Sublime comptable ...


Sublime comptable de la ville de Lisbonne
Écrivant les mots de son salut
Claironnant l'aurore qui l'engendre,

Comme au désert
le moine éloigné dans sa solitude,
l'ermite percevant dans les pierres et les grottes la substance d'un Christ

Ces chiffres, ces marques du registre, dont les lignes sont tracées à la règle
Sont bruits du monde eux aussi, monde qui recèle tout un peuple d'exilés qui en font la valeur 
– le moine, l'ermite, le navigateur ou le poète –

toutes les portes qui mènent aux Indes et à l'orient de toutes les musiques

Et ces marques banales du néant valent bien les mots rimés qui s'additionnent, et qui s'alignent dans le tissu de  ma vie

Henri Michaux (1950-1970)




Livro do desassossego ldod 4

... e do alto da majestade de todos os sonhos, ajudante de guarda-livros na cidade de Lisboa.

Mas o contraste não me esmaga — liberta‑me; e a ironia que há nele é sangue meu. O que devera humilhar-me é a minha bandeira, que desfraldo; e o riso com que deveria rir de mim, é um clarim com que saúdo e gero uma alvorada em que me faço.

A glória nocturna de ser grande não sendo nada! A majestade sombria de esplendor desconhecido... E sinto, de repente, o sublime do monge no ermo, do eremita no retiro, inteirado da substância do Cristo nas pedras e nas cavernas do afastamento do mundo.
Le livre de l'intranquillité ldod 4

...et de la hauteur de la majesté de tous les songes, aide-comptable de la ville de Lisbonne.

Mais un tel contraste ne m'accable pas — il me libère ; et l'ironie qu'il contient est mon sang. Ce qui devrait m'humilier est l'étendard que je déploie , et le rire avec lequel je devrais rire de moi est un clairon avec lequel je salue et engendre une aubade en laquelle je m'invente.

Être grand sans être rien, gloire nocturne ! Sombre majesté d'une splendeur inconnue...Et soudain j'éprouve le sublime du moine dans son désert, de l'ermite dans sa retraite, découvrant la substance du Christ dans les pierres et les grottes de son éloignement du monde.




Livro do desassossego ldod 5

Tenho diante de mim as duas páginas grandes do livro pesado; ergo da sua inclinação na carteira velha, com os olhos cansados, uma alma mais cansada do que os olhos. Para além do nada que isto representa, o armazém, até à Rua dos Douradores, enfileira as prateleiras regulares, os empregados regulares, a ordem humana e o sossego do vulgar. Na vidraça há o ruído do diverso, e o ruído diverso é vulgar, como o sossego que está ao pé das prateleiras.

Baixo olhos novos sobre as duas páginas brancas, em que os meus números cuidadosos puseram resultados da sociedade. E, com um sorriso que guardo para meu, lembro que a vida, que tem estas páginas com nomes de fazendas e dinheiro, com os seus brancos, e os seus traços à régua e de letra, inclui também os grandes navegadores, os grandes santos, os poetas de todas as eras, todos eles sem escrita, a vasta prole expulsa dos que fazem a valia do mundo.

No próprio registo de um tecido que não sei o que seja se me abrem as portas do Indo e de Samarcanda, e a poesia da Pérsia, que não é de um lugar nem de outro, faz das suas quadras, desrimadas no terceiro verso, um apoio longínquo para o meu desassossego. Mas não me engano, escrevo, somo, e a escrita segue, feita normalmente por um empregado deste escritório.
Le livre de l'intranquillité ldod 5

J'ai devant moi les deux grandes pages d'un lourd registre ; je relève de son inclinaison sur le vieux pupitre, avec des yeux fatigués, une âme encore plus fatiguée que mes yeux. Par delà le néant que cela représente, le magasin aligne, jusqu'à la rue des Douradores, ses étalages réguliers, ses employés réguliers, l'ordre humain et le calme ordinaire. Il y a un bruit différent derrière les vitrines, et ce bruit différent est ordinaire, comme est ordinaire le calme aux pieds des étals.

Je baisse des yeux neufs sur les deux pages blanches, où mes chiffres appliqués ont inscrit les résultats de l'entreprise. Et avec un sourire que je garde pour moi, me vient à l'esprit que la vie, dont ces pages font partie, avec leurs noms d'affaire et sommes d'argent, avec leurs espaces, lignes et écritures tracées à la règle, inclus aussi les grands navigateurs, les saints hommes et les poètes de toutes les époques, tous sans aucune inscription, vaste descendance expulsée de ceux qui font la valeur du monde.

La couverture elle-même du registre dont j'ignore la nature, m'ouvre les portes de l'Inde et de Samarcande ; et la poésie de la Perse, qui n'est d'aucun pays, fait de ses quatrains, sans rime au troisième vers, un soutien lointain pour mon intranquillité. Mais sans me tromper, j'écris, j'additionne, et les écritures s'enchainent, tracées normalement par un employé aux écritures.

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à M.C.



Entre les ronceraies du coteau
Et les cils de la rivière
Ce pommier d’une écorce rude
Où s’attache un gui
Voilà notre vie pleine et nos joies
Ces fruits blancs appendus
Pour une année qui s’achève
Voilà sur le seuil des récoltes
Notre longue patience
Et lié ce vœu
Sous le linteau de la porte