, enfanter tout un jeu de lumières,
et vivre alors de l'autonomie des mots
Jesper Christiansen (Danemark)
Luften over Høve Stræde
(2020)

Grand Cahier.733.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D aurait dit.24

Comédie


La vie est élastique, elle s'é-
tire et bouge d'ici
à là, elle
va, pose son pied va,
mais vers


Je suis nous sommes
ou nous allons – l'être suit la pensée, donc il est à la traine, il traine comme elle
trace des lettres. Il est sa traine

C'est une île, une fièvre, c'est une hase un lièvre qui bondit sur le pré qui s'échauffe pour rien sous le soleil brûlant,

qui broute trèfles
et serpolets
qui régurgite des rêves
oubliés aussitôt
ou crotte au bord du chemin, comme elle
s'inquiète

L'être et les êtres suivent
l'être suit
les êtres suivent
les lettres à la trace

ils ou elles sont la suitée d'une pensée féconde
Si les pensées tournent en rond
l'être tire

sur la chenille
Due Zanni d'après la gravure de
Jacques Callot. Les deux Pantalons
(1616)

Grand Cahier.732.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D aurait dit.23

Mais


ce qui gît là
ne pense et n'a rien
à voir (avec celui
qui pense) et le regarde

nulle séparation pourtant
nul évanouissement
n'existe hors
de l'intime évidence
de la pure
sensation
   – que l'étincelle
d'un jour
qui feule et nous
griffe

mais la pensée
est
    (très construite de mots)
non l'instant
qui la précède

non
l'éveil
ou la vigilance
de l'animal   en vie
soucieux de sa préservation
           mais l'écart,
devant la mort qui vient
et vient toujours
Paul Cezanne
Nature morte au crâne
(1895-1900)


Grand Cahier.731.Intérieurs, Extérieur Voix.004.D. aurait dit.22

Étendue


Le premier mouvement,

la première
distance parcourue – est celle
d'un corps

est l'explosive effervescence d'une bouche
à l'assaut du néant

et elle est bientôt,
cette mesure
de l'indéfinissable étendue qui taraude l'écart – l'écart infranchissable qui sépare

la saisie de tes mains
de la portée de tes yeux
Abdelkader Guermaz
Poésie de l'arbre
(1979)

Grand Cahier.730.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D aurait dit.21

... Miroir de Fournival ...


Oui, mieux pris je fus
dans les rets de mon voir

que ne l'est tigresse au miroir

qui plus dès lors
ne se soucie de ses faons

bien qu'on lui emble

si elle encontre un miroir
plus ne lui convient
qu'on lui rende ses yeux

tant elle se délite
et lui plaît à regarder
la grande beauté

de sa bonne silhouette,

elle oublie de chasser ceux
qui ont emblé ses faons

et s'arrête devant celui-là
comme prise
Oïl, miex fu je pris
par mon veoir

ke tigres n'est al mireoir,

ke ja tant ne sera
corchie de ses faons,

s'on li emble,

e s'ele encontre un mireoir
qu'il ne li covingne
ses iels aerdre.

Et se delite tanta
regarder
la grant beauté

de sa bone taille,

k'ele oblie a cachier chiax
ki li ont emblé ses faons,

et s'areste illuec
comme prise.
Richard de Fournival
Bestiaire d'amour
(~1250)

Grand Cahier.729.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D aurait dit.20

Apollinaire


ni la paix ni la haine
en ton nom –
Seules
sont dédoublées tes ailes

où est le serpent qui siffle dans ton ciel / quel est ton abri dans cette guerre ?

tu disais « que la guerre est jolie

mais l'avant
de la guerre où l'on pense à l'amour
ses chants ses longs loisirs qui donne du courage
cette bague polie ah mon Lou ce pays

mais l'après, ces trous à hommes partout, partout !
on en a la nausée / des boyaux des obus / des débris de projectiles / des cimetières »

Eugène Montfort
Portrait de Guillaume Apollinaire
travesti en Louise Lalanne
(1909)

Grand Cahier.728.Révolvie.033.D'après contraste.22

Perversion


De quoi est
entaché le néant
qui lui fait perdre sa
pur(e)té,

qui le mélange et fait de nous
d'impossibles vivants

et quelle est
cette tache originelle cette trace
que le souverain menace
(telle est sa tâche) d'effacer

chez l'autre, qu'il
ignore

/ ou qui l'effraie
pour s'y mettre à la place
Pierre Bettencourt
La bouchée
(1990)


Grand Cahier.727.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.18

Suivre


Je ne suis libre qu'
en rapport à ton visage.

comment j'existe alors !

Aussi je mens,
pour te séduire
et t’entraîner, pour te conduire
ailleurs, je mens

et te fais croire en des rêves
– Mon songe est de capture,
il est bien ou mal
(et sûr)

de t'amener à ma guise

Ne te détrompe pas,
je t'en prie
car ma cause notre cause
est juste, elle est

de la vie la seule cause
Imagine la suite
Toyen (Marie Čermínová)
Le paravent
(1966)


Grand Cahier.726.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.17

Soleille


Avant d'être
puisqu'il faut naître
un jour il y a

cette suitée de mon amie
cette promesse –
je l'écoute sans fin

mais sans parfaire
la bête
j'ai d'autres moyens

pour me faire
une place auprès d'elle,
donc je l'écoute et j'

abandonne mes discours
tout mon venin
mes stratagèmes

mes ruses
et mes machines de guerre
pour la séduire

pleine et entière
dans son grammage
et sa musique
Henri Matisse
La tristesse du roi
(1952)


Grand Cahier.725.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.15

Pudeur


Besoin de protection
(du moi)
mais dans l'offrande,

besoin de protéger
(le soi)
de l'une ou l'autre

le soi fragile et sans l'orgueil,

protéger d'instinct
garder le feu
animal

chercher longtemps
la clef et faire
jouer le panneton

pousser
la porte musicale
et suivre dans

l'accord
la partition
qui nous échoit
Marcel Duchamp
Première ébauche pour « La Mariée mise à nu par ses célibataires »,
Mécanisme de la pudeur, Pudeur mécanique
(1912)


Grand Cahier.724.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.15

Territoire


Y a-t-il une différence
entre le jeu des mots que je trace
d'une écriture assurée
et mon perroquet (qui les
répète)

Je vous le demande, à vous
qui me lisez, non à mon
perroquet – Sauriez-vous les
redire

Et vraiment,
lisez-
-vous

Par la fissure
du coin de l'oeil
je vous regarde
Robert Delaunay
Nature morte au perroquet
(1907)


Grand Cahier.723.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.14

Le mendiant volontaire


Les temps sont durs,
allons vivre

de l'autre côté du monde, je sais
les fleurs arctiques

et cætera. (elles n'existent pas)
tournons le dos à la fabrique

Allons, vous savez bien
vers ce côté animal,
vers cet animé seul sachant
les mots qui conviennent au monde,
les petits mots
qui laissent des traces
et abritent les os
de son esprit
avec toutes sortes de bêtes immédiates
vivant d'une eau fraîche

Allons de l'autre côté, et
vivons simplement
Caspar David Friedrich
Das Eismeer, la mer de glace
(1824)


Grand Cahier.722.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.13

Déclarer


Sillons tracés dans le jour bleu
Et qui percutent mon oreille
Votre avenir est incertain

Mais si m'inquiètent vos rayures
J'ai le souci de vous répondre
Car rien ne sert de raturer

Toujours la rature est présente
Le monde s'effondre il s'efface,
Devant autant d'inconséquences

Il nous faut déclarer l'humain
Henri Michaux
Aquarelles et encre de Chine
(1950)


Grand Cahier.721.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.12

Rien qu'une pierre


si je dis quelque chose
quelque chose existe
aussitôt, c'est un matin
c'est une aube

quand bien même
dormirait-elle comme une pierre
comme une rose des sables

je la réveille
je la sors du songe
et la mets au monde
comme une femme

imprimant sa loi
en un seul mouvement
et elle bouge

et elle crie sa présence
quand bien même
serait-elle une pierre
une rose des sables

inerte ici
dans la douleur
depuis des millénaire
Tal Coat
Au matin
(1952)


Grand Cahier.720.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.11

Cruel fantôme


Qui bouge en premier,
l’animé  ou la vie... Qui bouillonne ?

Il n’est rien qui commence,

tout animé peut mourir Je
n'est jamais seul
Être en vie
c’est savoir, rien n’est su de la mort

Un cri de souffrance ou juste un mot, c’est pareil

pour montrer ou pour dire
la violence essentielle, la cruauté
sans alibi de cet instant

Le monde est immense et tremblant
et s'il n'existe pas qu'un seul barreau d'échelle on perd son temps à vouloir le quitter

tous les chats sont nus
et sans griffe,
insaisissable, guettant leur proie

Comment vivre hors d'ici ?
Yashima Gakutei
Femme accordant un shamisen
et chat regardant son propre reflet
(1786-1868)


Grand Cahier.719.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.10

Souverain


Marionnette-animal : toute en os
tu es sans peau,
désarticulée dans ta cuirasse

tu n’es qu’une forte bête
à la mauvaise parlure
faussée dictée,
(sans égard sans âme ni retour)

aucun mot ne s'imprime
en toi qui ne sait rien dire

tu profères et imposes ta loi

– non les traces d’une bouche vive
mais de ta balèvre mortelle,
la saignante coupure
Paul Klee
Marionnette
(1919)

Grand Cahier.718.Intérieurs, Extérieur Voix.046.D. aurait dit.09

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte